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Quand la Cour des comptes provoque la fureur des médecins libéraux
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Potion amère

Dans un rapport dénonçant les déficits de l'Assurance maladie publié ce mercredi, la Cour propose d'adopter plusieurs mesures coercitives envers les médecins, afin de réaliser des économies et de mettre fin aux déserts médicaux.

Jean-Paul Hamon

Jean-Paul Hamon

Jean-Paul Hamon est président de la Fédération des médecins de France.

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Atlantico : Qu'avez-vous pensez des propositions de la Cour des comptes concernant les hôpitaux et la question de la relation de ceux-ci avec les villes ?

Jean-Paul Hamon : Les solutions que nous proposent tous ces beaux hauts-fonctionnaires sont un petit peu ringardisées et pour tout dire décevante. Ils auraient pu insister sur le fait que la démographie libérale est complètement désastreuse. Et proposer autre chose pour la collaboration vitale qui s'impose aujourd'hui. Normalement il devrait s'agir de gens qui savent compter. Ils savent donc que l'hôpital s'épuise dans des tâches qui n'ont rien d'hospitalières. Et ce du fait de la tarification à l'activité, et du fait bien entendu du remboursement de leurs dettes qui sont colossales, et qui s'élèvent aujourd'hui à 24 milliards d'euros. Nous avions demandé d'effacer la dette hospitalière et de supprimer l'AD2A.

Au lieu de cela, ils ne proposent que de baisser la tarification à l'activité. Mais l'urgence de la situation, qui impose une vraie collaboration entre la ville et l'hôpital, de façon d'arrêter de générer des dépenses colossales - rappelons que la France dépense 15% de plus que la moyenne européenne, pour un coût de 18 à 20 milliards - c'est de réorganiser le système de soin. On attendait dans cette perspective autre chose de la part de la Cour des Comptes qu'une régulation de l'installation des médecins en zone dite "surdotée". La Cour des comptes ne doit quand même pas ignorer que Paris a perdu 25% de ses médecins généralistes en 10 ans, et que dans les 8 ans à venir, il va y avoir 25% de généralistes en moins. 

Donc oser proposer des mesures totalement ineptes montre que ces grands magistrats ne sortent pas souvent de la rue Cambon.

Le revers de ce problème dans ce rapport n'est-il pas la question de la désertification médicale ?

Sur les déserts médicaux, encore une fois, c'est relativement simple. J'ai eu l'occasion de me rendre dans un de ces "déserts", à Royère-de-Vassivière dans la Creuse, où la population est extrêmement disséminée sur un large territoire, les médecins de Vassivière se sont entendus avec les autres communes et plutôt que de faire une maison de santé, chose à la mode qui aurait imposé au patient de faire jusqu'à 40km pour venir dans cette maison, ils ont partagé leurs fichiers, répartis leurs vacances et demandé au maire de loger les internes pour que ces derniers puissent découvrir un exercice libéral de proximité qui est passionnant à exercer. Ces quatre médecins ont actuellement deux collaborateurs libéraux qui sont d'anciens internes. La Fédération des Médecins de France propose de doubler le salaire des internes qui iraient faire leurs stages dans ces déserts médicaux, propose de les loger et de payer leurs transports. Ces mesures-là sont efficaces, à Royère-de-Vassivière où ces médecins touchent des petites primes et sont logés, en Corse où les internes ont un salaire doublé, la démographie redémarre. Et à Belle-Ile-en-Mer, où ils sont logés, la démographie est passée en cinq ans de 3 médecins installés à 8 médecins installés. Ce sont des mesures qui fonctionnent, et que la Cour des Comptes aurait bien fait de tout simplement ignorer, et même aurait dû valoriser.

Quant est-il de l'organisation des urgences ?

La Cour des Comptes devrait savoir que 15% des passages se font aux heures de permanence des soins (de 20h à 8h du matin). A ces heure-là, les urgences ne sont pas débordées. Or je peux vous donner l'exemple parlant d'une maison de garde communale située à Clamart qui est notoirement connue pour être sous-fréquentée, avec 4000 passages pour 300.000 habitants, parce que les gens continuent de s'entasser à l'hôpital, parce que les directeurs d'hôpitaux ne sont pas encouragés à réguler les urgences hospitalières puisqu'ils perçoivent à chaque passage 250 euros de Mission d'intérêt général. Au lieu de faire des propositions inutiles, régulons l'accès aux urgences hospitalières, faisons en sorte qu'en journée, là où se font 85% des passages aux urgences, nos médecins libéraux aient les moyens d'accueillir correctement les patients qui n'ont strictement rien à faire aux urgences et on parle de 15 milliards selon l'Igas -nous estimons pour notre part qu'ils sont 10 milliards qui relèvent d'une médecine de ville qu'elle soit générale ou spécialisée. Cela permettrait à la collectivité de faire 3 milliards d'économie d'une part. Et d'autre part en donnant à ces médecins les moyens d'accueillir correctement ces patients qui ont de la fièvre, des douleurs, qui saignent, qui nécessitent une suture etc., on régulerait singulièrement l'accès à l'hôpital et on relancerait la médecine de ville. C'est pour cela que quand la Cour des Comptes dit qu'il faut organiser la permanence des soins de médecine libérale pour soulager les urgences, on se demande s'ils regardent correctement les statistiques !

Car quand on avait proposé à Nicolas Revel, directeur de l'Assurance Maladie de doubler le prix de la consultation des soins non-programmés qui viendraient dans nos cabinets, cela permettrait effectivement à Nicolas Revel de dépenser 25 euros, mais cela empêcherait aussi la collectivité de dépenser 250 euros. C'est ce que l'AMF appelle une convention structurante. Malheureusement, il ne nous a pas suivis sur ce point-là : les patients continueront de s'entasser dans les urgences, et la Cour des Comptes continuera à produire des rapports ineptes.

L'autre point important est que ce rapport présente les dépassements d'honoraires comme un frein à l'accès au soin. Qu'en pensez-vous ?

Je vous rappelle que depuis 2004 il y a une loi sur les médecins traitants qui vous oblige à avoir un médecin généraliste. Sur le territoire, 93% des médecins généralistes sont en secteur 1 et affichent des tarifs proposables. Et que si j'ai un patient qui à une mutuelle du type de la MGEN qui me rembourse aucun déplacement, je préviens mes correspondants en leur disant de faire attention. Quand je vois les chirurgiens qui pratiquent un dépassement d'honoraire de 30 à 40% sur la moyenne de leur activité... Ils font 70% en tarif opposable. Ils ne pratiquent les dépassements que sur les patients capables de rembourser. Cessons de dire que les dépassements d'honoraire sont un frein à l'accès au soin. Et la Cour des comptes aurait quand même pu souligner que s'il y a dépassement d'honoraire, c'est que l'Etat s'est désengagé depuis longtemps d'augmenter les tarifs opposables. Je prendrai simplement l'exemple de la vésicule biliaire qui il y a 25 ans était remboursée de 145 euros et qui 25 ans plus tard est remboursée de 285 euros. Ce sont pourtant des chirurgiens en secteur 2 qui ont mis au point la célioscopie qui permet au patient de ne plus sortir avec 20 cm de cicatrice et 10 jours d'hospitalisation mais 5 petits trous et le soir-même! Et bien ce sont ces chirurgiens qui ont fait gagner à collectivité 10 jours d'hospitalisation qu'on traite d'escrocs quand ils osent prendre 600 ou 1000 euros de compléments d'honoraires alors que les frais ont singulièrement augmentés en 20 ans. On aurait aimé que la Cour des Comptes souligne le niveau indigent des tarifs remboursés par la Sécurité sociale. Je rappelle que la consultation en France est à 25 euros depuis peu, mais que la moyenne européenne reste entre 40 et 45 euros.

Et que pensez-vous du projet d'Agence Nationale Sanitaire ? Ne s'agit-il pas encore d'un énième "machin"?

C'est une idée qu'ils ont piqué à François Fillon, paix à son âme. Quand j'entends ça, je pense au mille feuilles à la française. Les communautés de commune n'ont pas permis la diminution des emplois municipaux. L'unification des régions a rajouté une celulle de coordination entre les deux régions réunies etc... Si l'Agence Nationale de Santé consiste de rajouter une couche de fonctionnaires, je pense qu'il faut tout de suite abandonner ! A moins qu'on change radicalement de logiciel.

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