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Euro-pessimisme : ces bonnes nouvelles qui ne sont qu’une embellie en trompe-l’œil pour l’Union
©Pixabay

Mirages européens

Entre le règlement probable du Brexit, la perspective d’une coalition entre la CDU et le SPD en Allemagne ou encore les listes transnationales aux européennes, les "heureuses" nouvelles semblent s'accumuler pour l'UE ces derniers jours. Mais ces évolutions peinent en réalité à dissimuler la crise de fond traversée par l'Europe, et la multiplication des lignes de fracture.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Yves Bertoncini

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini est consultant en Affaires européennes, enseignant à l’ESCP Business School et au Corps des Mines.

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Modification du mode scrutin en France pour une plus grande lisibilité des élections européennes, ouverture du SPD à des négociations en Allemagne en vue de la formation d'une nouvelle grande coalition, accord probable sur le montant du Brexit… Les "bonnes" nouvelles européennes semblent s'accumuler au cours de cette semaine. Peut-on réellement partager cet optimisme qui se dégage de cette conjoncture ? En quoi les problématiques soulevées ici pourraient être plus profondes qu'il n'y paraît ?

Yves Bertoncini :Le contexte européen est sans nul doute meilleur qu’il y a deux ans, mais les « nouvelles » que vous évoquez ne sont pas toutes aussi bonnes qu’annoncées pour l’UE.

La perspective d’une coalition pro-européenne en Allemagne est assurément la plus décisive : le retour de la grande coalition CDU/CSU-SPD ou la  formation d’une coalition minoritaire CDU/CSU-Verts soutenue par le SPD permettraient à la France et à ses partenaires de trouver à Berlin des interlocuteurs clairement engagés dans la poursuite de la construction européenne. Attention cependant à ne pas surestimer leur dynamisme européen : l’Allemagne a déjà beaucoup concédé dans la période récente, notamment pour tout ce qui relève de la zone euro, et il lui faudra du temps pour s’engager pleinement en matière de sécurité et de défense.

L’accord qui se dessine pour acter le divorce entre le Royaume-Uni et l’UE est une condition minimum pour commencer les négociations sur le futur partenariat entre ce pays et le continent. Et c’est là que les vraies difficultés vont commencer, y compris du point de vue de la cohésion des 27 autres Etats-membres, qui n’ont pas tous les mêmes intérêts et aspirations.

Quant à la renationalisation annoncée du scrutin européen en France, il ne s’agit pas d’une « bonne nouvelle » mais d’un retour en arrière : des élus hors sol, coupés de tout ancrage territorial ; une plus grande fragmentation de notre représentation parlementaire à Strasbourg, positive en termes de pluralisme partisan mais très négative pour l’influence française ; des élections qui vont encore plus faire office d’élections intermédiaires nationales, centrées sur l’approbation ou non du pouvoir en place… Mieux vaudrait régionaliser le mode de scrutin en s’appuyant sur les nouvelles collectivités à « dimension européenne » récemment créées : la France n’est pas une circonscription, les Hauts de France et l’Ile de France ont vocation à l’être.

Rémi Bourgeot : On peut en premier lieu rester circonspect face à la tendance générale à déceler des inflexions importantes d’une semaine à l’autre, si ce n’est jour après jour, dans les évolutions aussi bien politiques qu’économiques. Quelque soit l’inspiration qui la guide, cette approche suit les travers de l’analyse de marché, alimentée par un flot de nouvelles et de surprises pas toujours si surprenantes...

On peut difficilement dire que les nouvelles évoquées constituent un début de nouvelle donne positive pour l’Europe. L’ouverture du SPD à une nouvelle grande coalition est dictée par l’impasse qui règne en Allemagne dans les négociations en vue de former un gouvernement et les craintes d’une donne similaire en cas de nouvelles élections. Au soir de l’élection, face à la déroute de son parti, Martin Schulz n’avait eu d’autre choix que d’affirmer qu’il siégerait dans l’opposition, fermant la porte à un nouvel accord avec le bloc conservateur CDU-CSU d’Angela Merkel. Sous la pression du Président fédéral Frank-Walter Steinmeier, lui-même issu du SPD (et ministre jusqu’à récemment d’Angela Merkel), les sociaux-démocrates s’ouvrent à des négociations. Cela peut permettre d’aboutir à la formation d’un gouvernement, mais ne règle rien au fond de la crise politique qui affecte l’Allemagne. Et il serait léger de se réjouir d’un nouvel accord bancal, de nature technique. Le fond du problème réside dans la crise de représentativité démocratique, avec la confusion qui domine le positionnement des partis et en particulier d’Angela Merkel qui prend des idées un peu partout et n’a pas dessiné de programme cohérent. L’entrée massive de l’extrême droite au Bundestag est un symptôme de cette crise de fond, à laquelle un nouvel arrangement entre les principaux partis n’apportera pas de solution véritable.

Il est périlleux pour l’Europe, face à la lame de fond de la crise de représentativité qui la traverse de s’adonner à une attitude de spectateur de crise en crise, en multipliant les expressions de soulagement de faible durée sur le mode de la « gestion de crise », logique qui domine le paysage institutionnel et étouffe les débats de fond.

En ce qui concerne le Brexit, on ne peut que constater une volonté ancrée des deux côtés d’aboutir à une relation approfondie qui ne remette pas en cause le fond des échanges commerciaux. Les négociations sont bel et bien chaotiques et les sujets de désaccord, notamment financiers, difficiles à résoudre, mais cela ne signifie guère que quiconque souhaite une issue sans accord et nous avons donc à faire, à divers égards, à une forme de mise en scène. Au final, les Européens voudront s’assurer que le Royaume-Uni paye le prix de l’affront, en devant sacrifier certaines activités financières en particulier. Mais le Brexit représente une menace de fond pour une Union européenne traversée par une multitude de crises. Une rupture véritable serait inadmissible pour un certain nombre de pays d’Europe du Nord sur le plan économique et, politiquement, un véritable échec des négociations serait désastreux pour l’Union européenne dans son ensemble. Les négociations sont chaotiques du fait du marasme politique auquel Theresa May est confrontée à Westminster et du cadre de négociation invraisemblable qui a été fixé par la partie européenne, avec un négociateur, Michel Barnier qui n’a pas de véritable mandat pour négocier et doit se contenter d’encadrer les différentes étapes par la production de rapports d’avancement.

Brexit, Europe centrale, fragilité des partis socio-démocrates, élections italiennes etc... Quels sont les points de blocage les plus importants pour avancer dans cette "nouvelle" Europe ? Ces points ne sont-ils pas sous-estimés par les différentes parties en présence ?

Yves Bertoncini : Laissons l’exception britannique de côté : les autres peuples de l’UE ne veulent pas la quitter. Nombre de citoyens sont eurosceptiques mais il n’y a nulle part ailleurs de majorité europhobe, y compris en Europe centrale.

Pour autant, les crises de copropriétaires qui secouent l’UE depuis plus d’une décennie sont loin d’être surmontées : les tensions et clivages liés à la crise de la zone euro et à la crise des réfugiés sont toujours vivaces – on le voit bien en Italie par exemple. Et d’autres crises de copropriétaires sont en germe, notamment autour du respect de l’Etat de droit et des valeurs européennes, mais aussi en vue de la refonte du budget européen – sans oublier la gestion du marché unique, comme l’illustrent les crispations sur le travail détaché ou l’autorisation du glyphosate…

Ces clivages ne divisent pas seulement les Etats mais les peuples de l’UE : ils ne doivent donc pas être sous-estimés et ne pourront être surmontés que si les Européens regardent davantage par les fenêtres de leur maison commune, s’ils se tournent davantage vers le monde extérieur pour y affirmer leurs intérêts communs, s’ils passent de l’introversion à l’extraversion – vaste programme

Rémi Bourgeot : Nous assistons à la multiplication des lignes de fracture en Europe au fur et à mesure que les partis en place sont remis en cause et que les déséquilibres entre pays européens se retrouvent à nu. La crise politique allemande est une donnée fondamentale, car elle invalide l’idée, somme toute curieuse, que l’Union européenne représenterait un havre de stabilité en étant centrée sur une Allemagne vue comme phare de l’ordre mondial libéral. La mythologie que l’Europe s’est construite a atteint le stade d’un déni particulièrement préoccupant alors que partout, à l’échelle nationale, le statu quo politique s’érode, voire s’effondre. La vague populiste ne s’est pas évanouie sur les rives de l’Europe continentale ; elle y fait plutôt l’objet d’un déni que les « accidents électoraux » allemand, tchèque, autrichien et autres mettent à mal mois après mois. L’effondrement du statu quo politique se manifeste par la dégringolade particulièrement manifeste des sociaux-démocrates, mais le phénomène touche l’ensemble des partis traditionnels.

Le rebond de la conjoncture européenne est appréciable mais bute sur des failles et divergences économiques en tout genre qui repose en particulier sur les déséquilibres entre pays européens. Le déni quant à la crise politique qui secoue l’Europe retarde un véritable rééquilibrage.

Quelles sont encore les sources d'optimisme pouvant permettre un réel retour européen ?

Yves Bertoncini : Le contexte géopolitique actuel est porteur pour la construction européenne, car nous devons affronter de nombreux défis face auxquels « l’union fait la force » (changement climatique, terrorisme islamiste, guerres et crises dans notre voisinage, migrations incontrôlées etc.) Et le comportement erratique de Donald Trump  pousse les Européens à « prendre leur destin en main » comme l’a souligné Angela Merkel. Un tel contexte géopolitique est propice à une relance de la construction européenne, notamment en matière de sécurité collective, à l’heure où le Brexit débloque lui aussi les choses en matière de défense européenne.

L’élection d’Emmanuel Macron a  par ailleurs un impact très favorable, d’autant plus qu’il a exposé une vision ambitieuse et de long terme pour la construction européenne. A lui de mettre toute son énergie dans la promotion d’initiatives incluant l’ensemble des Etats de l’UE, faute de quoi le tropisme français pour une « Europe à géométrie variable » reprendra le dessus, au risque d’aggraver les tensions avec les pays se sentant exclus. Last but not least, il lui reste aussi à ne pas laisser croire que l’Europe pourrait être une « France en plus grand » et à obtenir des résultats concrets en termes de redressement national pour conserver tout son crédit auprès de ses partenaires - là aussi, vaste programme.

Rémi Bourgeot : Alors que le discours européen s’est focalisé sur les questions de bond en avant institutionnel, les crises politiques tous azimuts et les blocages fondamentaux qui s’expriment à ce sujet en Allemagne obligent à une approche beaucoup plus concrète de la coopération européenne. La zone euro en particulier ne peut connaître un parachèvement institutionnel dans le contexte politique que connait l’Europe. Nous pourrions voir une source d’espoir dans le développement d’une approche moins abstraite qui se concentre sur une coordination véritable et une sortie de la logique de la compression à tout va, en particulier sur le plan des investissements et des politiques technologiques. Il est encore probablement tôt pour voir une ligne réaliste prendre corps, mais l’option du déni à tendance euphorique ne cesse de perdre en crédibilité. Une brèche est peut-être en train de s’ouvrir, bien que l’inertie institutionnelle soit telle que les moyens humains pour une réorientation réelle font défaut.

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