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Donald Trump se trouve aujourd'hui le président le plus impopulaire de tous les temps et en même temps en très bonne position pour être réélu
©NICHOLAS KAMM / AFP

Paradoxe

L'impopularité de Donald Trump nourrit la confiance qu'a placé en lui son électorat. L'opposition, incapable de sortir de ce jeu, semble totalement déstabilisée et en mauvaise posture pour détrôner le président en 2020.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Vous indiquez dans votre livre "Trumpland, portrait d'une Amérique divisée" (éditions Privat) que, contrairement aux apparences et au traitement médiatique qui lui est réservé, Donald Trump reste extraordinairement populaire lorsque l'on observe sa base électorale. 80% des électeurs républicains le soutiennent encore, alors que 96% de ses électeurs réitéreraient leur vote. Comment expliquer vous, un an après son élection, la persistance de ce décalage entre apparence et réalité ?

Jean-Eric Branaa : Effectivement, Donald Trump a tout de suite pris le biais d'une stratégie qui était de parler à sa base. Alors que l'on s'attend, classiquement, que les présidents américains parlent à l'ensemble des américains, et que la journée d'investiture du 20 janvier sert à célébrer le grand rassemblement du pays après une campagne électorale et une vote qui a forcément polarisé les deux camps – tous les présidents ont toujours tendu la main à l'autre camp pour essayer de réaliser leur présidence – Donald Trump a pris une autre voie, qui, dès le 20 janvier a été de ne pas citer le camp démocrate si ce n'est pour dire qu'un jour, les déçus le rejoindraient. En faisant cela, il a pris un biais qui est certainement une bonne stratégie pour lui dans le type de campagne qu'il a mené.  Parce que cette base qui avait été poussée dans ses retranchements et qui attendait un président qui l'écoute vraiment a eu l'impression d'être entendue. Ce qui fait que Donald Trump a certainement attiré contre lui toute la colère de ses opposants, et plus cette colère augmentait plus l'attachement de ses supporters augmentait également parce qu'ils avaient justement l'impression d'être entendus. On s'aperçoit, un an après l'élection, que cette stratégie paye puisque les cotes, autant de popularité que d'impopularité ne bougent plus, elles sont quasiment stables (40% de popularité, et 52% d'impopularité), ce qui reste une très bonne base pour un président en place parce qu'il ne lui reste qu'à faire un tout petit effort au moment de la réélection pour atteindre l'objectif. Paradoxalement, Donald Trump se trouve aujourd'hui le président le plus impopulaire de tous les temps et en même temps en très bonne position pour être réélu.

Il a régulièrement été dit que Steve Bannon et son approche de "populisme de centre droit" était le réel artisan de la victoire de Donald Trump, notamment en raison de son sang-froid vis à vis des attaques qui ciblaient son candidat. Cependant, le Trumpisme "effectif" est-il suffisamment proche du nationalisme économique de Steve Bannon pour conserver son électorat populaire ? 

C'est une question qui est presque à tiroirs, parce que le trumpiste ordinaire a voté pour son candidat pour plusieurs raisons et quelques fois très différentes les unes des autres. L'idée est effectivement, pour Steve Bannon, de mettre en avant le patriotisme économique qui passe par le protectionnisme, un mot qui a été entendu par la base, c’est-à-dire l'idée que l'on allait enfin s'occuper d'eux et qu'on allait cesser de s'occuper de l'étranger puisque l'impression générale aux États Unis avant cette élection c'est que les capitaux et donc les impôts des électeurs partaient vers l'extérieur sans aucune reconnaissance d'ailleurs, on pense ici à l'aide américaine qu'elle soit scientifique, culturelle, consacrée au développement etc…et qu'il fallait ramener cet argent aux Etats Unis pour qu'il vienne aider les américains qui étaient en souffrance. En réalité, les Trumponomics s'appuient sur un autre postulat puisque ce qu'il vise, comme Bannon, c'est d'aider les entreprises américaines et non pas les américains eux-mêmes pour pouvoir ramener d'une part les capitaux et d'autre part les entreprises et qu'ils soient captés par le pays. Le protectionnisme sert à la fois à faire rentrer les capitaux mais également, par effet de dominos, en faisant remonter le dollar, à bloquer les capitaux au sein même du pays. Et là, c'est vrai que les trumpistes ne l'ont peut-être pas vu de cette façon-là car pour eux, ce n'est pas forcément les entreprises qui priment. Je parle du trumpiste que l'on va trouver en Virginie Occidentale, dans le Kentucky, en Pennsylvanie, donc dans toutes ces régions charbonnières dont on parle souvent. D'autres trumpistes petits entrepreneurs vont s'y retrouver parce qu'effectivement ils vont bénéficier de la taxe sur les entreprises qui descend à 20%.

Mais il n'y a pas que ces raisons-là qui ont fait voter pour Donald Trump, il y en a beaucoup d'autres et en particulier tout l'attachement à un certain conservatisme ou à un républicanisme très conservateur qui passe, il est vrai, par des questions autour de l'immigration qui ont semblé insupportables à la plupart d'entre eux ces dernières années. Les immigrants n'étaient plus les bienvenus parce que là aussi ils avaient l'impression qu'ils venaient manger le pain des américains, en particulier ceux qui étaient là de façon illégale, et qu'il fallait régler ce problème, et en même temps régler les problèmes d'insécurité, vrais ou ressentis. Et là-dessus, Donald Trump, n'a pas convaincu pour l'instant parce que les propositions sont toujours en cours au Congrès, mais il est vrai qu'elles ont été introduites donc l'affaire suit son cours

Vous faites référence à un tweet de Donald Trump  « continuez ainsi les gauchos et c’est ce qui arrivera en 2020 » illustrant une carte des États Unis intégralement rouge, c'est à dire aux couleurs d'une victoire républicaine dans chacun des États du pays. Quels sont les éléments permettant de prévoir, dès aujourd’hui, une réélection "du" Donald ?

Je fais ici référence à l'opposition systématique de la part d'un parti démocrate très progressiste, mais pas uniquement, parce qu'il est vrai que l'opposition de Donald Trump a été multi-facettes. Elle s'est d'abord trouvée dans la rue, ce que j'explique en début de livre, mais cette "résistance" puisqu'elle s'est appelée ainsi, n'avait pas beaucoup de sens parce que les règles du jeu démocratique des États Unis ont été respectées, aucune règle n'ayant été violée. L'opposition s'est aussi trouvée à Hollywood; les artistes de façon générale, que cela soit ceux du cinéma, de la culture, de la peinture, les chanteurs etc…se sont opposés à Donald Trump et ont constitué un corps que l'on a aperçu et vu, et qui a été certainement surjoué très souvent. Une autre poche d'opposition est née très vite dans la Silicon Valley, avec des entrepreneurs très jeunes plutôt individualistes et pouvant se débrouiller tout seuls, donc l'Amérique de l'avenir certainement qui s'est aussi dressée contre ce président. Et très vite, pour ces trois poches, que cela soit, la rue, Hollywood ou la Silicon Valley, on s'est aperçu, qu'elles étaient localisées dans deux points en particulier, que cela soit la côte ouest c’est-à-dire Los Angeles et San Francisco et de l'autre côté, New York, qui étaient les deux bases géographiques qui n'avaient pas voté Trump. Car en dehors de ces deux points, et la vraie exception de l'Illinois de Barack Obama, tout le reste de l'Amérique a voté pour Donald Trump. Mais cette division géographique s'est poursuivie dans le temps et un an après, on s'aperçoit que le fossé s'est agrandi entre ces deux Amériques qui ne se parlent plus. Et d'autres poches se sont rajoutées, notamment les médias, dont une certaine presse qui est devenue très militante anti Trump, faisant feu de tout bois pour essayer de créer une opposition, même souvent sur des prétextes parfois assez fallacieux ou en tout cas trop rapides ou non vérifiés, ce qui a donné une impression de chasse à l'homme, expression utilisée d'ailleurs par Donald Trump, et il n'a pas toujours eu tort. Même s'il l'a surutilisé aussi pour essayer de se victimiser par moments. La dernière poche d'opposition, plus récente, est née dans le monde du sport avec les footballeurs puis les basketteurs qui se sont agenouillés pendant qu'était joué l'hymne national. Et donc, on a eu l'introduction de la politique dans quasiment toutes les sphères de la société mais là encore ce sont des comportements qui sont nés, pour la presse et pour le sport, dans les deux points géographiques déjà évoqués, Californie et New York, qui forment le cœur de l'opposition.

Alors le président explique que si les démocrates et les progressistes poursuivent comme cela, il y aura un retour de bâton, et cela est effectivement ce qui risque d'arriver en 2020, la population ne supportant plus l'opposition systématique.  

Le parti démocrate est-il en capacité aujourd'hui de proposer une opposition crédible à Donald Trump ?

La difficulté du parti démocrate est exactement celle, paradoxalement, que connaît le parti républicain. Ce sont des partis qui n'existent plus que par l'étiquette. Ils sont composés de multiples bulles ou groupes qui souvent se détestent les uns des autres. Mais au-delà de cette détestation, ils ne pensent plus du tout la même chose. On a au parti démocrate un glissement très net vers la gauche, ce qu'on appelle les libéraux aux États-Unis, c’est-à-dire du côté de Bernie Sanders qui est devenu lui-même le personnage politique le plus populaire des États-Unis, et toute la gauche américaine est aujourd'hui en train de s'accrocher à son wagon comme elle l'a fait pendant la campagne alors qu'ils se dressaient contre Hillary Clinton. Et la faille que l'on avait vu se constituer pendant la campagne entre Bernie Sanders et Hillary Clinton, c’est-à-dire entre les "très libéraux" et les démocrates conservateurs s'est agrandie, pendant ce début de présidence, ce qui fait que le parti démocrate n'est plus en capacité, non seulement de réaliser un programme commun à tous les démocrates mais également, ce qui est plus grave, de faire émerger des leaders qui pourraient se dresser contre le président en 2020 et lui apporter une opposition qui permette d'offrir une alternance.

On va donc arriver sur 2020 sans programme et sans leader ce qui veut dire que l'on a le risque de voir émerger une nouvelle fois un outsider. C'est pour cela que des noms comme celui de Mark Zuckerberg deviennent très crédibles sur l'espace politique puisqu'il a la jeunesse, l'argent et les réseaux pour pouvoir réaliser exactement le coup de Donald Trump en 2016. Et au grand damne des démocrates et des politiciens chevronnés qui ont l'habitude de gouverner qui eux ne sont plus en capacité d'offrir cette image de l'alternance. 

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