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Mais au fait, sera-t-il possible un jour de "guérir" le vieillissement ?
©Flickr

Inéluctable

La mort est une source d’inquiétude et de tourment pour une majorité de personnes. Il semblerait cependant que la crainte se soit aujourd’hui un peu déplacée de la mort vers le vieillissement.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Qu’est-ce que le vieillissement ?

La succession des jours et des nuits, ainsi que celle des saisons, ne nous donne qu’une notion de rythme. Nous voyons se succéder les jours et les saisons selon une boucle qui tourne sans cesse. Mais cette succession ne nous donne pas de notion de vieillissement. À chaque début de printemps, tout est redevenu comme il y a un an, deux ans, trois ans… Cependant, nous voyons les enfants grandir et les adultes se transformer. C’est cela qui nous indique de façon implacable que le temps passe, que les années défilent. Nous voyons les autres changer au fil des ans. Mais nous ne nous voyons nous-mêmes pas beaucoup changer, en tout cas moins que nous voyons les autres le faire.

Les plus âgés d’entre nous ont des facultés qui diminuent : force musculaire, souplesse corporelle, souffle, résistance, récupération, digestion, élimination rénale, épuration hépatique, immunité, rapidité, attention, mémorisation, vue, audition… Les enfants se croient éternels, les adolescents immortels, mais les adultes prennent vite conscience de la finitude de leur existence. Ce phénomène de vieillissement se manifeste à nous comme un lent processus irréfrénable. On peut dire que l’on devient âgé à partir du moment où la disparition de l’un de nos semblables du même âge devient un phénomène courant, presque habituel.

Le vieillissement est un phénomène inhérent à la vie. Le monde inerte -comme une pierre- vieillit également, mais d’une façon extrêmement lente en comparaison avec le monde vivant ; et ce n’est pas le même vieillissement : le vieillissement biologique est bien particulier. Tous les animaux et tous les végétaux vieillissent et meurent : c’est une caractéristique essentielle de la matière vivante. On peut même dire que, sans la mort, la vie n’aurait pas de sens. Tout être vivant naît, se développe, se reproduit généralement, vieillit puis meurt, selon un cycle qui paraît sempiternel et immuable. L’homme, en dépit de toute son intelligence, de ses sciences et techniques phénoménales, conserve une espérance de vie moyenne sensiblement inférieure à 100 ans (environ 85 ans pour les femmes et 78 pour les hommes).

Quand on apprend que nos cellules et nos tissus se renouvellent sans cesse -grâce aux divisions cellulaires (mitoses)-, on a peine à comprendre que l’on vieillisse tout de même. En réalité, quand la peau d’un nourrisson de deux mois se renouvelle, les cellules de la couche basale germinative de son épiderme se divisent pour donner des cellules, certes jeunes, mais imprégnées de l’âge de deux mois, ce qui n’est encore rien. Quand celle d’un adulte de 70 ans se renouvelle, ses cellules basales germinatives donnent des cellules, certes jeunes, mais imprégnées de l’âge de 70 ans, ce qui est déjà un vrai handicap.

Pourquoi vieillissons-nous ?

Ainsi, malgré la mort de cellules âgées et leur remplacement par des cellules jeunes, qui ont lieu en quantité industrielle chaque jour que nous vivons, notre organisme refuse de rester jeune et vieillit inéluctablement. Il est clair que le vieillissement est programmé génétiquement. On connait l’espérance de vie moyenne d’un grand nombre d’espèces animales. Mais pourquoi donc ? Alors que l’on a réussi à obtenir en laboratoire -par le fruit du hasard- des lignées cellulaires qui restent toujours véritablement jeunes -comme les cellules immortelles de la lignée HeLa qui provient d’un cancer du col de l’utérus, celui dont a souffert Henrietta Lacks, une Américaine noire morte de ce cancer en 1951 à l’âge de 30 ans-, ce qui montre que certaines cellules -certes anormales- ont la capacité de ne pas vieillir. Pourquoi cette capacité ne pourrait-elle pas être procurée à des cellules normales ?

Que l’on soit créationniste ou évolutionniste, la mort de tout être vivant nous paraît à dire vrai une nécessité. Car une vie éternelle n’aurait pas de sens : un être qui serait éternel ne se reproduirait plus, étant donné que naissance, croissance, reproduction et mort sont quatre phases qui caractérisent le monde vivant. Un être éternel ne vivrait plus, n’existerait plus : il serait. D’un point de vue philosophique, on peut considérer que le vieillissement, dans son déroulement physiologiquement lent, est une longue préparation à l’acceptation de la mort. Le sujet très âgé, particulièrement diminué et aux capacités physiques et intellectuelles tout à fait réduites, finit pas n’aspirer qu’à mourir, car la vie s’est tellement rétrécie qu’elle n’est plus une vie, mais une survie pitoyable.

Or, le vieillissement rend la mort chaque jour un peu plus probable, en raison d’une diminution de l’aptitude du corps à faire face aux petits accidents de santé qui deviennent aisément des drames. Par exemple, une grippe, bénigne à 20 ans, devient facilement mortelle à 90 ans ; une constipation sévère, bénigne à 40 ans, peut évoluer vers un fécalome et la mort par occlusion intestinale à 90 ans ; un surdosage médicamenteux, aisément surmontable à 30 ans, peut être fatal à 90 ans, etc.

Ainsi, chez la personne âgée, chaque jour qui passe rend la mort à la fois plus probable, et plus acceptable tant pour elle-même que pour son entourage. Mort et vieillissement apparaissent donc comme deux processus strictement indissociables. Bien sûr, il y aura toujours des décès accidentels chez des personnes ayant à peine commencé à vieillir, ce sont les accidents de la vie.

D’un point de vue biologique cette fois, les mécanismes du vieillissement commencent à être assez bien connus. On utilise l’expression de sénescence cellulaire pour exprimer le fait que, même les cellules dites jeunes des tissus, c’est-à-dire celles qui se divisent pour les régénérer afin de compenser les morts cellulaires naturelles, vieillissent avec l’ensemble de l’organisme.

Les extrémités des chromosomes sont appelées des télomères, et les enzymes qui répliquent ces extrémités des télomérases. Les télomères sont en fait des éléments semblables pour tous les chromosomes : situés aux extrémités de chaque chromosome, leur rôle est protecteur. Or, lorsqu’un chromosome est répliqué pendant une division cellulaire, l’enzyme chargée de cette réplication (ADN polymérase) ne réplique pas les télomères, car il faut pour cela une télomérase, qui manque. Il en résulte que les télomères se raccourcissent à chaque division cellulaire. C’est une caractéristique commune à toutes les cellules qui ont perdu la télomérase qu’elles avaient initialement dans l’œuf fécondé. Ainsi, après quelques dizaines de divisions, les télomères sont devenus si petits que la cellule cesse de se diviser et commence à mourir. La perte de la télomérase originelle est donc un mécanisme primordial de sénescence cellulaire.

Or, en étudiant les cellules immortelles de la lignée HeLa, on s’est aperçu qu’elles avaient conservé leur télomérase. Mais il ne faut pas trop vite conclure au fait que tout se situe dans la télomérase. Toujours est-il que c’est un point-clé du vieillissement cellulaire. Reste à trouver quels gènes gouvernent la présence et l’activité de la télomérase. Un petit ver proche de l’oxyure est un modèle d’étude. On a trouvé chez ce ver portant le nom d’espèce « elegans » les premiers gènes impliqués dans la longévité : parmi ceux-ci, une mutation du gène DAF-2 fait vivre la souche mutée deux fois plus longtemps. Grâce aux découvertes réalisées chez le vers elegans, on a pu avancer chez d’autres animaux. On a ainsi trouvé chez la souris le gène GF-1R, impliqué dans la longévité et qui, une fois modifié, augmente la durée de vie de l’animal. Et bien d’autres gènes peuvent changer la durée de vie. Mais dans l’espèce humaine, cela paraît en fait moins clair que chez les animaux…

Existe-t-il une limite à l’augmentation de la longévité ?

La mort est une source d’inquiétude et de tourment pour une majorité de personnes. Il semblerait cependant que la crainte se soit aujourd’hui un peu déplacée de la mort vers le vieillissement. En effet, l’espérance de vie augmentant régulièrement, nous vivons de plus en plus longtemps ; mais dans quel état ? Les maisons de retraite -aujourd’hui les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou EHPAD- ont des listes d’attente. Il est difficile de dépasser 85 ans sans souffrir de dépendance, c’est-à-dire d’une incapacité à subvenir seul à ses besoins les plus élémentaires. Cette dépendance est une double souffrance : la personne âgée souffre de ses handicaps et souffre en même temps de la condition sociale dans laquelle ils la confinent. La dépression est devenue fréquente chez de tels individus et les suicides de personnes âgées n’ont rien d’exceptionnel.

Frédéric Dard -alias San Antonio- disait dans une interview pour France Inter : « La mort n’est rien, c’est la vieillesse qui est une vacherie. » La vieillesse, surtout la diminution, la dépendance et la souffrance, font peur et à juste titre. Le corps humain commence à vieillir vers l’âge de 25 ans : c’est l’âge auquel l’être humain est en pleine possession de tous ses moyens. Puis commence une très lente descente, qui s’accélère parfois sur une courte période en raison de circonstances de la vie (deuil, accident…) : c’est le fameux « coup de vieux. » Ainsi, ralentir le vieillissement reviendrait à maintenir l’être humain aussi longtemps que possible à un âge physiologique de 25 ans. C’est sans doute ce qu’ont à l’esprit les transhumanistes du courant biologique qui prétendent pouvoir mettre fin à la mort, ce qui reviendrait à mettre fin au vieillissement. Mais il serait toujours possible de mourir d’accident…

Plusieurs études scientifiques situent l’âge butoir au-delà duquel les gains ne seraient plus significatifs, entre 120 et 150 ans. Une étude belge récemment publiée le situe vers 120 ans. Si c’était juste, cela signifierait que l’espèce humaine serait génétiquement programmée, déterminée, pour ne pas pouvoir vivre au-delà. En d’autres termes, nous devrions voir, grâce aux progrès de la médecine préventive -c’est-à-dire l’hygiène, en fait- et curative, l’espérance de vie continuer à progresser d’un trimestre par année jusqu’à 100 ans, dépasser ce cap et commencer à voir sa progression ralentir à partir de 110 ans.

Si l’on tenait absolument à déverrouiller cette limitation génétique, il faudrait effectuer une manipulation génétique sur notre génome, notre ADN. Ce qui est extrêmement dangereux. On a longtemps eu une vision très simplifiée du gène, l’interprétant comme une unité fonctionnelle du génome. En réalité, d’une part, beaucoup de gènes sont apparemment dormants, ne s’exprimant pas, restant en réserve. D’autre part, les modes d’expression des gènes sont multiples : effecteur, régulateur, activateur, répresseur… Ensuite, les gènes interagissent les uns avec les autres dans un bal d’une infinie complexité. Enfin, les gènes ne sont pas tout dans le déterminisme génétique : il y a en plus des déterminants épigénétiques, qui interagissent avec les gènes tout en n’appartenant pas à la séquence de l’ADN, à la différence des gènes. Or, ces déterminants épigénétiques sont parfois transmissibles d’une génération à l’autre, ce qui signifie que l’approche purement génétique, chromosomique, de l’hérédité est dépassée. Alors, que se passerait-il si l’on parvenait à faire sauter le verrou du vieillissement programmé ? C’est assez inquiétant, à dire vrai. À moins de considérer que l’on devienne capable de le faire sauter avec une sélectivité totale, c’est-à-dire sans le moindre effet secondaire… C’est bien difficile à admettre en 2017. Mais à propos, qui a vraiment envie de vivre plus de 150 ans, y compris avec un corps et un cerveau maintenus à un âge physiologique de 25 ans ?

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