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Réchauffement : polémique autour d’une très vaste étude sur l’impact que le dérèglement climatique provoque(rait) d’ores et déjà sur la santé publique
©Reuters

Critique

Une note de snthèse publiée par la revue médicale The Lancet apour but de chiffrer l'impact sur la productivité des individus du réchauffement climatique. Un calcul audacieux qui n'a pas forcément lieu d'être.

Jean-Paul Maréchal

Jean-Paul Maréchal

Jean-Paul Maréchal est Maître de conférences en Science économique à lUniversité Paris Sud. Il est l'auteur de l'ouvrage Chine/USA. Le climat en jeu, Paris, Choiseul, 2011, 116 p.

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Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : "On va vers la catastrophe si on ne change rien" déclarait cette semaine le secrétaire général de l'ONU Antonio Gutteres. Dans la foulée une note de synthèse de la revue médicale The Lancet s'est lancé dans le périlleux exercice de chiffrer l'impact économique du réchauffement climatique aujourd'hui en s'attardant sur les conséquences sur les individus et leur productivité. Pourquoi est-ce un calcul bien difficile à réaliser ? .

Jean-Paul Maréchal : Effectivement chiffrer les conséquences du réchauffement climatique sur les individus et leur productivité est difficile. Sur les individus est-ce que l'on parle de décès prématurés, de maladies, de frais de soin… Ce qui est compliqué c'est que face à un phénomène progressif et pour le moment cantonné à quelques dixièmes de degrés je ne vois pas comment isoler cette cause-là de l'ensemble des facteurs environnementaux préjudiciables à la santé humaine.

Il est difficile d'isoler le réchauffement climatique dans la mesure où ce dernier est une modification du climat qui va se manifester à certains endroits par une hausse, baisse des températures ou phénomènes météorologiques extrêmes.  Lorsque l'on a un typhon on dit que l'accumulation de ces derniers et l'augmentation de leur intensité on peut dire que c'est possiblement à cause du réchauffement climatique mais il est difficile d'affirmer que tel ou tel typhon n'aurait pas eu lieu sans. Vous ne pouvez pas démontrer.

The Lancet s'est donc lancé dans un calcul difficile à faire qui pose des questions méthodologiques. L'effet sur la productivité par exemple, très franchement je demande à voir en tant qu'économiste dans la mesure où on a déjà beaucoup de mal à calculer la productivité tout simplement.

La productivité est d'autant plus difficile à calculer dans la mesure où on est dans des systèmes économiques qui reposent en Occident plus sur le service. Imaginez la difficulté de calculer cela à l'échelle mondiale.

Oui le réchauffement va avoir des coûts humains et économiques.  Il fera plus chaud dans les usines dans le Sud de l'Italie d'ici 50 ans et cela aura une incidence sur la productivité évidemment. Mais la mesure des conséquences est très délicate voire impossible.

Stéphane Gayet : Quand on s’intéresse aux conséquences du réchauffement climatique sur la productivité des individus, il faut bien distinguer les conséquences directes des conséquences indirectes.

S’agissant des conséquences directes, la variation de la productivité de l’homme en fonction de la température ambiante est un sujet à la fois un peu tabou et fort complexe. Un peu tabou, dans la mesure où la plupart des personnes sont payées non pas à la tâche, mais à l’heure. Or, il est facile de comprendre qu’un ouvrier du bâtiment n’a pas la même productivité en travaillant par une température de – 10°C, de 20°C ou de 38°C. Fort complexe car, d’un côté, plusieurs paramètres interviennent, comme le taux d’humidité et les conditions environnementales de travail autres que la température ; d’un autre côté, les hommes, au fur et à mesure que la température ambiante se modifie, prennent des dispositions pour rendre plus acceptable cette modification, ce qui en atténue l’impact.

La zone des températures de bien-être pour le corps humain se situe entre 20 et 25°C. 25° C est une température agréable quand on est au repos ou que l’on ne s’active pas physiquement. 20°C convient mieux quand on a une activité physique ; si elle est intense, une température inférieure, vers 18°C ou même 15°C dans certains cas, est plus adaptée. Lorsque l’on s’écarte de cette zone de confort, le corps doit mettre en œuvre un processus d’adaptation, car la température atteint une valeur gênante. Or, le corps humain s’adapte beaucoup mieux à des températures trop basses qu’à des températures trop élevées. Lorsqu’il fait froid, la régulation physiologique met en œuvre un mécanisme complexe de thermogénèse, qui est assez efficace. De plus, l’homme se couvre de vêtements chauds qu’il peut superposer. Il est donc relativement armé pour lutter contre le froid. Mais bien sûr, il est quand même moins productif, car un peu engourdi ; toutefois, une activité physique le réchauffe grâce à la chaleur produite par les muscles et lui faitainsi du bien. Au contraire, lorsqu’il fait chaud, la régulation physiologique appelée thermolyse n’est pas très efficace. Il s’agit essentiellement d’une réduction de la production naturelle de chaleur et d’une sudation. En outre, l’homme se dévêtit, mais la marge de manœuvre est faible. Il n’est donc pas bien armé pour lutter contre la chaleur. De surcroît, la forte chaleur inhibe plus l’activité que le froid, car l’activité physique produit de la chaleur et aggrave la situation. On comprend facilement pourquoi le réchauffement climatique est néfaste à l’être humain.

Celles et ceux qui ont séjourné dans un pays équatorial ou intertropical le savent bien : il y a une tranche horaire de la journée, à partir de midi, où la chaleur est tellement écrasante que l’on ne peut pratiquement rien faire d’autre que se reposer à l’ombre et boire. Il est frappant de constater que les personnes originaires de ces contrées tropicales, lorsqu’elles se retrouvent en pays tempéré, non seulement s’adaptent bien, mais adoptent un mode de vie sensiblement plus actif. Alors que le déplacement depuis un pays tempéré vers un pays tropical est au contraire beaucoup plus pénible. Ce qui est vrai du corps humain l’est également du chauffage ou de la réfrigération des habitations. Il est plus facile et moins coûteux de chauffer que de refroidir l’air intérieur d’une habitation ou d’un bâtiment de travail. C’est lié au fait que le froid n’existe pas sur le plan thermodynamique : on ne peut pas fabriquer du froid, mais uniquement extraire de la chaleur, ce qui contribue à abaisser la température.

Il résulte de toutes ces considérations que l’augmentation de la température ambiante, dans la mesure où elle peut conduire le corps humain en dehors de sa zone de bien-être, contribue à réduire la productivité de l’homme, cela plus que la diminution de cette température ambiante. Mais c’est difficile à chiffrer, car plusieurs paramètres fluctuent parallèlement. Il faut retenir que toute activité physique produit de la chaleur musculaire et – quand il fait déjà chaud - aggrave ainsi le décalage entre la température effective du corps et la température de confort. On connaît du reste bien ce phénomène avec les ordinateurs qui produisent de la chaleur : leur performance est presque optimale vers 15°C, et plus la température s’élève, moins ils sont performants.

S’agissant maintenant des conséquences indirectes, l’élévation de la température ambiante a également un impact sur les outils de travail de l’homme, ce que nous envisagerons dans la question suivante.

Pour autant on peut déjà prédire sans trop de risques qu'il y aura des conséquences sur la santé des individus, donc sur leur productivité, donc sur l'économie. Tant en termes de températures que d'épidémies que peut-on déjà affirmer des conséquences du réchauffement ? Avez-vous des exemples ?

Stéphane Gayet : A côté de l’impact direct sur la productivité humaine, l’impact indirect est également de taille.Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que le niveau moyen des mers et des océans pourrait s’élever jusqu’à 82 cm d’ici la fin du siècle. Une telle élévation du niveau des mers aura un effet indéniable sur les zones côtières basses - Flandres, Vendée, Saintonge, grandes zones de delta fluvial (Bangladesh… ; en France : Camargue)–ainsi que sur bon nombre d’îles (Maldives, Vanuatu…). On estime qu’à l’échelle mondiale, une hausse d’un mètre du niveau des mers affecterait jusqu’à un dixième de la population mondiale.Or, même les terres encore préservées mais jouxtant la mer deviendront impropres à la culture du fait de leur salinisation. Les conséquences en termes de pertes de surfaces exploitables et de disparition de villes et de ports sont évidentes, avec les déplacements de population en résultant. Par ailleurs, l’augmentation de la quantité de gaz carbonique (CO2) que doit absorber l’eau de mer tend à l’acidifier. Or, cette acidification pourrait provoquer la disparition d’un grand nombre de coquillages devenus ainsi incapables de fabriquer leur coquille, riche en carbonate de calcium. C’est l’ensemble de l’activité d’ostréiculture au sens large qui est ainsi menacée. Le réchauffement climatique a aussi un impact sur les précipitations. Les pluies deviennent à la fois plus violentes et plus rares. Ce phénomène, qui s’ajoute à la fonte des glaciers alimentant les sources et rivières, entraîne une diminution de la quantité, mais aussi de la qualité de l’eau potable : les régions sèches ou subtropicales sont les premières concernées.Les vagues de chaleur, les inondations, les cyclones peuvent fortement influer sur la production alimentaire et encore une fois sur la disponibilité en eau potable. On constate déjà l’impact négatif du réchauffement climatique sur les rendements de plusieurs cultures, telles que celles du blé et du maïs surtout, ainsi que celles du riz et du soja, mais de façon moindre. On prévoit une réduction deleurs rendements de 2 % tous les 10 ans et surtout d’importantes fluctuations d’une année à l’autre avec les conséquences que l’on sait sur les prix et les stocks. Sur le plan des maladies infectieuses, on constate un déplacement du Sud vers le Nord des maladies vectorielles telles que la dengue, le chikungunya et même la fièvre jaune et le paludisme, pour ne citer qu’elles. Les vecteurs les plus connus sont les moustiques, mais il ne faut pas méconnaître le rôle des oiseaux migrateurs dans la propagation de maladies infectieuses. De plus, des maladies infectieuses épidémiques telles que le choléra, la fièvre typhoïde, mais aussi le typhus et la peste, sont favorisées par les catastrophes d’une façon générale, parmi lesquelles les accidents climatiques.

Globalement, on peut affirmer que le réchauffement climatique va aggraver l’insécurité alimentaire et hydrique, favoriser les crises humanitaires, les conflits et les déplacements de population.

Jean-Paul Maréchal :Là en revanche on a  des éléments d'appréciation. On sait qu'aujourd'hui certaines maladies qui ne dépassaient pas certaines altitudes en raison de la température, on va les retrouver plus haute en comparaison d'il y a 20 ans. Tout comme on va retrouver des agents pathogènes à des latitudes où on les repérait moins souvent qu'avant. Certaines remontent vers le Nord et touchent des pas où  autrefois ils n'arrivaient pas.  Les épidémies durent plus longtemps également c'est aussi lié à la hausse des températures.

Mais de là à chiffrer précisément cet impact c'est une autre histoire. De toute façon je pense que sur des affaires globales comme celles-ci, le chiffrage en tant que tel en monnaie ne rend pas compte de la nature réelle du problème. Lorsque l'on dit que le réchauffement va coûter X milliards cela veut-il dire que si le coût était moins important ce serait moins grave ?

Enfin, est-ce que les études que l'on réalise déjà sur l'impact de la pollution dans les villes ne fournissent pas déjà un bon indicateur sur les évolutions de la santé publique ?  

Jean-Paul Maréchal : Bien sûr. Pour le coup, là on a des chiffrages rigoureux sur des effets quantitatifs. On va utiliser des indicateurs qui ne sont pas forcément monétaires. On dit que la pollution c'est 1,400 millions de décès en Chine chaque année. Quand on prend le calcul polluant par polluant, vu que c'est beaucoup plus ponctuel et sur une zone géographique donnée on arrive à des chiffrages beaucoup plus précis que les effets du changement climatique et les conséquences sur la productivité des individus dans le monde. On a bien des données épidémiologiques sur les effets de la pollution et sur lesquels on peut s'appuyer pour chiffrer l'impact sur la santé publique.

Stéphane Gayet : Les villes sont toujours plus chaudes que les territoires végétalisés et non bâtis. Lorsqu’il fait très chaud, la santé et la qualité de vie des populations urbaines sont plus affectées que celles des autres populations. Dans certaines zones citadines mal aérées, dépourvues de toute végétation, ce phénomène est encore plus marqué : ce sont les « îlots de chaleur ». Les raisons de cela sont la structure même des villes (mauvaise circulation de l’air du fait d’une urbanisation dense), l’abondance des surfaces bétonnées ou goudronnées et sombres qui emmagasinent la chaleur – car plus une surface est sombre et plus elle absorbe la chaleur -, la rareté de la végétation et sans oublier la climatisation qui rejette la chaleur extraite dans l’air extérieur des villes (sachant que le froid ne se crée pas). Ce dernier point est crucial : plus la température ambiante s’élève et plus le besoin de refroidir l’air intérieur est important. Or, les installations de climatisation ne font que rejeter la chaleur à l’extérieur et contribuent à l’augmenter, ce à quoi il faut ajouter l’importante consommation électrique de ces installations. De plus, la climatisation accentue les inégalités sociales : c’est une technique coûteuse à laquelle beaucoup de personnes n’ont pas accès ; les populations aisées refroidissent leur air intérieur en rejetant la chaleur dans les rues, ce qui contribue à réchauffer l’air ambiant que respire les populations moins favorisées.

Le programme de surveillance "Air et santé" enregistre dans 17 grandes villes françaises les décès toutes causes réunies (excepté les causes accidentelles) et les hospitalisations pour causes cardiaques, attribuables aux effets à court terme (pics de pollution) des PM10 (particules dont le diamètre moyen est inférieur ou égal à 10 microns ; ce sont les plus grosses des "particules fines" ; elles ne restent en suspension dans l’air que quelques jours, contrairement aux plus fines qui persistent plusieurs semaines). Les résultats sont exprimés en pourcentages de décès et d’hospitalisations en relation avec les PM10. Les dix villes les plus exposées aux pics de pollution sont, par ordre décroissant, Nancy, Lyon, Lille, Strasbourg, Lens-Douai, Le Havre, Rouen, Grenoble, Paris et Nantes. À Nancy, ce pourcentage atteint 15 %, tandis qu’à Paris il est de 7 %. Mais, si les pics de pollution ont un caractère spectaculaire, ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Cette étude insiste en effet sur le fait que l’essentiel des dégâts sur la santé résulte plus de la pollution quotidienne, permanente, y compris en dessous des seuils réglementaires, que des pics de pollution dont on parle bien sûr beaucoup.

Les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent qu’en 2012, ce sont 3,7 millions de décès qui ont été provoqués par la pollution de l’air extérieur au niveau mondial. En 2014, l’Agence européenne de l’environnement estime à plus de 400 000 le nombre de décès attribuables chaque année à la pollution aux particules fines PM2,5 en Europe (dont plus de 45 000 en France). En France, la pollution atmosphérique contribue aux premières causes de mortalité : les cancers (29 % des décès) et les maladies cardiovasculaires (25 % des décès).

Sans conteste, ce sont les populations urbaines des grandes villes encaissées qui pâtiront le plus du réchauffement climatique. La pollution qui en résulte a déjà et aura un impact manifeste sur la santé de ces populations.

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