Quel poids réel pour cette mafia devenue plus discrète que Toto Riina laisse en héritage à la Sicile ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Quel poids réel pour cette mafia devenue plus discrète que Toto Riina laisse en héritage à la Sicile ?
©Alessandro FUCARINI / AFP

Le parrain

En perte de vitesse face à sa rivale calabraise, la mafia sicilienne a profité des déboires de la droite pour se trouver un nouvel allié de poids sur ses terres.

Stéphane Quéré

Stéphane Quéré

Diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II, Master II "Sécurité Intérieure" - Université de Nice. Animateur du site spécialisé crimorg.com. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre / "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

Voir la bio »

Atlantico : A la mort de Toto Riina, chef de la Cosa Nostra et enfant de Corleone, comment se porte la célèbre mafia sicilienne ?

Stéphane Quéré : Cosa Nostra a connu son apogée avec les assassinats des juges Falcone et Borsellino en mai et juillet 1992 puis les attentats de 1993 à Rome, Florence et Milan, une stratégie terroriste justement initiée par Salvatore "Toto" Riina. Mais cette stratégie de rupture, dans une Italie plutôt habituée à un "modus vivendi" avec les organisations mafieuses (dans un contexte de Guerre Froide, les mafias étant utilisées comme instruments anti-communistes), a provoqué une forte réaction des pouvoirs publics. Des boss et des "soldats" ont été arrêtés et condamnés, dont Toto Riina en janvier 1993 et son successeur, Bernardo Provenzano (plus "conciliant"), en avril 2006. Des lois ont été votées (ou, enfin, appliquées ou encore mieux appliquées...) : loi 41 bis sur le régime d'incarcération des mafieux, confiscation et saisie de biens, dissolution de conseils municipaux,... Plus globalement, on constate aussi une prise de conscience d'autres pays du risque mafieux. 

Cosa Nostra a connu d'autres périodes de "crise" de ce genre et elle a préféré adopter profil bas en attendant des "jours meilleurs". La structure organisationnelle de Cosa Nostra permet en effet de résister, même si celui que l'on désigne comme le successeur probable de Toto Riina à la tête de l'organisation, Matteo Messina Denaro (en fuite depuis 1993), perd petit à petit son réseau de soutien. Les autorités annoncent chaque année son arrestation prochaine...

Plus discrète, Cosa Nostra a également changé son soutien politique : alliée historique de la Démocratie-Chrétienne (disparue avec la fin de la Guerre Froide), Cosa Nostra a sans doute, selon plusieurs magistrats, favorisé la création du parti Forza Italia, de Silvio Berlusconi.

Où en est la mafia sicilienne dans sa lutte pour la suprématie sur la Botte et dans les secteurs les plus lucratifs de l'illégalité, lutte qu'elle a mené avec les autres mafias depuis des années ?

Il n'y a pas de lutte entre les mafias du sud de l'Italie, où même avec les autres organisations criminelles transnationales. Il peut y avoir une "concurrence" mais pas une "guerre" entre mafias. Le plus souvent, on constate une collaboration entre réseaux : Cosa Nostra et 'Ndrangheta travaillent ensemble dans le trafic de cocaïne en Amérique du Sud ; l'influence de la 'Ndrangheta est historique sur la Sacra Corona Unita ; les siciliens, calabrais et albanais travaillent ensemble dans le trafic de drogue à Milan ; la Camorra organise la contrebande avec les réseaux chinois ;...

Il semble toutefois que la 'Ndrangheta, la mafia calabraise, soit actuellement la principale menace mafieuse en Italie voire en Europe. Elle a profité de l'affaiblissement (temporaire ?) de Cosa Nostra et de sa sous-estimation par les autorités (elle était considérée comme une mafia archaïque, rurale,...). Mais il reste difficile d'établir un "palmarès des mafias", tant la situation peut évoluer rapidement. Et leurs comptes ne sont pas certifiés par des commissaires aux comptes...

Entre l'excommunication du pape et la lutte importante menée par les pouvoir publics depuis quelques temps, quel impact a pu avoir la société civile sur la forme de la mafia locale ? Qu'est-ce que peut nous apprendre par exemple la victoire de la droite de Silvio Berlusconi en Sicile au début du mois, le président étant souvent accusé de proximité avec certaines têtes mafieuses ?

Les grands attentats de 1992-1993 ont en effet provoqué une forte réaction dans l'opinion publique, notamment en Sicile. L'Eglise Catholique a enfin pris position en mai 1993 lors d'un voyage du Pape Jean-Pal II en Sicile, depuis cette forte opposition a été reprise par le Pape François. Localement cependant, notamment en Calabre, certains prêtres ont encore du mal à gérer les processions religieuses qui organisent des "haltes" d'hommage aux boss... Du côté de la population, les associations anti-racket sont montées en puissance (notamment en Sicile, moins en Calabre) avec l'apparition d' "Addio Pizzo" ("un peuple entier qui paye le pizzo est un peuple sans dignité"), association créée par des jeunes siciliens. Les mafieux ne se sont pas opposés à cette "nouvelle résistance" mais des cas d'infiltration des comités anti-racket par les mafieux ont été signalés.

A côté de ces bonnes nouvelles, on constate en effet les succès d'élus réputés proches de la mafia, malgré un contrôle préventif et systématique mis en place par les autorités antimafia lors des récentes élections régionales du 5 novembre dernier. Le succès du décret de 1991 permettant la dissolution de conseils municipaux pour infiltration mafieuse (plus de 210 dissolutions, certaines concernant plusieurs fois la même commune) illustre en parallèle l'influence des organisations mafieuses sur LEURS territoires, permettant ainsi de contrôler les appels d'offres des marchés publics. Donneurs d'emplois, les mafieux ont aussi un rôle social important...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !