Etats-Unis : Pourquoi Donald Trump ne sera pas destitué <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Etats-Unis : Pourquoi Donald Trump ne sera pas destitué
©SAUL LOEB / AFP

No, no, no

La possibilité d’un procès en "impeachment" contre Donald Trump se rapproche de jour en jour. Mais que ses innombrables adversaires ne se réjouissent pas trop vite ! Le président, légitimement élu, est encore loin d’être destitué. Et il est probable qu’il finira son mandat.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

Voir la bio »

Les violences meurtrières de Charlottesville en Virginie n’auront été qu’une parenthèse tragique dans le feuilleton qui tient l’Amérique en haleine depuis le début de l’année. "L’affaire russe", celle qui embarrasse son administration depuis ses premiers jours, vise clairement à destituer Donald Trump. Toute l’Amérique en a conscience et c’est pourquoi toute l’Amérique suit cette affaire plus qu’aucune autre. La mise en place d’un « grand jury », révélée récemment,  pour enquêter sur la question, constitue un pas décisif vers l’établissement de chefs d’accusations et le déclenchement d’une procédure de destitution contre le président américain. Toutefois les chances que celle-ci aboutisse rapidement à son départ forcé, sont, en vérité, très minces. Pour des raisons techniques autant que politiques.

Les évènements récents ne laissent plus de doutes sur l’enjeu et l’objectif de l’enquête en cours sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle de 2016. Il s’agit de faire tomber Donald Trump. C’était l’objectif initial des médias et des démocrates. Même s’ils s’en défendent. Nombre d’Américains, à Washington et aux seins des élites urbaines, (avocats, journalistes, magistrats, enseignants, etc)  n’ont tout simplement pas accepté l’élection du magnat newyorkais à la présidence des Etats-Unis. Pas plus que certains Républicains n’avaient accepté l’élection de Barack Obama en 2008. Ils s’évertuent donc à torpiller sa présidence, et tentent,  par  tous les moyens légaux,  d’y mettre fin au plus vite.

L’affaire russe est pour eux un fil, sur lequel ils tirent depuis six mois, et grâce auquel ils espèrent parvenir à leur fin. Pour l’instant le fil tient et suscite des révélations,plus ou moins spectaculaires, au fur et à mesure qu’il se déroule.

Rappelons les faits.

Tout a commencé dès 2015 par unpiratage du système informatique du parti démocrate. Les services de renseignement américains ont déterminé que l’attaque provenait de Moscou, et avait été commandée et exécutée par les services russes. A la lecture du rapport du FBI en décembre 2016, le président Obama a d’ailleurs décrété des sanctions contre la Russie, en représailles contre cette attaque.

Tout au long de la campagne présidentielle de 2016 l’entourage de Donald Trump s’est aussi distingué par une proximité inhabituelle avec la Russie. Officiellement le candidat Trump se disait admiratif du président russe, Vladimir Poutine,  et favorable à une relation non plus hostile mais au contraire constructive et coopérative avec la Russie.

Certains membres de son équipe ne cachaient pas leurs liens avec ce pays. Paul Manafort, qui fut brièvement son directeur de campagne,  avait travaillé pour le président ukrainien pro russe Victor Ianoukovich. Michael Flynn, général en retraite et futur Conseiller à la Sécurité Nationale américain, avait eu plusieurs contacts avec des homologues russes durant la campagne. La révélation de ces contacts l’a obligé à démissionner quelques jours seulement après sa prise de fonctions. Ces contacts ont également poussé le FBI à enquêter plus avant sur les liens entre Moscou et l’entourage de Donald Trump. Le terme de «collusion» est apparu dans la presse. 

C’est James Comey, directeur du FBI, qui a ordonné l’enquête. Quelques semaines plus tard il a été démis de ses fonctions par le président Trump. Pour un motif sans lien avec l’affaire russe. Mais le contexte a néanmoins rendu son limogeage plus que suspect. Certains y voyant une tentative d’obstruction de la justice de la part du président, soit un délit passible de destitution. La presse a servi de chambre d’échos aux demandes des démocrates pour une enquête encore plus étendue, à la fois juridique et parlementaire (le système des « checks and balances » américain autorise les branches judiciaire et législative du pouvoir à contrôler l’exécutif). Le garde des Sceaux (Attorney General), Jeff Sessions, bien que nommé à son poste par le président Trump, a autorisé au printemps la désignation d’un « procureur spécial », en la personne de Robert Mueller, ancien directeur du FBI (de 2001 à 2013 donc sous les présidences de George W. Bush et Barack Obama) avec charge de tirer toute l’affaire au clair. Un procureur spécial peut opérer en totale indépendance et dispose de moyens considérables (l’équipe de Mueller compte pas moins de vingt-cinq avocats).

Fin juin, la révélation d’une rencontre, survenue un an plus tôt, entre une avocate et lobbyiste russe et le fils du président, Donald Trump Jr, accompagné de Paul Manafort et Jared Kushner, gendre et très proche conseiller de Donald Trump, a fait rebondir l’affaire. Donald Trump Jr a du comparaître, sous serment, devant une commission sénatoriale du Congrès. Puis, l’on a appris que Donald Trump avait aidé son fils à rédiger sa déposition. Comme tout « père » l’aurait fait pour son « fils », s’est-il justifié. Sinon que le père étant président des Etats-Unis, et l’affaire touchant à une enquête officielle, ce geste prenait une tout autre dimension… Non seulement il impliquait le président Trump dans un épisode qui ne le concernait pas mais il pouvait être interprété comme une nouvelle tentative d’obstruction de justice !

La presse américaine vient,par ailleurs, de révéler que le domicile de Paul Manafort avait fait l’objet d’une perquisition en pleine nuit. Le genre de perquisition ordonnée quand les soupçons de crimes sont confirmés…

La presse a également révélé la mise en place par Robert Mueller d’un « grand jury » dans le cadre de son enquête.  Un grand jury est un panel de citoyens, pouvant réunir jusqu’à vingt-trois personnes, doté du pouvoir légal de mener une enquête. Un grand jury peut ordonner la comparution de témoins (« subpeona » en américain) ainsi que la réquisition de documents. Son pouvoir est total et la durée de son mandat indéfinie. Il constitue une juridiction parallèle, techniquement indépendante du département de la Justice, comme de la Cour Suprême et bien sûr des pouvoirs législatifs ou exécutifs. Un grand jury est l’ultime pouvoir des citoyens face à leurs dirigeants. Sa désignation aboutit en général à l’établissement de chefs d’accusations et à un procès. A moins, au contraire, qu’il ne recommande un abandon des procédures, jugeant les preuves réunies insuffisantes. Les décisions au sein d’un grand jury se prennent par vote, à la majorité simple.

Tous les observateurs de Washington ont interprété l’existence de ce grand jury comme une étape décisive vers l’établissement de chefs d’inculpation et la rédaction de fameux articles de destitution (« articles of impeachment »). Plusieurs élus démocrates du Congrès ont d’ailleurs pris les devants et d’ores t déjà rédigé de tels articles… pour les soumettre dès que possible au vote des élus.

Sur le fond, l’idée que la Russie ait cherché à influencer la campagne présidentielle américaine, et à déstabiliser les Etats-Unis d’Amérique, est parfaitement plausible. Elle est même banale. Cela fait partie des activités inavouées, et pourtant bien réelles, auxquelles les Etats se livrent entre eux, depuis que les Etats existent. L’Amérique espionne tout le monde et écoute tout (même François Hollande en son temps ou Angela Merkel !). Ses adversaires ne sont pas en reste à son égard.

Par contre, l’idée que Donald Trump, ou quiconque dans son entourage immédiat, ait pu prendre part à une forme d’intelligence avec l’ennemi et de conspiration contre les Etats-Unis est saugrenue. Tous les Américains en ont conscience, même les nombreux ennemis du président. Mais que dans le tumulte de la campagne et mus par leur volonté d’exploiter toutes les opportunités rencontrées contre leur adversaire, que des proches de Donald Trump aient commis des erreurs, voire aient enfreint certaines règles, n’est pas impossible du tout. C’est d’ailleurs ce sur quoi comptent les nombreux ennemis du président. 

Ils comptent surtout sur la possibilité que ces erreurs en entrainent d’autres, encore plus graves, comme dissimuler la vérité, faire obstruction à la justice ou  commettre un parjure. La vraie menace que « l’affaire russe » fait peser sur l’administration américaine réside dans ces différents aléas. En son temps, le président Bill Clinton ne fut pas menacé de destitution parce qu’il avait eu des relations sexuelles avec Monica Lewinski, mais parce qu’il avait menti au Congrès pour les dissimuler…

Un « impeachment » est toutefois une procédurelongue, qui ne mène pas forcément à la destitution du président.

Dans l’histoire américaine deux présidents ont été sanctionnés «d’impeachment », Andrew Johnson en 1867 et Bill Clinton en 1999. Tous deux ont terminé leur mandat. Quant à Richard Nixon, le seul président à avoir démissionné, il l’avait fait de manière préventive, avant même que le Congrès ne se prononce, sachant sa cause perdue.

« Impeachment » ne veut pas dire destitution. Un « impeachment » est obtenu par vote de la Chambre des représentants à la majorité simple. Il ouvre sur un procès en destitution, mené devant le Sénat et sanctionné par un autre vote, cette fois à la majorité des deux tiers.

Actuellement les Républicains comptent  240 sièges à la Chambre contre 194 aux Démocrates,  et un Indépendant. Il faudrait donc que vingt-cinq élus du parti républicain rompent les rangs pour approuver des « articles of impeachment ».  Sachant que Donald Trump reste très populaire au sein de l’Amérique profonde et de  l’électorat républicain, et que les élus auront à retourner rapidement devant cet électorat, la probabilité d’un tel retournement est très faible. Par contre, si les Démocrates venaient à reconquérir la majorité des sièges de la Chambre, à l’occasion des élections intermédiaires de novembre 2018, un vote d’impeachment deviendrait  plus que probable. Nous sommes à quinze mois de cette échéance. Et  rien ne garantit que les Démocrates obtiennent la  majorité, même s’ils remportent ces élections. Un retard de vingt-cinq siège est lourd à combler aux Etats-Unis.

Dans l’éventualité d’un vote d’impeachment, l’affaire est renvoyée devant le Sénat qui doit instruire le procès du président. En attendant le verdict, le président continue d’exercer sa fonction. Un « impeachment » ressemble en fait à une mise en examen. Elle ne vaut pas condamnation. Quant au procès, c’est une affaire bien plus politique que juridique.

Selon la Constitution, le président doit être coupable de « trahison, corruption, ou autres délits et crimes notoires ». Même si certains ont déjà employé le mot de « trahison » au sujet de l’affaire russe, la réalité des faits est bien moindre.

Bien qu’il ait lieu au Sénat, le procès est dirigé par le président de la Cour Suprême. Il s’agit à l’heure actuelle du Jude John Roberts, nommé par George W. Bush. Le rôle des  procureurs est tenu par des élus de la Chambre, à priori ceux ayant rédigé les fameux articles d’impeachments. Le président dispose de son équipe d’avocats, qui ne sont pas forcément des élus. A la conclusion du procès il faut un vote à la majorité des deux tiers des Sénateurs, soit 67 voix,  pour condamner le président, qui est alors immédiatement déchu et remplacé par son vice-président.

Pour l’instant les Républicains contrôlent 52 sièges sur 100 au Sénat. Les élections de 2018 pourraient les voir consolider cette majorité, car sur les 33 sièges qui seront à renouveler, seulement huit sont détenus par des Républicains et les 25autres par des Démocrates et Indépendants.En clair les Démocrates seront trois fois plus exposés qu’eux. Et il est acquis qu’ils n’auront pas les 67 sièges nécessaires à un vote en destitution. Dès lors il faudra à nouveau trouver des Républicains prêts à se désolidariser du président pour parvenir à un vote de condamnation.

Dans une telle éventualité c’est donc Mike Pence qui deviendrait président. Pence est un vrai conservateur et un homme très religieux. Il est beaucoup plus à droite que Donald Trump sur de nombreux sujets, notamment celui de l’avortement. Les Démocrates ne gagneraient pas au change à l’avoir à la Maison Blanche.

Bref faire tomber le président n’est pas aisé, et dans la perspective de 2020,  les Démocrates ont intérêt à ce que Trump reste à la Maison Blanche plutôt que d’être renvoyé dans sa tour à New York. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !