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Les régimes autoritaires sont-ils en train de gagner la bataille contre la liberté du Web ?
©Reuters

Guerre virtuelle

Apple a retiré de son app store chinois les applications qui peuvent permettre de se connecter à internet par des réseaux privés virtuels. Cette pratique permet à la marque américaine de se soumettre à la souveraineté nationale chinoise sans perdre un marché en croissance.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » du « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).

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Atlantico : Apple a retiré de son app store chinois des applications qui permettent de se connecter à internet sur des réseaux privés virtuels. Quels sont les ressort de ce mouvement de la part d'Apple ? En quoi cela pourrait poser problème pour les utilisateurs ? 

Franck Decloquement : En effet, dans une déclaration qu’elle a tenue dimanche dernier, une porte-parole d'Apple a confirmé que la firme supprimera les applications qui ne sont pas conformes à la loi de son App Store chinois. Y compris des services basés à l'extérieur du pays, dans le cas présent. Et plus particulièrement, les services de réseau privé virtuel – dit aussi « VPN » – de son magasin d'applications en Chine. La firme avait d’ailleurs fait l’objet de vives critiques émanant de certains fournisseurs de services VPN, qui ont accusé le géant américain de s'incliner devant la pression de l’instance de cyber-régulation Chinoise à Beijing.   Les VPN permettent en outre aux utilisateurs de contourner le soi-disant « grand pare-feu » de la Chine – autrement nommé : The Great Firewall – en réalité, un dispositif visant clairement à restreindre l'accès aux sites étrangers, pour l’ensemble de la population du pays soumis à des restrictions connues de longue date. Ce qui ne va pas sans poser d’évidents problèmes en matière de liberté individuelle… En janvier dernier, Beijing avait d’ailleurs adopté des lois visant à interdire tous les VPN qui ne sont pas « approuvés » par les autorités de réglementation de l'État Chinois. En outre, les VPN approuvés doivent impérativement utiliser les infrastructures des réseaux d'état, naturellement sous contrôle.

Pékin avait d’ores et déjà fermé des dizaines de fournisseurs basés en Chine, une restriction visant également des services à l'étranger, car les autorités s'efforcent de renforcer son contrôle sur Internet. Et ceci plus particulièrement, avant la tenue du congrès du Parti communiste Chinois en août prochain.   Dans le cas présent, la firme américaine Apple a pour la première fois satisfait aux demandes de « dépoussiérer » les fournisseurs étrangers à partir de son magasin de vente d’application, selon un fournisseur d’accès VPN. Appuyant de facto – bien que de manière indirecte selon lui – le régime de censure en Chine. A ce propos, le fournisseur d’accès VPN « ExpressVPN » a déclaré samedi qu'il avait reçu un avis d'Apple indiquant que son logiciel serait retiré de China App Store, « car il comprend un contenu illégal en Chine »... « Nous sommes déçus par ce développement, car il représente la mesure la plus radicale que le gouvernement chinois a prise pour bloquer l'utilisation des VPN à ce jour, et nous sommes troublés de voir Apple aider les efforts de censure de la Chine », a déclaré le fournisseur « ExpressVPN » dans un communiqué très laconique. D'autres fournisseurs majeurs, dont « StarVPN » et « VyprVPN » ont également confirmé dans la foulée qu'ils avaient également reçu ce même avis samedi, de la firme Apple. « Nous considérons l'accès à Internet en Chine comme une question de droits de l'homme et je m'attends à ce que Apple valorise les droits de l'homme sur le profit », a déclaré à l’agence à Reuters dimanche dernier, le président Yokubaitis de « Golden Frog », qui supervise en outre « VyprVPN ». Déclarant à ce propos que « Golden Frog » déposera une requête auprès de la firme Apple.

Quelles sont les problématiques que posent ces applications à la souveraineté nationale d'un pays comme la Chine ? En quoi ces réseaux virtuels privés sont une menace ?  

C’est assez simple à comprendre : les autorités Chinoises considèrent qu’elles doivent être souveraines et rester maîtresse chez elle, en matière de circulation de l’information. Leur stratégie de puissance est claire et parfaitement définie. Contrôler les communications, les data qui circulent et les messages qui s’échangent à travers les réseaux mis en place sur son espace national, mais aussi le transite des données rendues accessibles par des offres de services commerciaux « extérieurs » est donc un impératif de sécurité nationale assumée et une nécessitée première parfaitement réfléchie… Au même titre que l’Amérique, qui comme chacun le sait depuis les multiples révélations faites en marge du programme de surveillance global Prism, via les rebondissements de l’affaire Snowden, utilise certains de ses grands opérateurs nationaux, par ailleurs champions du numérique, pour se rendre maîtresse du cyberespace et contrôler les données qui transitent en son sein. De même, il est inenvisageable pour la Chine de se laisser convaincre  –  au prétexte des seuls bénéfices commerciaux produits – de renoncer au contrôle absolu des nouveaux moyens qu’offre le web pour déstabiliser le régime autoritaire en place et gérer ses populations intérieurs. C’est un choix de politique intérieur réfléchis et un enjeu prioritaire de souveraineté nationale. Comme le rappel régulièrement de nombreux analystes, la consommation américaine dépend des exportations chinoises. La Chine soutient le dollar américain en finançant la dette publique des États-Unis à auteur de 1 120 milliards en bonds du trésor américain (derrière le Japon avec 1130 milliards). Ces derniers ont donc tout intérêt à l’intégration réussie de la Chine au sein du système économique mondial.

Inversement, les États-Unis sont le premier débouché commercial de la Chine et la première destination de ses investissements. La croissance chinoise dépend en définitive de la vitalité du marché américain. La stabilité politique même du régime chinois dépend de l’entretien du sentiment national et indirectement, de la consommation américaine… En effet, la croissance économique est la condition sinequanone de la stabilité sociale, et donc politique de la Chine. Or, cette croissance est tirée pour l’essentiel par la consommation américaine. Mais il est aussi manifeste que cette dernière n’a pas vocation à trop provoquer les susceptibilités et les bonnes dispositions de son principal bailleur de fonds. Au risque de se voir potentiellement déstabiliser sur le plan international en cas de fâcherie diplomatique. Et cela vaut bien l’acceptation consubstantielle d’une forme de renoncement par l’un de ses GAFAS, à agir derechef en vertu de ses seuls intérêts commerciaux bien compris sur le territoire Chinois. On peut aisément l’envisager en période d’équilibres précaires ou chaque action à tout de même vocation – in fine – à bénéficier à l’ordre global. Toutefois, la Chine est encore très loin « d’acheter l’Amérique ». Ce sont moins ces acquisitions que l’absence de réciprocité qui pose problème. Car si les Chinois « font leur marché » aux États-Unis, les Américains et les Européens ne disposent pas de la même liberté commerciale en Chine… Loin s’en faut ! Une dissymétrie significative qui justifie d’ailleurs l’un des objectifs du bras de fer qui était de longue date annoncé entre Trump et la Chine.

Est-ce que cela peut signifier que les pays autoritaires pourraient gagner la bataille contre la liberté du web ? Quels autres pays pourraient ou auraient intérêt à le faire ? 

Les choses évoluent toujours très vite en la matière, quand il est question de stratégies digitales, et rien n’est jamais définitivement gravé dans le marbre. Les fournisseurs de VPN affirment d’ailleurs à ce propos que si les applications ne sont plus disponibles sur le magasin, les utilisateurs sont toujours en mesure de les installer « manuellement », à l'aide du support VPN intégré au système d'exploitation Apple… « Nous sommes extrêmement déçus que Apple ait fait preuve de pression », a déclaré Yokubaitis. « Cela a été assez décevant, mais nous nous battrons »… D’ailleurs, il est à noter que les utilisateurs chinois qui disposent toujours d’adresses de facturation dans d'autres pays, pourront encore accéder aux applications VPN d'autres branches de l'App Store. Un certain nombre d'applications VPN étaient toujours accessibles sur l'App Store de Chine, samedi. Apple a nommé un nouveau directeur général pour la région ce mois-ci qui a établi un centre de données avec un partenaire local, dans la province du sud-ouest du Guizhou, pour se conformer aux nouvelles réglementations chinoises sur le stockage « en nuage » des données.

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