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Barbara Lefebvre : “Les gens n'en peuvent plus des excommunications idéologiques”
©Reuters

Polémique sur la génération "J'ai le droit"

Après la publication de son livre sur la "Génération J'ai le droit", où elle écrit que l'école n'est pas là pour gouverner les esprits ou diffuser une idéologie, Barbara Lefebvre a été accusée d'être en plein "délire réac".

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste. Auteur de C’est ça la France (Albin Michel). Elle a publié en 2018 Génération « j’ai le droit » (Albin Michel), était co-auteur en 2002 de l’ouvrage Les territoires perdus de la République (Pluriel)

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Atlantico : Après la publication de votre livre "Génération "J'ai le droit"" et à la couverture médiatique qui lui a été donnée, vous faites l’objet de certaines critiques, notamment de la part des "Inrocks", qui, dans un article sur votre interview donnée au Parisien, fait état d'un "dossier anti-jeunes" et cite un tweet qui qualifie votre travail de "délire réac". Qu'est-ce que ces critiques disent de la société française actuelle et de ses lignes de clivage ?

Barbara Lefebvre : Le problème c'est que chacun comme toujours est dans son rôle. La publication d'un article assez neutre dans Le Parisien où il y a la simple description d'une réalité qui, apparemment, fait quand même largement écho à ce que vit chacun en tant que parent ou enseignant entraîne des réactions de ces idéologues incapables d'avoir un débat sur des sujets en étant factuel renvoie systématiquement à de l'idéologie. Leur intérêt c'est de cliver. J'ai pour ma part essayé de poser une situation qui est mon point de vue d'enseignante qui est sur le terrain car je ne suis pas une prof qui s'est mise à l'abri en université et je fais le constat depuis 20 ans d'une situation. J'ai la chance d'avoir une exposition médiatique  pour l'exprimer et je reçois énormément de messages de collègues qui me remercient de tenir ce discours.

Les idéologues collent l'étiquette "réac" car c'est le premier truc qui leur vient à la bouche  mais je crois surtout que ce qu'ils ont compris (et c'est ce qui les rend de plus en plus agressifs) c'est que ce discours-là plus personne ne veut l'entendre. Les gens n'en peuvent plus de l'excommunication idéologique et sur tous les sujets. Ils ne veulent plus  de clivages binaires car les gens sont beaucoup plus intelligents que ce que ces idéologues ne le laissent penser. La population aussi a le droit de penser la complexité, elle le fait et veut entendre des voix discordantes du discours bien-pensant ambiant.

En quoi peut-on considérer que les débats théoriques peuvent finir par avoir un impact sur le réel ? En quoi les idées, les méthodes d'éducation dites "progressistes" ont pu avoir ont pu avoir un tel effet ?

Ces méthodes se disent progressistes mais comme je le dis dans le livre, c'est "le progrès vu par le sommet". On prétend avoir un discours scientifique, rationnel, au service du peuple mais en réalité on sert ses intérêts propres qui sont en général les intérêts d'universitaires carriéristes qui ont tout intérêt à utiliser l'institution scolaire pour diffuser non pas des savoirs mais de l'idéologie. Ce que j'essaye de dire dans le livre c'est que l'école n'est pas là pour gouverner les esprits ou diffuser une idéologie.

Bien entendu le récit historique ait une part d'idéologie dans la façon dont on peut l'enseigner certes, mais ça ne doit pas être la mission de l'école de gouverner les esprits. Sa mission c'est de transmettre les bases de la culture pour permettre aux enfants de milieux populaires d'avoir les instruments concrets pour pouvoir s'élever en fonction de leurs talents. Or, avec toutes ces théories pédagogiques issues de la génération des années 60/70 on s'est mis à récuser ou à renoncer à transmettre un héritage classique. On a décidé que la culture c'était l'outil de domination de la classe bourgeoise. A partir du moment où on a eu cette lecture politique, idéologique on s'est mis à déconstruire tous les savoirs, tous les rapports hiérarchiques, tout ce qui faisait l'autorité. Finalement tout ce qui venait d'une puissance institutionnelle avait pour but de dominer les masses et il fallait libérer ces masses.

On a tellement libéré tout le monde de toutes les contraintes que maintenant on a des enfants qui sont prisonniers de leur illettrisme et de leur acculturation. C'est un échec sociétal majeur et ça explique aussi pourquoi ce système-là, une bonne partie de nos élites n'ont pas envie de le changer car ça les arrange. C'est plus facile de gouverner des gens qui lisent peu.

Aujourd'hui est-ce que ces gens sont capables de regarder la réalité des effets de leur idéologie ?

Quel est le rôle pouvant être attribué à ce qui est régulièrement appelé "néolibéralisme", le capitalisme financier, la marchandisation à outrance ? En quoi la vision de parents consommateurs de l'école, de citoyens consommateurs du service publics, a-t-elle pu renforcer la situation que vous décrivez ?

Le libéralisme dans sa forme la plus débridée est directement rattaché à cet hyper-individualisme que j'aborde dans mon livre. Plus vous fragmentez une société, plus vous atomisez l'individu, plus vous le rendez fragile. La grande idée c'est celle-ci : on a détruit l'individualisme civique. La grande idée de l'individualisme c'est de faire de l'individu un être libre, autonome et capable d'avoir cet intérêt pour la société. C'était un individualisme qui s'inscrivait dans un projet commun. Aujourd'hui le résultat est tout autre. On a encouragé le consumérisme et l'ultra libéralisme encourage l'individu à être seul avec lui-même. On lui fait croire que cette solitude est la grandeur de sa singularité alors qu'au contraire c'est une façon de l'affaiblir, de l'appauvrir intellectuellement pour le rendre le plus gouvernable possible  et, in fine, en faire un simple consommateur à qui l'on va expliquer que faire ses courses avec un cadis tous les dimanches c'est sa liberté alors que c'est son aliénation.

Les parents consommateurs d'école et les citoyens consommateurs de service public sont aussi l'expression de ce qu'on a voulu faire de notre société où l'on a transformé chaque personne en usager du service public. A voir la manière dont beaucoup se comportent face à ces services, on voit qu'ils se considèrent en parfaite égalité avec l'autorité publique et c'est un problème.

Face à ces droits revendiqués, comment s'est produit cette lente détérioration de la question des "devoirs" ?

On oublie qu'il y a des devoirs car justement le "destin de la cité" nous importe moins aujourd'hui que notre "destin personnel". A partir de ce moment-là vous considérez d'abord avoir des droits et c'est uniquement quand ceux-ci auront été scrupuleusement respecté et reconnu que éventuellement vous pouvez concéder à la société, au commun, d'exercer vos devoirs. La représentation que l'on a encouragé depuis 20 ou 30 ans c'est que la société est au service de l'individu et que l'individu n'est plus au service de la société puisqu'il n'y a plus de projets collectifs. Ce non accomplissement  des devoirs rejoint la question de a délégitimassions de l'autorité et en particulier de l'autorité de l'Etat.

Peut-on considérer que les coups portés à la famille, aux traditions, à l'autorité, au respect des ainés, aux religions, ont pu avoir pour effet de mettre les enfants au centre du sens de la vie, et donc de toutes les attentions ?

Oui mais c'est un phénomène beaucoup plus civilisationnel que cela.  Aujourd'hui nos enfants sont les enfants du désir alors que dans les années 60 lorsqu'on demandait à des femmes qui venaient d'avoir des enfants si ces derniers étaient souhaités, on s'apercevait qu'il n'y avait qu'à peu près 40% de réponses positives. Aujourd'hui on est à plus de 85%. Aujourd'hui vis-à-vis des enfants que l'on a, on ne sent plus uniquement un sentiment de responsabilité mais aussi un devoir de les épanouir, de les rendre le plus libre et autonomes alors qu'ils sont encore fragiles. Un enfant c'est fragile psychologiquement et ça doit être accompagné, guidé par des parents. A bien y réfléchir, il fallait évidemment remettre en question cette domination morale qui pouvait exister dans les années 40/50/60 mais on l'a abolis pour ne rien construire derrière si ce n'est une permissivité générale et une mise en égalité de tout avec tout le monde. Aujourd'hui le droit pour un enfant d'exprimer son opinion est quasiment le même que le droit de l'adulte.  

"Génération 'J’ai le droit'" de Barbara Lefebvre, aux éditions Albin Michel 

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