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La "malédiction" de la Reine des abeilles ? De nouvelles données précisent l’attitude (agressive?) des femmes de pouvoir face aux autres femmes de leur environnement professionnel
©Reuters

Reine Mère

La femme est-elle un loup pour la femme ? C'est en tout cas ce que semble montrer une récente étude américaine qui affirme que les femmes hiérarchiquement haut placées sont plus dures avec leurs subordonnées du même genre que ne le sont les hommes avec leurs subordonnés.

Atlantico : Qu'est-ce que le "Queen Bee syndrom" ?

Sarah Saint-Michel : Théorisée dans les années 1970 par Staines et ses collègues (1973), la notion de reine mère (Queen Bee chez les Anglo-Saxons) caractérise une femme occupant une position de pouvoir dans l’organisation, expérimentée et intransigeante, plus particulièrement à l’égard de ses collaboratrices. L’histoire de la reine mère est celle d’une femme ayant gravi les échelons, souvent avec difficultés et au prix de nombreux sacrifices, dans des environnements professionnels masculins. Cette femme aurait adopté tous les codes de conduite de son milieu professionnel (assertivité, domination, autorité) et exigerait à son tour des autres femmes des sacrifices, leur causant les mêmes difficultés qu’elle aurait dû surmonter pour accéder à sa position de pouvoir. La reine mère ne ferait dès lors montre d’aucune solidarité à l’endroit des autres femmes, bien au contraire : souhaitant conserver son statut qui lui procure un caractère unique et lui permet de régner au milieu de l’assemblée des hommes, elle aurait plutôt tendance à éliminer ou empêcher la progression des autres femmes.

La Queen Bee est souvent perçue comme trop autoritaire (trop masculine ?) par ses collaborateurs ; et parce qu’on attend des femmes qu’elles déploie de qualités dites féminines (douceur, bienveillance ou encore sensibilité aux besoins des autres), les Queen Bees apparaissent comme de « mauvaises femmes » et/ou comme des traitresses à la cause féminine et féministe. Et si ces mêmes comportements sont considérés chez un homme comme efficaces et légitimes, déployés par une femme ils suscitent dévalorisation et méfiance. 

A partir de l’étude et de vos connaissances du sujet, considérez vous que ce phénomène se vérifie vraiment en environnement de travail ?

Ma boss m’a longtemps présentée comme “la petite”, ce qui me flattait presque, tant je l’admirais. Mais, aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’elle a du mal à me laisser grandir et je suis révoltée qu’elle ne m’estime pas capable de prendre seule des décisions » (Propos recueillis dans le magazine Elle 2015). Infantilisées, tyrannisées, méprisées, tel serait le destin tragique de celles qui travaillent pour une femme de pouvoir. Le cinéma n’est pas en reste pour donner corps à cette croyance et proposer des archétypes de ces femmes tyranniques : ainsi de Meryl Streep incarnant la terrible directrice d’un magazine de mode prestigieux, Miranda Priestly, dans Le Diable s’habille en Prada

Il est indéniable de constater que sur le terrain, dans les entreprises, il existe des Queens Bees. En effet, plusieurs études viennent confirmer l’existence de tels comportements de la part des femmes ayant du pouvoir. Une étude menée en 2006 par deux professeurs espagnols, Rocio Garcia-Retamero et Esther Lopez-Zefra, souligne ainsi qu’il vaut mieux pour une femme avoir un supérieur homme. En effet, un certain nombre de femmes en position de pouvoir auront tendance à adopter une attitude plus sexiste qu’un homme et chercheront à bloquer les carrières de leurs followers. Ces nouveaux travaux révèlent comment les opinions stéréotypées émises par ces femmes expérimentées dans le milieu professionnel peuvent se révéler néfastes pour la réputation et la crédibilité des autres femmes. Le fait que ces critiques soient formulées par des femmes expérimentées envers d’autres femmes les rendent par ailleurs plus crédibles et légitimes que celles émises par des hommes à l’encontre des femmes. Ainsi desservent-elles, consciemment ou non, la cause des femmes et leur progression hiérarchique, ce qui in fine les conduit à obtenir un statut unique dans les postes de top management.

Comment expliquer de tels comportements ?

Pourquoi les Queen Bees agissent-elles ainsi ? Pour expliquer ce manque de solidarité de la part des femmes, certains avancent l’idée que pour parvenir à leur poste, ces femmes se sont conformées aux codes masculins du pouvoir (présentéisme, assertivité, autorité) et les ont intériorisés de manière naturelle. Elles exigent implicitement de leurs collègues féminines le même niveau d’investissement qu’elles et n’envisagent pas une remise en question du modèle. De plus, en adoptant tous les codes masculins du pouvoir, la Queen Bee s’inscrit dans une stratégie de compétition auprès de ses collègues, qui sont la plupart du temps des hommes.

En réalité, les choses sont plus complexes et surtout, elles ne se jouent pas qu’à un niveau individuel. Seules les femmes de pouvoir évoluant dans des organisations où la culture et le stéréotype du leader sont très masculins, où les rapports sont caractérisés par la compétition, l’individualisme ou l’agressivité, se comportent de façon compétitive, individualiste ou agressive – tout simplement parce que, voulant prendre le pouvoir, elles se conforment aux attentes de rôle valorisées par l'organisation (Saint-Michel, 2011). Si ces attentes de rôle sont masculines, il n’est pas étonnant de retrouver ces comportements chez les hommes et les femmes. Simplement, ils apparaissent comme plus saillants chez les femmes du fait que l’on n’attend pas ce type de comportement de la part d’une femme. En ce sens, si la Queen Bee doit être jugée « coupable » de quelque chose, c’est moins de méchanceté envers les autres femmes que d’une conformité dérangeante avec le modèle masculin de leadership et de réussite.

Les stratégies qu’il existe pour faciliter l’entraide féminine plutôt que ce type de comportement ?

Il faut tout d’abord réfléchir au modèle de leadership, de pouvoir que l’on souhaite valoriser dans son entreprise. S’il s’agit d’un modèle stéréotypé comme masculin valorisant la domination, le pouvoir et l’autorité ; il est évident que hommes et femmes vont vouloir s’y conformer pour progresser. Ce que l’on sait en revanche, c’est que lorsque ces mêmes comportements sont déployés par des femmes, celles-ci se trouvent alors dévalorisées comparativement à leurs homologues masculins qui agissent de la même façon. Face à ce constat, il convient donc de repenser les référentiels de leadership afin qu’ils soient davantage inclusif ; que hommes et femmes puissent se projeter dedans.

Ensuite, il est nécessaire de former les individus aux stéréotypes et biais de perception concernant les hommes et les femmes en matière de pouvoir, de leadership. Nous agissons tous à l’aide des stéréotypes, afin de classer et trier l’information. Il est nécessaire de déculpabiliser. Par contre, les études soulignent que lorsque les individus en prennent conscience, il n’agissent plus sous leur emprise. Ils prennent le temps de réfléchir pour ne pas formuler des décisions hâtives et biaisées. N’oublions pas, un même comportement déployé par un homme ou une femme ne sera pas perçu de la même façon en raison des stéréotypes ….

Enfin, les réseaux féminins permettent de créer une véritable cohésion féminine, afin d’ouvrir et de libérer la parole. Néanmoins, aujourd’hui il sont remis en question parce que trop clivant et pas assez inclusif à l’égard des hommes ; qui, soulignons le, peuvent être aussi victimes de biais de perception.

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