Pourquoi les Trump vont rester à la Maison Blanche pendant 16 ans<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pourquoi les Trump vont rester à la Maison Blanche pendant 16 ans
©NICHOLAS KAMM / AFP

Surprise !

Le politologue Edward Luttwak avance l'idée que Donald Trump pourraient rester le temps de deux mandats à la Maison-Blanche, avant de passer la main à sa fille. Une idée pas si saugrenue que cela.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


Voir la bio »
Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

Voir la bio »

Atlantico : Le 25 juillet dernier, le politologue américain Edward Luttwak publiait un article dans le supplément littéraire du magazine Times intitulé "Pourquoi la dynastie Trump va durer 16 ans". En s'appuyant sur l'idée d'un décalage existant entre les préoccupations du parti démocrate, des médias, et les motivations réelles de l'électorat de Donald Trump, Edward Luttwak considère ainsi que le programme de Donald Trump, s'il parvient à être appliqué, pourrait permettre une réélection du milliardaire en 2020, tout en envisageant déjà une succession pour les mandats de 2024 et 2028 pour sa fille Ivanka. Alors que l'élection de Donald Trump ne semble toujours pas avoir été assimilée, ce décalage est-il encore réel, traduisant une fracture entre 2 nations ?

Laurent Chalard :Il est évident que la fracture entre une Amérique des grandes métropoles gagnantes de la mondialisation et le reste du pays, que les résultats des élections présidentielles de 2016 ont clairement montré avec la victoire de Donald Trump, ne s’est pas résorbée en quelques mois ! En effet, le fossé entre ces deux « Amérique », pour aller vite, une « Amérique blanche » rurale et ouvrière, et une « Amérique multiculturelle » urbaine et employée dans le secteur tertiaire, est très profond. Chacune des deux entités ayant des visions du monde totalement opposées sur la plupart des sujets (politique économique, politique étrangère, politique d’immigration, politiques sociétales…), il s’en suit que les différentes prises de position des principaux médias américains, partie prenante de la seconde entité, ne sont pas forcément représentatives de ce que pense réellement « l’Amérique blanche rurale et ouvrière ». 

Sur la plan économique, cette dernière est pour une politique de ré-industrialisation des Etats-Unis, qui passe par le rapatriement de nombreux emplois délocalisés dans des pays à plus bas coût de main d’œuvre, alors que l’Amérique multiculturelle des grandes métropoles est favorable au libéralisme économique, à l’origine du processus de destruction des emplois industriels sur le sol états-unien. Sur le plan démographique, l’Amérique blanche rurale et ouvrière est pour une régulation stricte des flux d’immigration, souhaitant que les Etats-Unis continuent de demeurer un pays à population dominante d’origine européenne blanche, d’autant que les immigrés sont perçus comme des concurrents, faisant baisser les salaires, mais aussi comme des personnes dangereuses, apportant avec eux les problèmes de criminalité de leur pays d’origine (par exemple, les Mexicains sont accusés de faire prospérer le trafic de drogue). Or, cet élément ne mobilise guère l’Amérique multiculturelle des grandes métropoles, qui ne voit aucun problème à ce que la majorité démographique, qui a fait historiquement la puissance de l’Amérique, ne devienne minoritaire, d’autant que la main d’œuvre immigrée est perçue comme utile à son bien-être quotidien. Sur le plan sociétal, l’Amérique blanche rurale et ouvrière affiche un certain attachement à des valeurs conservatrices au niveau des mœurs (opposition au mariage gay, à l’avortement…), contrairement à l’Amérique multiculturelle des grandes métropoles, très ouverte sur tous ces sujets. Au niveau de la politique étrangère, les positions sont moins claires mais les oppositions demeurent, l’Amérique blanche rurale et ouvrière hésitant entre un certain isolationnisme, le Président doit d’abord s’occuper des Etats-Unis avant de faire des guerres coûteuses ailleurs, et, d’un autre côté, un interventionnisme contre les mouvements islamistes, perçus comme une menace sérieuse, même si, ces derniers temps, les Etats-Unis sont moins concernés que l’Europe par cette menace. Du côté de l’Amérique multiculturelle des grandes métropoles, la question du fondamentalisme islamiste ne se pose pas, alors que les politiques interventionnistes, sous réserve qu’elles se fassent au nom des droits de l’homme, ne sont pas systématiquement mal vues. Les oppositions entre les deux « Amérique » sont donc vives sur tous les sujets !

François Durpaire : L'intérêt de cette réflexion sur une lignée Trump qui resterait 16 ans à la Maison-Blanche c'est d'être un peu en contresens des analyses que l'on entend quotidiennement. Notamment sur les sept premiers mois catastrophiques de Trump ou encore une procédure d'impeachment. Cette idée permet de mettre en perspective cette situation et rappelle que dans l'Histoire du pays des mandats ont pu mal commencer, ça a été le cas de Clinton, et ont pu se conclure par une réélection. Clinton avait changé également son chief of staff par Leon Panetta, comme Trump l'a fait pour mettre Kelly. Ce changement pourrait signifier la fin des crises à la Maison-Blanche.

Deuxième élément pour aller dans le sens de l'analyse proposée, sans parler de 2020 et de sa réelection, celles de 2018, les midterms, sont des élections tout à fait gagnables pour les Républicains. Pour trois raisons.

Premier élément : le découpage électoral qui est favorable aux Républicains. Puis la mobilisation des partisans de Donald Trump qui est supérieure à celle des démocrates. Il y a un écart de 10% entre les deux groupes. Enfin, la base électorale de Donald Trump reste solide malgré l'effritement. Elle est solide car ils estiment que pour l'instant les promesses sont tenues. Ils ne voient pas du même œil le bilan en matière d'immigration, le retrait de l'accord de Paris qui est bien ressenti par l'électorat de base et enfin les éléments d'après Charlottesville, les déclarations sur les deux camps ou même l'interdiction des transexuels dans l'armée.

Il faut encore rajouter par-dessus cela le fait que les Démocrates n'arrivent toujours pas à se remettre de la défaite à la présidentielle et subissent de nombreux problèmes en interne et s'exonèrent de réflexion sur les problèmes de fond.

Dans une interview donnée au Hollywood Reporteren novembre 2016, l'ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, avait déclaré "Je ne suis pas un nationaliste blanc, je suis un nationaliste, un nationaliste économique" (...) "si nous tenons nos promesses, nous aurons 60% du vote blanc, et 40% du vote noir et hispanique, et nous gouvernerons pendant 50 ans", en faisant notamment référence au gigantesque plan d'infrastructures envisagé par la Maison Blanche."Tout est lié aux emplois. Les conservateurs vont devenir dingues. Je suis le mec qui pousse pour ce plan d'infrastructure de mille milliards de dollars. Avec les taux bas, c'est la plus grande opportunité de tout reconstruire". Quelle est la réalité de la situation sur le terrain, alors que le pays affiche un taux de chômage de 4.3% ? Qu'est ce masque ce chiffre de la réalité sociale et des attentes des classes populaires ? 

Laurent Chalard : Comme pour le Royaume-Uni, il faut manier avec une extrême précaution le taux de chômage aux Etats-Unis, car il est très largement sous-estimé, une partie de la population active sans emploi n’apparaissant pas dans les statistiques. Cependant, même s’il est possible qu’il soit, en réalité, double, il demeure moindre que dans d’autres pays développés, dont le nôtre (qui plus est, lui aussi sous-estimé !), ce qui, au premier abord, laisserait à penser que la situation de l’emploi aux Etats-Unis est relativement bonne. Or, ce n’est pas tout à fait le cas, car il convient de définir précisément ce dont on parle par le terme « emploi ». En effet, aux Etats-Unis, le terme peut concerner des personnes qui exercent effectivement une activité rémunérée, mais dont le revenu est inférieur aux besoins financiers de l’individu pour survivre, soit car il exerce une activité à temps partiel ou soit, tout simplement, parce que son revenu est très faible. On parle alors de « sous-employabilité », ce qui constitue un problème très important aux Etats-Unis, sur le modèle de ce qui se constate dans de nombreux pays du Tiers-Monde. La situation d’employabilité d’une partie de la population active ne peut donc être jugée comme satisfaisante. De nombreux américains sont obligés d’exercer plusieurs emplois pour survivre, d’où des rythmes de vie effarants, qui relèvent plus de l’esclavagisme moderne que du bien-être attendu par un emploi dans une société développée. Les classes populaires états-uniennes ontconsécutivement des conditions de vie très dégradées par rapport à leurs homologues européennes, d’autant qu’elles bénéficient de beaucoup moins d’aides sociales qu’en Europe, qui permettent d’arriver à joindre les deux bouts. Dans ce cadre, les classes populaires américaines sont aujourd’hui, avant tout, à la recherche d’emplois à temps complet stables et rémunérés convenablement, certains diraient, tout simplement, de « vrais emplois ».

Par ailleurs, concernant les infrastructures, du fait d’un manque d’entretien chronique au cours des dernières décennies, l’infrastructure américaine, en particulier routière, est vieillissante et aurait besoin d’une grande cure de jouvence, qui serait effectivement créatrice, au moins temporairement, de nombreux « vrais emplois » pour les classes populaires des Etats-Unis, sous réserve de rémunérations satisfaisantes.

François Durpaire : La chose que Steve Bannon pointe et qu'il faut prendre en compte c'est que la période Obama a eu une reprise économique mais pas suivie d'une réduction des inégalités. Or, cette réduction des inégalités est centrale. Mais Bannon est parti de la Maison-Blanche, il a critiqué le non retrait de l'Afghanistan et on le voit dorénavant réintégrer la rédaction de Breitbart News qui est devenue critique. Dans ce contexte-là, Donald Trump va-t-il devenir conservateur ? Va-t-il passer d'un président "populiste" à un président conservateur  qui finalement rentrerait dans le giron du parti Républicain. Quelles sont les conséquences sur le long terme du départ de Steve Bannon, est-ce un revirement idéologique ? On le saura à la rentrée au détour de plusieurs lois, d'abord celle des 1000 milliards sur les infrastructures. Est-ce que le budget va être voté en incluant les dépenses liées au mur avec le Mexique ?

Dans le budget quels arbitrages vont être faits ? Est-ce que ce sont les conservateurs qui vont l'emporter qui souhaitent une réduction des dépenses) ou est-ce que ça va être une coalition de Républicains et de Démocrates plus proches des idées de Bannon)…

Quelles sont les leçons à tirer de cette situation pour l'ensemble des pays développés ? En quoi cette tendance peut elle refléter des réalités existantes également en Europe, voire en France ?

Laurent Chalard : La principale leçon à tirer de la situation des Etats-Unis pour l’ensemble des pays développés est que le modèle économique ultra-libéral est source d’inégalités socio-économiques internes considérables, à l’origine d’une fragmentation de la société en plusieurs groupes aux intérêts divergents (pour schématiser nous en avons retenu seulement deux, mais, dans les faits, il y en a plus). En conséquence, ce modèle économique finit par saper l’Etat-nation, qui constitue, il faut absolument le garder en tête, le moteur de la fortune des Etats-Unis. S’il n’y a plus un idéal national commun, il n’y a plus rien qui lie les individus entre eux, et cela peut conduire à des confrontations internes, qui sont potentiellement sources de violence. Quand un riche américain se trouve plus de points communs avec un autre riche de la planète plutôt qu’avec le reste de ses concitoyens, il y a un problème existentiel certain pour la nation américaine, telle qu’elle a été pensée au XIX° siècle.

L’Union européenne ayant emboîté le pas aux Etats-Unis sur le plan économique, dans les années 1980, avec l’adoption d’une politique néolibérale, aux mêmes effets, les mêmes conséquences. Cependant, il existe une différence majeure. L’Europe, héritant d’un modèle de l’Etat-Providence très poussé, a conservé une grande partie de son filet de protection sociale, dont ne disposaient pas les Etats-Unis, ce qui lui permet d’amortir partiellement les conséquences négatives du libéralisme économique. Les inégalités entre les individus sont moindres et les pauvres moins pauvres, mais les tendances de long terme sont les mêmes et la fragmentation de la société menace, dans un contexte de remise en cause de l’Etat-Nation par l’Union Européenne. Pour l’instant, les dirigeants populistes à la Donald Trump n’y arrivent pas à remporter d’élection, du fait du maintien d’un socle minimal de classes moyennes, qui ont encore des choses à perdre, mais, la situation sur le continent européen pourrait changer dans le futur, si les inégalités venaient à s’accentuer, du fait de la persistance d’une politique économique de plus en plus ultra-libérale, et si la situation sécuritaire venait à se détériorer, du fait de l’incapacité des dirigeants européens à gérer les flux migratoires. Dans ce cadre, le Brexit, qui a touché un pays où l’ultra-libéralisme a été roi, constitue un premier (et dernier) avertissement.

François Durpaire : Les questions que l'on se pose aux Etats-Unis se posent aujourd'hui dans l'ensemble des démocraties occidentales. L'opposition entre les Wall People et les Web People dont parlait Thomas L. Friedman dans sa tribune au New York Times est en phase de supplanter les divisions politiques traditionnelles. On le voit aux Etats-Unis comme en France mais aux Etats-Unis on pourrait imaginer une accentuation du phénomène en 2020 en imaginant une élection entre Donald Trump et Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook. Cette opposition transcenderait les oppositions de classe traditionnelles. On serait sur la question d'ouverture  ou de fermeture des frontières. Avec cette nouvelle manière de voir les oppositions politiques, entre ouverture et fermeture, on pourrait avoir le défi des politiques qui serait aujourd'hui de construire des politiques publiques de relations à l'autre. Parce qu'entre la frontière fermée et ouverte il y a la question des interactions intelligentes.   

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !