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Si l’envolée du Bitcoin est une bulle alors nous sommes dans la phase maniaque pré-crash
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Gare à atterrissage

Une frénésie boursière entoure actuellement le Bitcoin. Mais cette monnaie virtuelle est extrêmement volatile et "le ballon" pourrait dégonfler à tout moment.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Selon un article du Telegraph concernant la folie boursière qui entoure actuellement le Bitcoin, "si la hausse du Bitcoin est une bulle, nous en sommes à la phase maniaque précédent le crash". Alors que la volatilité qui accompagne le bitcoin a été importante au courant d'une semaine ou le stade des 11 000 $ a été franchi, quel est le niveau de risque de ce que Goldman Sachs considère désormais comme une "commodity" ? 

Philippe Crevel : L’Autorité des Marchés Financiers avait signalé en 2016 que 90 % des épargnants qui s’étaient égaré sur le marché des changes (FOREX) avait perdu de l’argent et pour certains de fortes sommes. Il est fort probable qu’il en sera de même pour le Bitcoin une cryptomonnaie dont le cours est loin d’être stable et prédictible. Pouvons-nous imaginer que la valeur de l’euro soit multipliée par plus de 10 en quelques mois ? Une monnaie est tout à la fois un étalon, un outil d’échange et de réserve. Il n’est pas un produit à vocation spéculative. C’est d’ailleurs pour cette raison que les monnaies ont été détachées de l’or en 1976 et que les changes flottants ont été institués.

Cette monnaie virtuelle créée en 2009 par un groupe d’informaticiens anonymes surnommé Satoshi Nakamoto connaît des fluctuations erratiques avec une envolée de son cours. Or, l’évolution doit reposer sur des considérations économiques rationnelles, l’augmentation du PIB, de la population, des gains de productivité, des échanges commerciaux…. Pour le Bitcoin, la transparence est dans les circuits intégrés mais pas chez ses créateurs.

Le bitcoin (de l'anglais bit, unité d'information binaire et coin « pièce de monnaie »), est une  monnaie cryptographique reposant sur le technique des blockchains. Il s’accompagne d’un système de paiement pair-à-pair. Le système fonctionne sans autorité centrale mais de manière décentralisée grâce au consensus de l'ensemble des nœuds du réseau. L’émission de bitcoins, plafonnée à 21 millions, est réalisée par des utilisateurs mettant à disposition leur puissance de calcul informatique afin de vérifier, d'enregistrer et de sécuriser les transactions dans la blockchain. Cette activité, appelée « minage » exige d’importants moyens informatiques et est fortement consommatrice d’énergie. A ce sujet, l'agence « Reuters » a estimé qu'en 2015 le réseau bitcoin consommait 43 000 fois plus d'électricité que les 500 ordinateurs les plus puissants en fonction dans le monde. En 2020, ce réseau aurait besoin de près de 14 000 mégawatts, ce qui représente la moitié de la consommation électrique de la Nouvelle Angleterre aux  États-Unis ou la totalité de la consommation du Danemark. Face aux coûts exponentiels de production, les créateurs de bitcoins se regroupent dans des « fermes ». En 2016, une dizaine de ces coopératives fournissaient 95 % des blocs. La Chine, tout en freinant l’utilisation du bitcoin, s’est spécialisée dans sa production (72 % du minage). La Russie a également décidé de développer le « minage » afin de concurrencer la Chine.

À terme, un changement d’algorithme sera de toute façon nécessaire pour limiter la consommation d’énergie. L’absence de transparence en matière d’émission constitue une autre faiblesse de la monnaie virtuelle. Au niveau de la fraude, en revanche, toutes les transactions sont censées être vérifiées par les nœuds du réseau et enregistrées dans un registre public réputé infalsifiable (principe du blockchain).

Pour revenir aux risques du Bitcoin, évidemment qu’au niveau de cours actuels, ils sont très élevés. L’éclatement du ballon peut arriver à tout moment. En la matière, pour les téméraires, le principe est de se tenir prêt à réduire à toute vitesse son exposition à cette cryptomonnaie.

Selon le Prix Nobel français Jean Tirole, le bitcoin est une "pure bulle" financière. Alors que cette vision semble être largement partagée, comment expliquer cette hausse ? Sait-on qui sont les investisseurs en Bitcoin ? 

Les fluctuations sur le bitcoin et sa récente appréciation génèrent une plus grande visibilité et incitent certains établissements financiers à proposer de nouveaux types placements en mettant en avant leur caractère rémunérateur. Le bitcoin est utilisé par un nombre croissant d’acteurs économiques. Ainsi, en 2017, plus de 100 000 sites Internet, dont PayPal, WordPress ou l’agence de voyage Expedia, l’acceptent comme moyen de paiement. La Croix-Rouge ou Greenpeace admettent également les dons en bitcoins. Il est même possible d’obtenir des bitcoins physiques auprès des 1 778 distributeurs installés dans plusieurs pays. En Europe, les Pays-Bas se sont dotés de 15 distributeurs. Le recours au bitcoin est intéressant pour les vendeurs qui bénéficient d’une sécurité de paiement ; par ailleurs, les frais qui évoluent en fonction du nombre d’opérations en cours, sont à la charge de l’acheteur.

Début novembre, CME Group a annoncé le lancement prochain de contrats à terme sur le bitcoin. Pour certains, l’émission de ces contrats conforte la légitimité de la monnaie virtuelle ; pour d’autres, elle est la preuve de son caractère hautement spéculatif.

Des entreprises, surtout des start-up, ont recours aux crypto-monnaies pour des levées de fond. Ce type d’opération, appelée Initial Coin Offering (ICO), repose donc sur une émission d’actifs numériques (des tokens, ou jetons) qui peuvent être échangés contre des crypto-monnaies pendant la phase de démarrage du projet. La rareté des tokens permet d’espérer des gains à leur revente, ce qui incite les investisseurs à figurer parmi les premiers arrivés. À la différence des actions classiques, les tokens ne représentent pas des parts de l’entreprise, mais des droits de tirage sur des monnaies virtuelles. En 2016, les ICO auraient permis de lever 200 millions d'euros. Pour cette année, certains avancent le chiffre de 6 milliards, soit plus que le crowdfunding en 10 ans.

Face à cet engouement , l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma) juge que cette envolée des ICO constitue un réel danger et en premier lieu pour les épargnants. L’organisme de contrôle européen juge les « Initial Coin Offerings » non régulées, volatiles, opaques et non éprouvées au plan technologique. Dans un communiqué, il a récemment déclaré que « les ICO sont des investissements extrêmement risqués et hautement spéculatifs » et qu'il y a « un risque d'une perte totale de votre investissement ». « Beaucoup de ces monnaies ou jetons (tokens) n'ont pas de valeur intrinsèque autre que (...) leur utilisation pour avoir accès ou recours à un service/produit », poursuit l'Esma qui, après les régulateurs suisse et américain, réclame à son tour un contrôle plus strict sur les crypto-monnaies. Plusieurs pays ont pris récemment des mesures pour limiter ou interdire l’usage des bitcoins. Ainsi, la Chine a interdit les échanges en bitcoins. La Corée du Sud a également pris des dispositions pour empêcher les levées de fonds payés en tokens. L’Algérie prévoit d’interdire toutes les monnaies virtuelles. Les autorités françaises pourraient également proposer un cadre juridique pour l’utilisation de ces monnaies. L’Autorité des marchés financiers français a récemment émis un appel à la prudence à la destination des épargnants qui pourraient être tentés par des offres de placement en bitcoins promettant sur Internet des rendements alléchant (500 % selon certaines publicités). L’AMF souligne que cette  monnaie virtuelle n’a pas de cours officiel et qu’elle est échangée sur un marché non réglementé. Elle indique, à juste titre, que le bitcoin est extrêmement volatil. Au sujet des ICO, l’AMF mentionne qu’ils présentent « tous les risques liés aux monnaies virtuelles : perte de capital, volatilité des taux, illiquidité, absence d’information claire et détaillée sur le placement, absence de réglementation, risque d’arnaque, auxquels s’ajoute le risque de non réalisation ou d’absence de succès du projet ».

A l’origine, le bitcoin visait à s’affranchir des circuits financiers traditionnels au moment de la Grande Récession de 2008. Son caractère digital et mondial lui a assuré un certain succès tant dans la sphère légale que dans celle des activités mafieuses. En ressemblant plus aux bulbes de tulipes au tant de la « Tulipomanie » de 1837 qu’à un étalon monétaire, le bitcoin risque de perdre en crédit. Le rapport de 2015 de la CIA sur l’État du monde à 30 ans soulignait le risque qu’un réseau comme Facebook batte monnaie. Les conséquences de déstabilisation de l’économie étaient jugées si importantes que la préconisation était l’interdiction d’une telle émission

Existe-t-il des précédents à une telle poussée boursière pour un actif qui est pourtant vu avec dérision par autant d'acteurs ? Existe-t-il aussi des contre exemples, ou des actifs "moqués" se seraient finalement imposés au marché ? 

Oui, les bulbes de Tulipe en 1637. La première grande crise spéculative des temps modernes a été provoquée par les bulbes de tulipe, la « tulipomanie » qui se produit dans le nord des Provinces-Unies (les Pays-Bas d’aujourd’hui) qui connaissent alors grâce à leurs activités commerciales, à la liberté de culte et d’opinion, une réelle prospérité. La croissance des Provinces Unies reposait en partie sur les Compagnies maritimes (Compagnie néerlandaise des Indes Orientales et Compagnie des Indes Occidentales) qui couvrent un territoire allant des Amériques aux Indes en passant par l’Afrique occidentale. Grâce aux échanges commerciaux, la tulipe qui est cultivée dans l’Empire Ottoman est importée aux Pays-Bas par Charles de l’Ecluse. Les Néerlandais s’amourachèrent de cette fleur et en particulier celles qui avaient des pétales tigrées. Ces dernières étaient plus difficiles à cultiver car elles devaient être au préalable contaminées par un virus. La production de tulipes s’étalait sur près de 10 mois, les plantations se déroulant à l’automne quand la cueillette s’effectuait entre juin et septembre. Les Néerlandais friands de tulipes achetaient à terme, par exemple au mois de juillet pour la recevoir au mois de juin de l’année suivante. Ces contrats à terme donnèrent lieu à la création de nouveaux produits financiers, les options et les dérivés. Ainsi, un Néerlandais achetait un bulbe de tulipe à un prix de 100 au mois de juillet sachant qu’il pourrait le revendre 200 un an plus tard. Il était également possible d’acheter des parts de bulbe comme aujourd’hui il est possible d’acquérir des parts d’actions. Les producteurs face à une demande croissante ont augmenté rapidement les prix. Cette envolée des tarifs était facilitée par l’enrichissement évoqué ci-dessus. L’arrivée de l’or des Indes générait une forte inflation qui rendait difficile l’appréciation de la valeur des biens. En quelques années, le prix du bulbe fut multiplié par plus de 30. En 1635, 40 bulbes valaient 100 000 florins de l’époque soit environ 25 000 euros d’aujourd’hui. La multiplication des options aboutit à des commandes de bulbes sans commune mesure avec la demande réelle d’autant plus que l’envolée des prix limitait le nombre d’acheteurs potentiels. En 1637, un mouvement de correction s’opéra avec une chute des prix. De nombreux acheteurs de contrats et d’option durent acheter à vil prix les tulipes sans pouvoir les revendre, ce qui entraîna de nombreuses faillites.

Bien d’autres crises ont été occasionnées par des folies spéculatives. Les chemins de fer, les compagnies maritimes le canal de Panama, les terres agricoles, l’immobilier et évidemment Internet en 2000 ont donné lieu à des bulles spéculatives.

A contrario, il arrive que les sources de ces bulles puissent quelques années après être à l’origine de belles affaires mais elles sont moins nombreuses que les scandales. 

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