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Services de renseignement russes : une armée de l’ombre sur ou sous estimée par les Occidentaux ?
©Reuters

Russie de Poutine

Selon un article de Business Insider, les services d'intelligence russes comprendraient des effectifs compris entre 750 000 et 940 000 personnes. Des chiffres alarmistes très éloignés de la réalité.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Selon un article publié par Business Insider, les services d'intelligence et de sécurité russes présenteraient des effectifs compris entre 750 000 et 940 000 personnes, à comparer avec des effectifs de 16 000 personnes pour le Royaume Uni. Quelle est la réalité des chiffres présentés ? Comment comparer les effectifs des services russes avec ceux des États Unis, ou de la France ? 

Alain Rodier : Les chiffres avancés par Business Indider sont à prendre avec d’infinies précautions et, à mon avis, très exagérés. Des estimations - certes un peu anciennes - publiées par l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale, AASSDN, donnent 30.000 personnels au FSB, 13.000 au SVR et 10.000 au GRU, soit un total de 53.000. Même en rajoutant d'autres services et en faisant une péréquation, on reste très loin des chiffres donnés dans cet article. 

Son objectif est clairement de faire du Russia Bashing en démontrant que le "méchant" Kremlin ne fonctionne qu’avec des "services spéciaux" auxquels les pires turpitudes sont attribuées. Pour certains détails, je renvoie à mon petit livre "Grand angle sur l’espionnage russe" paru aux éditions UPPR en 2017 où je démonte quelques affaires célèbres.

Il est néanmoins vrai que les services russes sont importants en taille mais englobent des unités - comme les gardes frontières qui dépendent du FSB - qui, dans les autres pays sont subordonnées à d'autres administrations que celles des services. Les célèbres spetsnaz dont la majorité est rattachée au GRU seraient plutôt classés dans les "forces spéciales" dans d’autres pays. De nombreuses missions dévolues au FBI aux États-Unis sont du ressort du FSB en Russie.

Je ne rependrai donc pas les chiffres qui sont d’ailleurs extrêmement difficiles à vérifier car ils relèvent en Russie du plus grand secret et ne sont donc pas diffusés. Même chose pour les budgets.

La seule comparaison que l’on peut faire, c’est que pour 2018, les États-Unis ont prévu un budget de la défense (dont tous les services de renseignement ne dépendent pas) de près de 700 milliards de dollars contre 70 milliards de dollars pour la Russie. Il est vraisemblable que le rapport de un (pour la Russie) à dix (pour les États-Unis) se retrouve également dans le domaine des services de renseignements.

Quel rapport est il possible de faire entre "taille" des effectifs et efficacité des services ? Comment appréhender la "puissance de frappe" réelle, entre effectifs et efficacité, des services russes ? 

Ce n’est pas parce qu’un service est pléthorique qu’il est efficace. Je connais des petits services en taille qui sont particulièrement performants, voir la communauté du renseignement israélienne et une autre moins connue, celle des services suisses, mais qui se méfie de la Suisse ?

Pour moi, l’efficacité d’un service dépend des ordres et de la latitude d’initiative qui lui sont donnés par l’autorité politique suprême.

Pour parler simplement, actuellement, je ne crois pas que les 17 agences de renseignement américaines qui regroupent plus de 100 000 personnels sont très efficaces car ses rapports avec l’administration Trump sont pour le moins houleux. Ils n'ont pas le temps de faire du renseignement car leur première préoccupation est un combat politique intérieur. Ne donnons pas de leçons, ce fut aussi le cas en France au début des années 1960 !

Par contre, il est vrai que Vladimir Poutine que quelques officiers de renseignement français ont eu l’occasion de croiser à la fin de l’URSS (il avait alors fait une très forte impression par son sérieux et son professionnalisme), primo en tant qu’ancien officier du KGB « connaît la musique », secundo, ayant une vision géopolitique à long terme sait où il va. Il utilise donc ses services au maximum de leur rendement - et surtout, il les écoute -. En effet, il doit se rappeler que l’ancien KGB savait (presque) tout sur l’Occident. Pour mémoire, des anciens du KGB se rappellent de la France comme la "cour de récréation" pour Officiers traitants du KGB (et du GRU) qui s'y détendaient avant de passer à d'autres pays jugés comme plus "sérieux". Mais les rapports du KGB (et du GRU) n’ont pas été crus par les autorités politiques soviétiques qui voyaient la situation à travers leur prisme marxiste-léniniste.

Pour être tout à fait honnête, il faut constater qu'ils ont fait une erreur extraordinaire: croire à l'intoxication de la "guerre des étoiles" lancée par Ronald Reagan qui peut être comparée à l'opération Fortitude durant la Seconde guerre mondiale (qui a fait croire aux nazis à un débarquement dans le Pas de Calais et pas en Normandie). Suite à cette vaste intox, ils ont entrepris une course aux armements qui a amené la ruine financière de l'URSS.

Cela dit, il ne faut pas exagérer car, si l’on en croit les Anglo-saxons, les services russes (donc Poutine qui donne les ordres) sont derrière la prise de la Crimée (vrai), l’insurrection dans l’Est de l’Ukraine (vrai), l’élection de Trump (vrai et faux, le Kremlin ne voulait pas de Mme Clinton - considérée comme hostile à la Russie - à Maison Blanche mais n’importe quel autre candidat aurait fait l’affaire), le Brexit (peut-être mais cela fait aussi plaisir aux USA …), le référendum en Catalogne (difficile à croire, même à Madrid), l’intrusion dans l’équipe de campagne du candidat Macron (quand on veut montrer qu’on est important, dire que les services russes s’intéressent à soi est un plus !), etc. De toutes façons, quand quelque chose va mal, c’est de la faute à Poutine !

Dans les faits, il est parfaitement exact que le président Poutine et toute son administration, services secrets y compris, défendent les intérêts de la Russie et pas des grandes idées humanistes. Sous des dehors civilisationnels, les Américains faisaient la même chose jusqu’à maintenant. Aujourd’hui, c’est une autre affaire et un mystère (en gros, le président Trump le fait exprès ou il n’a aucune intelligence politique ?)

De toutes façons, il est très pratique pour les Anglo-saxons de désigner un ennemi terrible : l’ours russe.

Quant à l’Europe, elle semble un peu perdue car cela fait un certain temps que Bruxelles ne défend plus ses intérêts mais des grandes idées, certes généreuses et morales, mais l’Histoire a démontré à de multiples reprises que la politique étrangère n’a rien à voir avec la défense de la morale mais est faite de la défense d’intérêts bien compris.

Dans quelle mesure les services occidentaux doivent ils être "repensés", en fonction de ce qui peut apparaître comme une menace de résurgence de la guerre froide ?

En France, la mode est au retour à une politique gaullienne. C’est oublier un peu vite que tout n’était pas rose à l’époque malgré une économie flamboyante. Mais au moins le général s’appuyait à l’époque sur une certaine force (de frappe) indépendante pour se glisser entre les États-Unis et l’URSS en faisant prévaloir l’intérêt supérieur de la Patrie, notion qui lui était très chère. Elle s’accommodait d'ailleurs de petits (grands ?) arrangements avec la morale. Par contre, au risque de décevoir quelques nostalgiques, il n’avait que peu d’estime pour les services de renseignement officiels.

Pour répondre à votre question, en matière de renseignement, nous n'avons pas des services "amis" mais des services "étrangers" avec lesquels nous coopérons parfois pour faire face à des menaces communes tels le terrorisme et le crime organisé mais qui avec lesquels nous pouvons guerroyer sur d'autres sujets comme celui de l'économie. C'est d'ailleurs pour cette raison que la création d'un service de renseignement européen est une illusion tant qu'il n'y aura pas d'Europe politique centralisée et ce n'est pas demain la veille. Nous devons donc surveiller les services de renseignement russes - comme les autres -. C'est une mission classique de contre-espionnage. En gros, nous ne devons jamais faire confiance à personne. C'est triste à dire mais nous ne vivons pas dans un monde de bisounours mais de prédateurs. 

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