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Victoire à la Pyrrhus pour le UKIP ? Après le Brexit, le parti joue sa survie...
©Reuters

Bonnes feuilles

Le Brexit a claqué comme un coup de tonnerre dans une Europe qui ne soupçonnait pas le rejet dont elle pouvait faire l’objet. Pourtant, en 2014, à l’issue d’une campagne axée sur les « dangers » de l’immigration, le UK Independence Party et son tonitruant leader Nigel Farage avaient déjà fait parler d’eux. Deux ans plus tard, le UKIP a pu apparaître comme l’artisan majeur du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Révélant aux yeux du monde l’existence en Grande-Bretagne d’une fracture sociale, économique et géographique sans précédent. La première analyse sociologique et électorale en français, qui met en lumière les points communs et les différences avec les autres mouvements populistes européens, notamment le Front national. Car, qualifié d’« extrême droite en costume cravate », le UKIP, nouveau venu original dans un système politique qui mettait volontiers en avant sa modération, est désormais un élément clé de la vie démocratique du Royaume-Uni. Extrait de "Prendre le large - Le UKIP et le choix du Brexit" de Karine Tournier-Sol, publié aux Editions Vendémiaire (1/2).

Karine  Tournier-Sol

Karine Tournier-Sol

Karine Tournier-Sol est maître de conférences en civilisation britannique à l’Université de Toulon. Ses travaux portent sur les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Elle est spécialiste du UK Independence Party, sur lequel elle a publié de nombreux articles, en France comme à l’étranger.

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Face au gouvernement conservateur de Theresa May, le nouveau leader du UKIP présente son parti comme le seul garant du Brexit, appelant à un retrait immédiat du Royaume-Uni de l’Union européenne, sans même le déclenchement de l’article 50 du traité de Lisbonne, mais par un vote à Westminster pour abroger la loi de 1972 qui entérine l’adhésion britannique à la CEE. C’est une façon pour lui de tenter de récupérer un peu de l’espace politique qui lui a été confisqué par Theresa May et son slogan «Brexit means Brexit », assorti d’un durcissement du dis- cours conservateur sur l’immigration. Cependant, pour Paul Nuttall, la clé de l’avenir du UKIP est ailleurs, dans les bastions travaillistes du nord de l’Angleterre. C’est d’ailleurs l’un des premiers à avoir préconisé sous le leadership de Nigel Farage le glissement stratégique du parti vers cet électorat. Il entend à présent franchir une nouvelle étape, et affiche son ambition première :

« Je veux remplacer le parti travailliste et faire du UKIP la voix patriotique des travailleurs. »

Fort de ses origines, il se veut le porte-voix de la classe ouvrière du nord de l’Angleterre, dont il estime qu’elle n’est plus représentée par le parti travailliste. À l’instar de son prédécesseur, il fustige la « petite clique métropolitaine » totalement dé- connectée des électeurs. Si ce positionnement offre potentielle- ment de nouvelles opportunités au parti, il ne va pas non plus sans difficultés. Le nouveau leader du UKIP devra réussir à attirer les déçus du travaillisme dans le nord de l’Angleterre tout en préservant les bastions traditionnels du parti dans le sud. Réconcilier ces deux types d’électorat pourrait s’avérer un pari périlleux. Une enquête sur les adhérents du UKIP effectuée par YouGov montre que si 73% d’entre eux sont favorables à ce que leur parti cible le vote travailliste aux prochaines législatives, 60% ne sont pas pour autant prêts à des compromis politiques dans le seul but d’attirer de nouveaux électeurs166. La tâche de Paul Nuttall s’annonce donc difficile.

Enfin, autre changement stratégique important de la part du nouveau leader: tout en réaffirmant l’attachement du UKIP à l’unité du Royaume-Uni, il a ouvertement positionné son parti comme le défenseur de l’anglicité (Englishness), qu’il considère comme le prochain enjeu politique majeur après le Brexit. Nuttall reconnaît ainsi la dimension anglaise du UKIP, qui a toujours été inhérente au discours du parti mais qui avait été volontairement minimisée de crainte de le voir réduit au statut de parti nationaliste anglais. Il y a sans doute là une vraie opportunité pour le UKIP sur le plan électoral. On ajoutera qu’en termes de positionnement politique, la vision du nouveau leader du UKIP est autoritaire sur le plan des valeurs : très ferme sur les questions de criminalité, il défend le retour à la peine de mort pour les assassins d’enfants; il est également contre l’avortement.

En matière d’environnement, il est résolument climato-septique. En outre, il s’est par le passé exprimé en faveur d’une privatisation du NHS, avant d’effectuer un rétropédalage en raison du caractère polémique de cette prise de position. Enfin, on ne s’étonnera pas que lui aussi prône une forte restriction de l’immigration, et ceci dans un souci de défense des travailleurs britanniques – car c’est là sa nouvelle cible. Le troisième obstacle sur la route du parti est d’ordre financier. Suite au résultat du référendum et à la démission de Nigel Farage, le principal donateur du UKIP, Arron Banks, a envisagé de se retirer pour créer un nouveau mouvement, plus vaste, à partir de la mobilisation autour de Leave EU pendant la cam- pagne référendaire. Très réservé sur les capacités de leadership de Nuttall, il a critiqué son rapprochement avec Suzanne Evans et Douglas Carswell (dont il a demandé l’expulsion pure et simple), tous deux membres selon lui d’une « cinquième colonne » dont le but serait de détruire le UKIP. Après avoir maintenu le sus- pense, et donc aussi la pression, il a finalement claqué la porte du parti en mars 2017. Ce départ est un coup dur pour le UKIP, qu’Arron Banks avait financé à hauteur de 1,3 million de livres sterling, auxquels s’ajoutent 7,5 millions dépensés pour soutenir la campagne de Nigel Farage au sein de Leave EU. De surcroît, le nombre d’adhérents du UKIP est en baisse constante depuis le référendum, ce qui a également une incidence sur les ressources financières du parti. Les rumeurs de faillite imminente se sont succédé depuis les législatives de 2015. Plus fondamentalement, le Brexit implique la fin de la représentation du UKIP au Parlement européen d’ici fin mars 2019, privant de fait le parti de sa principale source de financement. Tel est le paradoxe de beaucoup de partis eurosceptiques européens : ils sont financés par l’institution même qu’ils combattent. C’est là une autre conséquence de la victoire du Brexit, qui menace potentiellement la survie même du parti pour lequel elle pourrait finalement se révéler être une victoire à la Pyrrhus.

L’avenir du UKIP reste donc très incertain, et dépend de différents facteurs qui illustrent bien sa principale faiblesse, c’est- à-dire son amateurisme. Les premiers mois de Paul Nuttall à la tête du parti se sont révélés peu convaincants, à commencer par sa défaite lors d’une élection législative partielle à Stoke Central le 23 février 2017. Le nouveau leader espérait capitaliser sur le vote Brexit qui a atteint 67,5% dans ce bastion travailliste qualifié de « capitale du Brexit ». Ce premier test de sa nouvelle stratégie de conquête de l’électorat travailliste a tourné à l’échec puisque Nuttall est arrivé près de 13 points derrière le candidat du Labour. Un mois plus tard, le parti a perdu son unique représentant à la Chambre des communes après la décision de Douglas Carswell de quitter le UKIP – une décision qui n’a fait qu’acter une prise de distance déjà ancienne avec le parti. Dix jours plus tard, un autre transfuge du parti conservateur lui a emboîté le pas : Mark Reckless, élu UKIP à l’Assemblée galloise, a annoncé qu’il rejoignait le groupe conservateur.

Le nouveau leader du UKIP en est ressorti fragilisé, à la tête d’un parti affaibli. Le UKIP est aujourd’hui à un nouveau moment charnière de son existence. Plus que jamais, il va devoir faire appel à sa nature de parti populiste caméléonesque. Sa survie dépendra de sa capacité à s’adapter et à se transformer pour pérenniser sa présence dans le paysage politique britannique. La demande, on l’a vu, existe bel et bien pour une offre politique différente de celle des grands partis traditionnels, qui mobilisent de moins en moins l’électorat dont ils se sont même aliéné une partie, ce qui s’est vu confirmé par le résultat du référendum du 23 juin 2016. Il y a là une opportunité à saisir pour le UKIP, un défi essentiel à relever, pour éviter que « la bulle UKIP» n’éclate avec le Brexit.

Extrait de "Prendre le large - Le UKIP et le choix du Brexit" de Karine Tournier-Sol, publié aux Editions Vendémiaire

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