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Etats-Unis/Russie, la guerre des services secrets
©Reuters

Affrontement

Les Etats-Unis traversent actuellement une période de paranoïa aiguë en matière d’espionnage et de trahison qui rappelle les plus belles heures du Maccarthysme (ou la « peur rouge ») des années 1950.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Dans les faits, les Démocrates qui ne parviennent pas à encaisser leur défaite à l’élection présidentielle de 2016 accusent l’équipe Trump d’avoir été aidée par les services secrets russes afin d’influencer les votes. Après sa victoire, ils vont encore plus loin tentant de l’accuser, lui et son entourage, de « haute trahison » au profit d’une puissance étrangère. Le problème réside dans le fait que pour l’instant, aucune preuve formelle recevable par la justice n’a été apportée par les différents responsables des services de renseignement US. Même le « dossier » rédigé par l’ancien Officier Traitant du MI-6 (les services de renseignement extérieurs britanniques) Christopher Steele qui concernait en particulier de supposées dérives sexuelles de Donald Trump à Moscou n’a pas pu être recoupé. D’ailleurs, l’avis des professionnels américains du renseignement sur ce fameux rapport reste pour le moins prudent.

Force est de constater que dans presque toutes les démocraties, aujourd’hui les perdants ne veulent plus reconnaître leurs propres erreurs et attribuent leur échec à des « forces obscures » qui ne peuvent qu’avoir forcé la décision des d’électeurs. Pour eux, le système démocratique est bon quand il leur permet de parvenir au pouvoir mais pas quand les électeurs, forcément « sous influence » ou/et ignorants, plébiscitent leurs adversaires. Dans ce cas, le perdant prétend qu’il y a eu « magouille ».

Lors de la dernière élection présidentielle de 2016, si les services russes ont été effectivement impliqués, leurs homologues américains ont aussi fait partie du jeu politique renforcés par le fait que, même au sein du camp républicain, beaucoup de responsables - dont le sénateur John McCain - ont vécu l’arrivée de Donald Trump au pouvoir comme un échec.

La réalité est prosaïque : les neoconservateurs soutenus par le lobby militaro-industriel qui craint pour ses profits gigantesques et la communauté du renseignement jalouse de ses prérogatives, voyaient l’élection de Trump à la présidence comme une menace pour leurs intérêts. Durant sa campagne, il n’a en effet cessé de prôner un désengagement militaire américain, une diminution de programmes d’armements tout en critiquant durement les services de renseignement.

Un peu d’Histoire (récente)

Après la chute de l’URSS, l’ennemi principal et puissant de l'Occident a disparu au grand dam des Etats-Unis. Les neoconservateurs ont profité des désordres qui ont suivi en Europe centrale pour commencer par étendre leur influence au vieux continent en utilisant des groupes d’influence (comme la National Endowment for Democracy, NED) majoritairement financés par des fonds publics. Cela a été appelé le triomphe du soft power, certes appuyé quand c’était nécessaire par quelques bombardements bien sentis.

Même si ces mêmes groupes n'ont pas été à l’origine des révolutions arabes de 2011 que personne n'avait vu venir - et surtout pas les services de renseignement -, ils les ont au minimum « accompagné » en espérant aider à l’installation de pouvoirs favorables à Washington sous couvert d’extension de la « Démocratie », la nouvelle « religion » qui justifie les « croisades » modernes. Pour ce faire, ils se sont surtout appuyés sur l’organisation des Frères musulmans jugée comme fréquentable car acceptant de participer au sacro-saint processus des élections. Ils ont volontairement ignoré que le but ultime des Frères musulmans est aussi l’établissement du califat où règnera la charia. Seuls les moyens pour y parvenir diffèrent de ceux d’Al-Qaida et de Daech.

Globalement, l’action américaine a été couronnée de succès pour les neocons qui ont profité de la faiblesse de la Russie pour avancer leurs pions via l’OTAN en grignotant progressivement les marches de ce qu’ils considéraient comme étant l’« empire russe ». La plus grande intoxication menée par les Américains a concerné l’établissement d’un réseau de surveillance anti-missiles basé en centre-Europe pour éviter que les Etats-Unis ne soient un jour frappés par des missiles iraniens. En dehors du fait que ce pseudo réseau de surveillance ne protège pas l’Europe elle-même contre une menace potentielle iranienne, il semble évident que ce sont surtout les Russes qui, l’air de rien, sont visés.

Par contre, la désillusion de Washington a été grande au Proche-Orient où le chaos a remplacé les dictateurs qui avaient été renversés. L’apparition de Daech, une branche ultra-radicale d’Al-Qaida « canal historique » qui a rompu avec la « maison mère », a été une surprise. Puis, une autre surprise non anticipée par les services, certains responsables politiques n’ont pas plié ou ont refusé de suivre la ligne de conduite prônée par Washington : Bachar el-Assad et le maréchal Sissi.

Enfin et surtout, l’« ours russe » qui avait entre-temps retrouvé quelques forces, a fini par réagir à la stratégie d’influence de Washington en menant des contre-offensives particulièrement efficaces sur le terrain. L’Ukraine, la Géorgie et le Belarus sont aujourd’hui des points de friction où Washington ne parvient plus à progresser.

Vladimir Poutine a alors été désigné comme le « diable » par les neoconservateurs. Un ancien « Tchékiste » (du nom de la Tcheka ancêtre du KGB) à la tête de la Russie ne peut être que soupçonnable de tous les maux. En plus en 2015, il s’est permis de faire l’apologie des « espions » russes : « des gents forts et courageux, de vrais professionnels qui protègent efficacement la souveraineté, l’intégrité et les vies de nos concitoyens ». Leurs homologues occidentaux attendent toujours un tel soutien de leurs hautes autorités politiques… Les Américains à la mémoire toujours courte ou/et exclusive ont oublié un peu vite que George H.W Bush, avant d’être élu président des Etats-Unis (1989-93) fut un temps directeur de la CIA.

Le suivisme de l’intelligentsia européenne

 Une grande partie des intellectuels d’Europe occidentale(1) qui dans le passé avait baigné dans une ambiance marxiste-léniniste - voire maoïste pour les plus radicaux - a effectué une « révolution culturelle » obligée, leur « modèle » soviétique s’étant effondré(2).

Ils ont été gagnés par une « Obamamania » qui les a fait glisser progressivement dans un atlantisme assumé. Depuis, ces mêmes intellectuels qui occupent des positions éminentes et surtout, qui sont omniprésents dans les medias, le « cinquième pouvoir » qui aimerait bien grimper dans le classement, suivent peu ou prou les orientations concoctées à Washington.

Dans le passé, histoire de briller, ils étaient plus communistes que les membres soviétiques du parti, aujourd’hui, ils sont plus néocons que leurs homologues américains. Que ce soit dans le passé ou maintenant, ils mettent en avant la « morale démocratique » pour justifier leurs choix. C’est extrêmement pratique car cela permet de rejeter toute contestation - sans même à avoir à discuter sur les idées - car les contradicteurs sont désignés au choix comme des imbéciles qui n’ont rien compris, comme des « fascistes »(3) ou des malades mentaux qu’il faudrait rééduquer - c’était très à la mode en URSS -. Leur arrogance n’a d’égale que leur attitude méprisante pour leurs contradicteurs et, plus grave encore, pour le peuple qu’ils considèrent secrètement comme ignare. Le pire, c’est qu’ils sont sincères et ne semblent absolument pas douter. Et pourtant le doute, c’est le début de la sagesse…

L’action des services russes

Certes, les services russes se sont « intéressés » - et de près - à l’élection américaine, l’arrivée éventuelle au pouvoir d’Hillary Clinton étant jugée comme une menace par le Kremlin en raison de ses convictions neoconservatrices qui confinaient à un bellicisme inquiétant. Il est même vraissemblable qu’ils aient mené des opérations d’influence, pas pour amener Trump aux manettes, mais pour faire barrage à Mme Clinton.

Le reproche qui est fait à la presse russe, en particulier à Russia Today et Sputnik d’avoir « fait campagne » contre Mme Clinton est fondé. Ce sont des medias d’opinion qui sont certainement influencés par le Kremlin comme Radio Free Europe l’était par la Maison Blanche lors des élections russes.

En fait, les services russes sont repartis à l’offensive partout où les intérêts de Moscou sont engagés. Vladimir Poutine sait que le renseignement, la désinformation, la corruption et d’autres méthodes actives permettent d’obtenir des résultats tangibles sans tirer un coup de feu et, en fin de comptes, à moindre coût.

Au risque de choquer, tout cela est parfaitement normal, les services secrets sont payés pour faire du renseignement ET agir à l’étranger pour défendre les intérêts de leur propre pays. Ces actions sont parfois violentes comme dans le cas des centaines d’opérations de neutralisation (opérations homo) ordonnées par le président Obama(4).

La question qui se pose dans le cas des Etats-Unis est : le contre-espionnage américain a-t-il été à la hauteur et les bonnes décisions politiques que devaient entraîner les renseignements qu’il ramenait ont-elles été prises ?

L’existence d’un service spécial permet aux gouvernants, même des pays démocratiques, de sortir du carcan imposé par les lois nationales et internationales pour agir dans l’« intérêt supérieur de la Nation ». Il est possible que certains ne l’admettent pas en raison de l’idée qu’ils se font de la « morale ». S’ils parviennent un jour au pouvoir, qu’ils les suppriment, ce sera une première. En effet, jusqu’à aujourd’hui, aucun gouvernement n’a décidé de se passer d’un « service spécial ». Cela semble démontrer que leur utilité est indispensable à la bonne marche des affaires de l’Etat. Encore faut-il que ce dernier ne serve pas à ses chefs politiques la soupe qu’ils souhaitent entendre, ce qui arrivé à de multiples reprises par le passé !

Une situation de plus en plus incontrôlable

Le dernier rapport de prospective du National Intelligence Council parle de « dynamiques » qui « exacerbent les tensions entre pays, élevant ainsi le risque de conflit entre États au cours des cinq prochaines années […] l’affaiblissement de l’Europe, l’incertitude sur le rôle que joueront les États-Unis sur la scène internationale et la remise en question des conventions de maintien de la paix et de respect des droits humains représentent des opportunités pour la Chine et la Russie. Cette situation encouragera également les agresseurs non gouvernementaux et apportera un nouveau souffle aux rivalités régionales, par exemple entre Riyad et Téhéran, Islamabad et New Delhi ou encore sur la péninsule coréenne. » Le NIC parle d’or puisque la rivalité entre Riyad et l’Iran est à son comble via l’affaire du blocus du Qatar, quant à la péninsule coréenne, il suffit d’un étincelle pour que cela explose au sens propre comme au figuré.

Tout observateur un peu censé se rend bien compte que les tensions sont en train de monter un peu partout dans le monde et que certains décideurs semblent attirés par une fuite en avant vers le précipice.

Bien évidemment les Etats-Unis qui restent la première puissance mondiale - économique et militaire - ont un rôle crucial à jouer. Leur tradition de vraie démocratie les pousse à adopter des attitudes raisonnables. Il est plus que temps qu’ils cessent de jouer la tragi-comédie interne qui prévaut actuellement et qui semble altérer leur vision du monde extérieur. Ils pourront alors revenir sur le devant de la scène pour assumer les responsabilités qui sont les leurs. Encore faudrait-il que Donald Trump soit à la hauteur des enjeux. Là, le doute persiste.

1. Une nouvelle génération d’intellectuels post-soixante-huitarde est désormais en place. Mais elle a été formée par la précédente dont elle a épousé le cheminement.
2. Cela dit, peu ont reconnu leurs erreurs passées et surtout les crimes de masse commis au nom du marxisme-léninisme.
3. Les rappels aux « heures les plus sombres de l’Histoire » sont incessants de la part de la classe intellectuelle qui, globalement, n’a aucune idée de ce qui s’est réellement passé à l’époque car les historiens sont rarement écoutés.
4. Evidemment, les Etats-Unis ne sont jamais intervenus pour fausser des élections en Amérique latine ou en Europe et la France est exempte de tout reproche du même ordre en Afrique.

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