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Risques d'instabilité politique, économie "pétrole-dépendante" et baby boom : les immenses défis qui attendent une Algérie déjà mal-en-point
©Reuters

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Alors que le président Macron est en visite "express" en Algérie ce mercredi, le pays se trouve confronté à de multiples défis, sur le plan économique mais surtout social.

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, historien, est président du Laboratoire d’analyse des ideologies contemporaines (LAIC), et a récemment publié, On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation, Tallandier, Paris, 2020.

 

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Atlantico : Ce 6 décembre, Emmanuel Macron se rendra à Alger pour rencontrer Abdelaziz Bouteflika et  "souligner la profondeur et la densité des liens entre l'Algérie et la France". Au-delà de cette rencontre entre les deux chefs d'Etat, quelle est la situation actuelle de l'Algérie, du point de vue économique et social ? 

Pierre Vermeren La situation est incontestablement difficile même si les perspectives se sont un peu améliorées du fait de la légère remontée des prix du pétrole causée par les restrictions volontaires de l'Arabie Saoudite. Depuis la chute des prix il y a trois ans, l'Algérie a dépensé l'essentiel de son fonds souverain (réserves qui tournaient autour de 150 milliards de dollars), puis elle a dû tailler dans tous les programmes sociaux et d'investissement. Les salaires, pensions et allocations ont été réduits, et en janvier, normalement, le prix de l'essence à la pompe va être augmenté, ce qui inquiète les autorités : comment vont réagir les Algériens dans un pays où l'automobile est devenue reine? Cette économie reste fondamentalement rentière dans son modèle de développement, l'essentiel du budget de l'Etat et des impôts provenant de la rente pétrolière, qui permet aussi de financer les importations dans tous les secteurs. Les tentatives multiples pour sortir l'Algérie de ce modèle et donner naissance à un secteur privé innovant sont paralysées par la bureaucratie et la corruption, autant d'entraves dont les autorités ne parviennent pas, si elles le veulent vraiment, à se débarrasser.

Dans un tel contexte, et en conséquence de prix des hydrocarbures plus faibles que par le passé, peut-on évaluer le risque politique que pourrait représenter la disparition d'Abdelaziz Bouteflika ? Comment peut-on anticiper la stabilité politique du pays ? 

Il n'est évidemment pas possible de répondre à ces questions car l'avenir n'est jamais écrit. Pour l'instant le pays et le régime sont stables. La sortie de la guerre civile des années 1990 s'est faite par étapes et aujourd'hui les groupes terroristes ont pratiquement disparu d'Algérie. Le pays s'est beaucoup transformé en 15 ans d'investissements massifs même si, comme on l'a vu, le modèle économique du futur reste à inventer. Les Algériens n'ont pas un niveau de vie élevé, mais ils sont entrés pour beaucoup dans la société de consommation, ont acheté une voiture et un appartement, souvent à crédit plus ou moins remboursable, mais après? Il y a en Algérie comme dans le reste du Maghreb une très forte instabilité sociale, beaucoup de manifestations quotidiennes et de vraies poches de misère, notamment rurales. Le problème numéro un est l'absence d'emploi pour les jeunes. On parle de 30% de chômeurs… Et paradoxalement, le pays importe de la main d'oeuvre chinoise pour faire les grands travaux! Ce pays rentier a rendu sa population rentière, ce qui crée des attentes et des habitudes. Est-ce qu'une crise sociale pourrait naître de la succession présidentielle? C'est une hypothèse parmi d'autres, mais les Algériens redoutent la guerre civile (comme en Syrie) et la violence (ils ont connu 10 ans de terroristes). Ils ont la guerre à leurs portes (Sahel et Libye), ce qui est perçu par eux comme une vraie menace. La stabilité veut dire quelque chose pour une population qui reste traumatisée. Les Algériens espèrent que les dirigeants, ou plutôt le petit groupe dirigeant et les diverses forces de sécurité sauront s'entendre sur la suite des évènements et désigner un Président crédible. Ils savent qu'ils auront peu leur mot à dire, mais espèrent la stabilité. Le pire risque serait la dissension à la tête de l'Etat. Restera ensuite à faire rêver les Algériens (très désabusés) à des lendemains meilleurs, un vaste programme.

Selon les dernières statistiques disponibles, la natalité algérienne a été forte lors de ces dernières années, le nombre de naissance étant passé de 580 000 en 2000 à 1.1 million pour l'année 2016. Au regard de cette progression démographique, quels sont les défis qui attendent le pays pour cette prochaine génération ? 

Les défis sont immenses. Ce baby boom est supérieur à ce que la France a jamais connu, et l'Algérie sera plus peuplée que la France dans une génération, mais sans les ressources nécessaires, y compris les plus fondamentales (la terre, l'eau et l'énergie, qui tendanciellement va faire défaut). Les défis sont immenses. Soit les Algériens pourront rayonner dans la région, avec une Libye riche et stabilisée, un Maghreb ouvert dans lequel il sera possible de circuler et d'investir (rappelons que la frontière avec le Maroc est toujours fermée), et un Sahel lui-même démographiquement surchargé mais où tout sera à faire, soit on restera dans la configuration présente et l'avenir sera sombre. Ajoutons qu'il y a un défi scolaire et éducatif incroyable aussi. Car si les Algériens vont tous à l'école et par millions à l'Université, les compétences qu'ils y acquièrent restent très médiocres de l'avis de tous les observateurs. Dernier point, il faut voir si ce baby-boom est un rattrapage après la guerre civile, ou s'il est durable. S'il dure dix ans ou plus, il y a fort à parier que la situation va devenir très, très complexe. Le précédent en Egypte a conduit à une misère de masse et à la révolution. Mais seuls les Algériens peuvent choisir l'avenir qu'ils se réservent?

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