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Accord sur le climat, OTAN, protectionnisme... : Pourquoi la Chine se frotte les mains des décisions prises par Donald Trump
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Empire du milieu

En décidant de retirer les Etats-Unis de l'accord de Paris, Donald Trump offre la possibilité à la Chine de se refaire une réputation à bon compte, en apparaissant comme la grande puissance responsable, celle qui défend l'organisation du monde.

Valérie Niquet

Valérie Niquet

Valérie Niquet est Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la FRS.  Elle est l'auteure du livre "La puissance chinoise en 100 questions" aux éditions Tallandier.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Accord de Paris sur le climat, mesures protectionnistes, etc. : dans quelle mesure les dernières décisions prises par Donald Trump - qui se veulent l'incarnation de son slogan de campagne "Make America Great Again" - peuvent-elles profiter à la Chine ? 

Edouard Husson : Il serait temps de cesser de personnaliser les enjeux concernant la politique américaine. Les adversaires de Trump sont, sauf exception, incohérents: soit il mène une politique à ce point absurde qu'elle échouera; soit il n'est que le représentant le plus en vue d'un courant d'opinion important aux Etats-Unis et il ne sert à rien de se fixer sur la seule personne de Trump.

La réalité, c'est que les Etats-Unis sont profondément divisés sur le sujet du changement climatique; le pays est coupé en deux, comme sur la plupart des autres grands sujets. Théoriquement, Hillary Clinton n'aurait jamais dû perdre la présidentielle américaine, grâce à sa victoire en Californie - mais elle a péché par arrogance, refusé de prendre en compte toutes cette "Amérique périphérique" pour laquelle l'environnementalisme conduit à des politiques hostiles aux classes moyennes précarisées et aux classes populaires. Ainsi de la question de la disparition de l'automobilie au profit d'un retour vers les centre-villes. Toute l'Amérique des banlieues résidentielles proteste contre ce qu'elle considère être le "diktat" des "bobos" version américaine (les fameuses "classes créatives" identifiées et analysées par Richard Flordia). Trump a fait campagne à fond dans des régions où l'on déteste le discours sur le changement climatique et il a gagné grâce à cela. Il tient donc une promesse électorale.

Et cela passe avant les considérations géopolitiques: évidemment les Etats-Unis pourraient craindre que la Chine profite du vide laissé par le retrait américain d'accords multilatéraux de cette ampleur. La Chine n'est pas exemplaire en matière de pollution mais elle pourra se refaire une réputation à bon compte en apparaissant comme la grande puissance responsable, celle qui défend l'organisation du monde.

Valérie NiquetIl y a une contradiction entre le slogan "Make America Great Again" et le repli sur soi des Etats-Unis. Cette stratégie permet à la Chine de se positionner comme une puissance responsable et ouverte sur le monde. Sur le climat, le retrait des Etats-Unis permet à Pékin de jouer l'engagement international sur un sujet consensuel tout en tirant parti de l'amélioration de ses performances énergétiques essentiellement dues au ralentissement de l'économie. L'image de la Chine en bénéficie et peut faire oublier d'autres enjeux plus conflictuels comme la mer de Chine.

Selon vous, le président américain a-t-il pleinement conscience de l'avantage que donnent à la Chine certaines de ses décisions politiques et économiques ? N'y aurait-il pas là la volonté délibérée d'un désengagement général des Etats-Unis de la scène internationale ? Quels sont les risques réels pour les Etats-Unis ? 

Edouard Husson : Tout ce que fait Trump est subordonné à des questions de politique intérieure. Il se retire bruyamment de l'accord de Paris pour tenir une promesse électorale. Ce n'est pas la dernière qu'il tiendra, au risque de fâcher les Etats-Unis avec le reste du monde. Même quand Trump renie apparemment un engagement de campagne (les contrats d'armement signés avec le royaume saoudien ne relèvent pas vraiment de la lutte contre le fondamentalisme et le terrorisme), le président américain a en tête le maintien de l'emploi aux Etats-Unis; son arrivée au pouvoir lui a fait prendre la mesure du poids de l'industrie de la défense dans l'économie américaine. C'est ennuyeux, et même dangereux pour la paix du monde, mais Trump ne suit que son slogan: "Make America great again".

Clinton contre Trump: il n'aurait pas fallu regarder les personnes mais ce qu'exprimaient les options politiques. Les années 1990-2007 ont représenté le sommet de la domination américaine sur le monde. Depuis la conférence sur la sécurité de Munich en février 2007, au cours de laquelle Vladimir Poutine a dénoncé le monde américano-centré et plaidé pour un ordre multipolaire, nous savons que les Etats-Unis ont perdu la domination de l'Eurasie, rêve de toute leur géopolitique depuis un siècle. Puis est venue la crise financière de 2007-2008. Obama a essayé de tenir une position d'équilibre entre l'inévitable désengagement militaire américain (accord avec l'Iran) et l'idée d'une politique d'engagement mondial des Etats-Unis. Cette position est difficile à tenir et nous avons eu, en 2016, l'opposition entre un partisan du retrait américain et un défenseur de la "mondialisation américaine". En vérité, une fois élu, Trump est bien obligé de faire un compromis avec l'autre camp: en reprenant à son compte une partie de l'agenda du Pentagone, par exemple. Comme Obama, il cherche un équilibre entre les deux exigences, celle de refaire les forces des Etats-Unis et celle de tenir les engagements à l'étranger. Un tel équilibre est difficile à tenir, tel est le principal risque pour les Etats-Unis. 

Valérie Niquet : Il n'est pas certain que le president américain soit pleinement conscient de la portée de ses décisions. Ce qui inquiète particulièrement les alliés des Etats-Unis en Asie, c'est l'absence de constance et le caractère parfois incohérent de la stratégie extérieure des Etats-Unis.

La Chine peut-elle et veut-elle occuper la place de leader mondial, qui est celle actuellement des Etats-Unis ? 

Edouard Husson : Il me semble qu'il y a une différence fondamentale entre la Chine et les Etats-Unis. La première ne vise pas une hégémonie mondiale. Elle est préoccupée de prospérité et de croissance; de la mise en valeur d'une Eurasie qui doit équilibrer l'organisation du monde, de façon à ne pas trop dépendre de la zone Pacifique et de l'emprise qu'y exercent encore les Etats-Unis. Regardez le monde depuis Pékin: vous comprendrez que la Chine construit sa géopolitique sur un pilier de compromis avec les Etats-Unis et un pilier d'organisation de l'Asie Centrale, en bonne entente avec la Russie. La Chine n'a jamais aimé faire la guerre. Elle préfère aujourd'hui la diplomatie et l'argent - tout en veillant à ne pas se laisser distancer par l'appareil de défense américain.

Alors que les Etats-Unis sont entrés, bon an mal an, dans une dynamique de désengagement, il ne semble pas que la Chine veuiille se substituer à la politique américaine. Elle partage avec la Russie et les autres BRICS, et avec, surtout, les pays de l'Organisation de Coopération de Shanghai, la conviction que la nouvelle organisation du monde doit être multipolaire. Il est donc certain que la Chine va profiter de l'absence des Etats-Unis pour peser dans de grandes instances internationale. Au-delà, tout dépendra du succès de la "Nouvelle Route de la Soie", axe majeur d'investissement pour le pays à travers deux continents. Ce sera la pierre de touche de la capacité chinoise à exercer un leadership tranquille, grâce à sa puissance industrielle, ses énormes masses financières et des capacités croissantes d'innovation.

Valérie Niquet : La Chine de XI Jinping a l'ambition de projeter une image de puissance qui sert les intérêts du régime. C'est l'objectif principal des grands projets de routes de la soie terrestre et maritime, et des conférences organisées autour de ces thématiques. Mais au-delà des slogans, la Chine est confrontée à des questions économiques difficiles. Elle n'est pas prête à assumer pleinement le rôle d'un leader responsable. Et surtout, elle est très loin d'en avoir les moyens. 

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