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Enterrer les corps, les brûler ou... les dissoudre : cette nouvelle possibilité de traitement des morts s'imposera-t-elle ?
©Reuters

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La raison d’une telle nouveauté ? Le désir de proposer un enterrement propre ne laissant aucune trace et ne pesant pas écologiquement dans un monde surpeuplé.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Pour se substituer à l’inhumation ou à la crémation, on propose aujourd’hui la dissolution. La raison d’une telle nouveauté ? Le désir de proposer un enterrement propre ne laissant aucune trace et ne pesant pas écologiquement dans un monde surpeuplé. Le coût modique également. En matière d’enterrement pour l‘avenir, est-ce une bonne solution ? 

Bertrand Vergely : Cette nouvelle façon de pratiquer des funérailles, une bonne solution ? Je ne le pense pas. La préoccupation écologique a quelque chose de gênant. Comme la préoccupation hygiénique. Parce qu’elle occulte la mort.  Quand quelqu’un meurt, normalement, on se recueille. On pense à celui qui est mort. On pense aussi au mystère de cette vie qui, après avoir commencé, finit. On ne s’agite pas. On essaie d’être et pas simplement de faire. Or, ici, que voit-on ? Au lieu d’être, de méditer, on étant ans le faire. 

Cette nouvelle façon de pratiquer des funérailles ne va donc pas aider notre société qui a tant de mal à être. D’autant qu’un problème très concret va se poser.

Le lieu dans l’espace qu’est la tombe permet le recueillement. Il lui donne un moyen de se fixer. Quand quelqu’un se fait brûler et que ses cendres sont dans une urne dans un casier dans un mur funéraire au milieu d’autres urnes, c’est déjà plus difficile. Avec la dissolution, si celle-ci se généralise, le recueillement va devenir tout bonnement impossible. Il va disparaître. Et, disparaissant, il va faire disparaître l’enterrement. Mais aussi cette journée commémorative qu’est le jour des morts à la Toussaint le 1er Novembre. 

Notre société qui ne pense déjà plus à la mort va approfondir cet oubli. Un tel oubli ne pourra que rendre la mort de plus en plus angoissante en générant une anxiété que rien ne pourra apaiser. Si bien que  cette nouvelle façon de pratiquer des funérailles faite pour apporter des solutions va créer des problèmes psychiques, moraux et spirituels plus profonds qu’on ne le pense.  

Un tel projet va-t-il changer de fond en comble les rites mortuaires qui sont les nôtres aujourd’hui ?

Bien évidemment. Parce qu’elle va achever ce qui est déjà en cours aujourd’hui à savoir une disparition totale des rites et du sacré. Nous avons connu par le passé des enterrements avec des rites religieux. Nous connaissons aujourd’hui des enterrements sans rites au cours desquels règne une atmosphère glaciale, plus personne ne sachant quoi dire ni quoi faire à part se taire et baisser la tête piteusement. Nous allons connaître la disparition de l’enterrement. Ceux qui pensent qu’après la mort il n’y a rien auront alors gagné. Il n’y aura effectivement rien. Rien sinon le poids ontologique laissé dans les subconscients par la dissolution et la marée noire spirituelle qu’elle ne va pas manquer de provoquer. 

Qui aspire à dissoudre les corps des morts ? Les truands dans les films de gangsters qui essaient de se débarrasser d’un cadavre gênent afin que la police ne le retrouve jamais. Dans un film de gangsters un cadavre est tellement gênant qu’on le fait disparaître en le dissolvant dans de l’acide.  Dans notre monde la mort est tellement gênante que non seulement  on la fait disparaître en faisant comme si elle n’existe pas ou en jouant avec elle, mais qui plus est on a comme projet de faire disparaître les morts. Cela fait froid dans le dos. Si ce projet se réalise,  le mort que l’on va dissoudre demain va prendre la place du juif que l’on brûlait hier. 

Cette nouvelle façon d’aborder la mort, que révèle-t-elle à propos de notre société ? 

L’accomplissement du projet matérialiste. Son apothéose. Quand on est matérialiste, vraiment matérialiste, on pense comme Épicure  qu’à part les atomes matériels et le vide il n’y a rien. Pas de Dieu bien sûr. Pas d’homme non plus. Pas de création. Pas d’au-delà. Venant de rien et n’allant vers rien, nous ne sommes rien. Avantage de cette vision totalement nihiliste ? La béatitude. Quand on n’est rien pourquoi s’en faire ? Quand on meurt puisque la mort n’est rien et que nous ne sommes rien, rien ne se passe. Notre monde est tenté par ce nihilisme et la dissolution comme projet de funérailles est la traduction sur le plan de la mort d’une vision nihiliste de l‘existence.  

Quand l’au-delà existe l’homme est mis en terre pour mieux aller vers le Ciel. Il fait l’expérience d’être  poussière terrestre afin de devenir poussière céleste. Avec le matérialisme, l’homme n’est pas appelé à devenir poussière afin d’être poussière céleste. Appelé à rien il est la poussière de rien du tout. C’est tout le problème du matérialisme. Au lieu de faire quelque chose de riche de la poussière et de la matière, il en fait quelque chose de pauvre, de vide, de creux. Lui qui aspire tant à revenir à la Terre il passe complètement à côté de celle-ci. D’où son rapport nihiliste à l’enterrement. 

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