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Et Vladimir Poutine dégaina son "missile invincible" pour refroidir tout le monde à l’Ouest. Vraiment ?
©ALEXEY NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

Gros bras

Dans un long discours ce jeudi, le président russe a passé en revue les avancées technologiques russes en matière de défense.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Ce jeudi 1er mars, Vladimir Poutine a pu tenir un grand discours, deux semaines avant le scrutin présidentiel, au cours duquel la question nucléaire a retenu particulièrement l'attention. En effet, en voulant présenter, notamment au travers de vidéos et d'images de synthèse, de nouveaux armements nucléaires réputés "invisibles", le président Russe a marqué les esprits. Quelle est la réalité de la "menace" ici présentée ? Quels sont les objectifs poursuivis par Vladimir Poutine dans un tel discours ?

Michael Lambert : Il semble pertinent de replacer le contexte de (re)militarisation et de modernisation des équipements russes (T-14 Armata, Sukhoi Su-57, S-400 Triumph (et futur S-500?)) dans un contexte mondiale ou les grandes puissances, abstraction de l’Union européenne, investissent dans le secteur de la défense et notamment la modernisation des équipements.

La Russie adopte dès lors une tendance assez similaire à celle que l’on constate aux États-Unis ou en Chine avec pour objectif de parvenir à se mettre à niveau pour ne pas rester à la traine face aux autres nations. En effet, depuis la chute de l’Union soviétique, la Russie n’avait ni le budget ni la motivation - dans un contexte pré-Crimée - pour moderniser son arsenal nucléaire, ni pour se lancer dans la construction d’ avions de 5ème génération (par contraste avec le F-22 américain  remonte aux années 1990), ou bien encore de moderniser sa production d’armes légères (Ak-12 qui remplace le Ak-74 assez tardivement). 

La menace est dès lors réelle car toute puissance militaire, derechef nucléaire, constitue une menace pour la sécurité mondiale et l’équilibre des puissances. Au regard de tous ces éléments, il ne faut cependant pas analyser la posture militaire de Moscou comme une “menace” au sens d’un danger imminent mais comme la confirmation d’une tendance mondiale amorcée depuis la fin de la guerre froide.

Au final, n’est-il pas moins dangereux d’avoir une Russie avec des équipements militaires haut-de-gamme que ceux qui remontent à la période soviétique ? Les équipements soviétiques n’ont pas ou peu de paramètres de sécurité et ppeuvent souffrir de défaillances techniques. Ce qui peut générer une certaine appréhension.

Suivre la tendance mondiale afin de moderniser un arsenal vieillissant face à une compétition mondiale dans le secteur de l’armement. L’arsenal nucléaire russe atteste objectivement d’un souhait de dissuasion auprès des États-Unis - voir même de la Chine et la Corée du Nord - avec pour ambition de ne pas laisser le secteur de la défense sur des normes soviétiques.

Il faut garder à l’esprit que Moscou est également un exportateur d’armes et le principal fournisseur de la Chine. Dans ce contexte, il est important de continuer le processus de modernisation pour apporter aux pays clients du matériel de qualité et rester leader dans un marché en pleine expansion.

L’idée est également de mettre en avant l’image de grande puissance auprès des citoyens russes, mais derrière la rhétorique se trouve une approche autrement plus pragmatique et économique.

Faut-il voir dans ces déclarations une réaction à la publication, en ce début d'année 2018, de la Nuclear Posture Review américaine, qui avait pu mettre en avant la nécessité de faire évoluer la dissuasion nucléaire américaine, notamment au regard de la menace russe ? Sommes-nous ici dans une tentative d'adaptation des nouvelles doctrines dans une logique d'escalade ? 

Difficile à dire … Il y a objectivement un souhait de la part du Kremlin de s’imposer comme alternative militaire aux États-Unis et même à l’Otan. Malgré cela, la Russie reste loin derrière Washington et est pleinement consciente de ce retard technologique. Dès lors, Moscou souhaite se présenter comme puissance mondiale mais aux ambitions régionales (Eurasie).

Il semble plus pertinent de se représenter la posture militaire russe comme un agréable mélange entre rhétorique de grande puissance face aux États-Unis mais, avec pour ambition de rester devant la Chine (plutôt que devant Washington), et dans la contrainte de renouveler ses équipements qui remontent à la Guerre froide.

Les États-Unis vont-ils se représenter la logique militaire du Kremlin comme une provocation ? Probablement. Malgré cela, la Maison blanche ne peut pas s'opposer au réarmement de la Russie alors qu’elle même modernise ses équipements. Qui plus est, l’US Department of Defense regarde surtout vers l’Asie (la Chine) sans oser ouvertement le mentionner.

Quelles sont les conséquences de ces échanges sur l'Europe et sur l'OTAN ?

L’Europe de la défense peine à émerger et des projets ambitieux comme celui d’une Armée européenne (De Gaulle, 1954) restent à l’état embryonnaire. Dans cette vision pessimiste, les deux puissances nucléaires que sont la France et la Grande Bretagne sont les seules à même de parvenir à imposer une forme de stabilité en Union européenne, sans pour autant parvenir à rassurer les partenaires d’Europe de l’Est (qui se tournent inexorablement vers les États-Unis pour acheter leurs équipements).

La Russie ne s’attend pas à une attitude amicale de la part des Européens et encore moins de la part des membres de l’OTAN (à l'exception de la Turquie) et se fixe dans une logique asiatique plutôt qu’européenne. 

Pour ce qui concerne les européens, la France est réaliste et dispose de la puissance nécessaire pour assurer sa propre protection avec sa marine, idem pour la Grande Bretagne. Les pays de l’Europe de l’Est peuvent naturellement moderniser tous les équipements qu’ils souhaitent, conduire des exercices, mais ces efforts seront vains face à une puissance nucléaire. Tel est la réalité stratégique, la puissance nucléaire détermine l’intégrité territoriale et la crainte, c’est d’ailleurs la raison même de l’obsession Nord-coréenne pour les ICBM alors que tous les autres secteurs sont à la traine.

Pour résumer, aucun changement n’est à prévoir en Europe avec une Russie qui regarde vers l’Asie tandis que les États-Unis et les européens pensent que Moscou n’a d’yeux que pour eux. En pratique, la Russie s’inquiète bien plus de l’ouverture des bases militaires chinoises le long de la Nouvelle route de la soie, c’est à dire tout autour du territoire russe d’Astana à Tbilisi, que de l’Otan.

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