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Une très large étude scientifique l’affirme : si, les anti-dépresseurs sont efficaces. Mais les utilisons-nous correctement ?
©AFP

Bien lire la notice

Alors que la dépression est devenue un problème de santé mondial, la croyance que cette maladie serait due à un « déséquilibre chimique du cerveau » serait encore largement répandue auprès du grand public et, plus inquiétant, des praticiens.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

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Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

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Alors que la dépression est devenue un problème de santé mondial, la croyance que cette maladie serait due à un « déséquilibre chimique du cerveau » serait encore largement répandue auprès du grand public et, plus inquiétant, des praticiens. Comment expliquer cette méconnaissance et cette théorie qui ne prend pas en compte les facteurs psychologiques qui peuvent mener à la dépression ? Cette théorie ne confond-t-elle pas causes et conséquences ?  Que traduit-elle de la connaissance que l’on a de la dépression ?

Catherine Grangeard : Depuis la nuit des temps, la dépression existe. Elle s’est nommée mélancolie, tristesse, désespoir ; cela varie. Selon les époques, ce sentiment humain est plus ou moins accepté, supporté.

L’anniversaire du Prozac montre son succès. Ainsi, la dépression n’est plus tolérée et doit être éradiquée… Mais on n’y arrive pas. Plus on vend de cachets et plus il y a de déprimés sur terre. Les médecins ont colonisé les sentiments humains et décidé de les traiter. Ne serait-ce pas pure folie ? La déraison ne serait-elle pas de ce côté, dans cette prétention à dominer ce qui fait que l’humain est un être ? Le cerveau remplace l’esprit, selon ces théories biologiques. C’est intéressant philosophiquement de voir cette propension à considérer l’humain telle une machine bien huilée. Alors, il résiste ! Car les causes de cette dépression ne résident ni dans les fluides, ni dans les gènes. Elles ne s’y réduisent pas. Récemment on a lu que la solitude tue plus que les fléaux répertoriés par la Sécu.

Oui, les conditions de vie sont à l’origine de bien des conséquences que les médicaments se chargent de soigner, contre rémunération. Pourtant le coût social de meilleures conditions de vie serait moins ruineux. La pauvreté, l’isolement, l’habitat, les sévices sexuels, ont certainement beaucoup à voir avec les conséquences des dits médicaments. Est-il possible de chercher à y remédier ? Est-il possible de tenter de ne pas créer les dépressions ?

Sauveur Boukhris : L'étude a été faite sur deux mois. Mais bien souvent le traitement dure au moins six mois, voire, selon les prescriptions de certains psychiatres, jusqu'à 18 mois. Lorsque le traitement est arrêté si tôt, que cela soit deux mois ou six mois, certaines personnes replongent et retombent dans leur dépression. Ils se remettent à moins bien dormir, à avoir des angoisses, des fatigues matinales, des réveils nocturnes, une perte de plaisir, de l' aboulie etc. Les antidépresseurs, comme le montre cette étude, fonctionnent, et ils traitent environ 60% des patients mais ils traitent uniquement les symptômes. Ils ne traitent pas nécessairement les raisons d'une dépression mélancolique par hasard.

Est-ce que ce défaut de compréhension de la maladie a pu et peut expliquer, au moins en partie, la sur prescription d’antidépresseurs ou de prozac dans différents pays occidentaux (notamment les Etats-Unis et la France) ?

Catherine Grangeard : C’est à médicaliser que l’on crée les maladies ! Comme il est dit plus haut, d’autres approches sont tout aussi pertinentes. Leur efficacité serait tout à fait comparable à de nombreux médicaments. Et mon propos dépasse complètement la seule dépression. La sur-prescription de médicaments repose sur des considérations très étroites, biaisées sur ce qui est nommé « maladie ». Ce qui cause ces maladies n’est pas sérieusement pris en compte. En tant que psychologue, psychanalyste, vous imaginez bien que j’en sais quelque chose de ce qui crée ces dépressions, ces obésités, ces « pétages de plomb » ! Les conditions de vie sont à l’origine de toutes ces maladies. Il n’y a que les médecins pour ne pas le voir et continuer à prescrire des médicaments qui ignorent pourquoi la dépression ne quitte plus Mme Untel. Cette dame qui a une histoire, et des raisons pour plonger dans une telle détresse.

En regardant comment les médicaments ont remplacé les autres approches, on voit que les gouvernements conservateurs américains ont été les contemporains de l’explosion des prises en charge médicamenteuses des dépressions. C’est une prise en charge politique ! Les psychanalystes étaient subversifs. Les Prozac, pas du tout ! La biologie justifie les régimes tels qu’ils sont. Les thérapies les interrogent. C’est le jour et la nuit.

Le DSM a totalement gommé l’esprit pour ne regarder que le cerveau. Le DSM est la justification de la robotisation, il se présente comme une Bible, sa rédaction n’a pourtant rien de sacré, elle obéit aux diktats du moment. Dès qu’un médicament existe, une maladie y apparait. C’est un monde à l’envers, un monde fou... Désormais on atteint des sommets, les maladies pullulent, se multiplient dans le DSM puisque les possibilités de créer des médicaments augmentent. Nous savons depuis longtemps que la santé mentale varie selon les sociétés, ce qui est toléré par l’individu et ce qui est toléré par la société s’interpénètrent.

Sauveur Boukhris :Vous avez raison : il faut d'abord savoir qu'il y a deux types de dépressions. Il y a d'abord les dépressions de types réactionnelles, qui résultent d'un choc d'un traumatisme, comme la perte d'un emploi, d'un divorce, de la perte d'un proche, donc de quelque chose qui explique clairement cette dépression. Et il y a des dépressions endogènes qui n'ont pas de facteurs déclencheurs apparents et que l'on retrouve par exemple dans le cas de gens mélancoliques. On n'en connait pas la cause. On émet aujourd'hui des hypothèses, on pense que la sérotonine n'agit pas, et que du coup les antidépresseurs permettent de relancer la production de cette sérotonine. Mais on ne connait toujours pas la cause. On ne sais pas quel phénomène chimique ou psychologique intervient.

Il est vrai qu'on prescrit plus facilement des anti-dépresseurs d'abord parce qu'ils sont remboursés, et coûtent de toute façon moins cher que les séances de psychothérapie qui nécessite en plus du temps. Et ces séances demandent, en plus, beaucoup de séances.  

Les antidépresseurs ont été un véritable progrès en médecine mais ils ont permis une banalisation de la dépression, en mettant dans le même panier les moments de stress, les blues, les déprimes momentanées. Comme ces anti-dépresseurs ont un effet "booster", il est vrai qu'ils sont souvent surutilisés. Mais dans les cas de déprimes mélancoliques profondes, c'est efficace et assez remarquable.

Quels progrès restent-ils à faire tant au niveau de la compréhension de la maladie que de son traitement ?

Catherine Grangeard : Corrigeons une méprise du grand public, les antidépresseurs ne s’attaquent pas à la dépression mais à ses symptômes. Ils rendent supportables la tristesse, la fatigue…  Mais la dépression se guérit autrement. Le temps, par exemple, est un excellent guérisseur. Après une grande déception, un chagrin d’amour, un deuil, une perte de quelque nature qu’elle soit, il faut souvent en passer par une réelle souffrance pour accepter l’inacceptable. Avec ou sans antidépresseur, avec ou sans traitement, s’atténuera ce qui était pourtant invivable à un moment. Modifier des conditions de vie par ailleurs guérit quasi magiquement de grandes dépressions. Vous voyez que la médicalisation n’est pas obligatoire. C’est effectivement l’approche qui conditionnera la guérison ! Il faut en tirer toutes les conséquences. Les dirigeants doivent en tirer ces conséquences.

Enfin, il est indispensable de s’intéresser à la santé, plus qu’aux maladies. Ainsi, on reprend la question par ce qui est visé, par le but, l’objectif. La santé mentale n’exclut pas les hauts et les bas, la santé mentale englobe les états d’âme. Pathologiser ces variations des humeurs revient à ignorer ce qui est le propre de l’humain qui s’émerveille ou souffre, qui ressent, avec intensité. Faut-il soigner le fait d’être humain ? La santé dépend bien plus des conditions de vie que des gènes...

Sauveur Boukhris : Bien sûr, il y a des sur prescriptions ! Les antidépresseurs sont donnés par des médecins généralistes, et beaucoup moins par des médecins psychiatres. Et les généralistes ne font pas toujours la distinction entre les deux.

Et puis je dirai que c'est la facilité. On donne un médicament dès qu'un patient se plaint. Mais il y a aussi que les malades les réclament, sachant que ça fonctionne immédiatement, pour un traitement rapide pour "mieux vivre".
La société peut provoquer des dépressions. On a des médicaments qui en traite les symptômes douloureux. Du coup on en distribue de plus en plus, et pas nécessairement correctement, il est vrai.
Pour contrer cette su prescription, je propose dans mon dernier livre, Libérez le Médecin qui est en vous ! (Le Cherche-midi), il y a des échelles d'auto-évaluation de la dépression (cela s'appelle l'échelle d'Hamilton) pour en savoir plus sur son état et pouvoir en discuter intelligemment avec son médecin traitant.

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