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Divulgation d'informations classifiées : pourquoi le soutien indéfectible de son électorat devrait protéger Donald Trump de sa bourde pourtant indéfendable
©JIM WATSON / AFP

Gaston TheGaffe

Donald Trump a révélé des informations classifiées au ministre des affaires étrangères russe, Sergei Lavrov, et à son ambassadeur, lors d'une visite à la maison blanche. Un faux pas de plus mais que ses électeurs risquent de vite lui pardonner malgré la sidération générale.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Le 15 mai, le Washington Post a révélé que Donald Trump avait révélé des informations classifiées au ministre des affaires étrangères russe, Sergei Lavrov, et à son ambassadeur, lors d'une visite à la maison blanche. Un épisode qui intervient au lendemain de la séquence du renvoi du directeur du FBI. Une telle révélation est elle à même de porter un véritable coup au nouveau Président des Etats Unis, notamment sur la question de son professionnalisme, et du respect des intérêts de son pays ?

Jean-Eric Branaa : Il est vrai que cette séquence a de quoi surprendre! De surcroit, cela intervient alors même que Washington est en état de crise permanente et que Donald Trump doit faire face à différentes accusations de collusion avec la Russie : on aurait pu penser qu’il aurait su se montrer raisonnable devant la force des attaques, en particulier celle qui ont suivies le limogeage de James Comey. Mais non ! Dès le lendemain il a reçu Sergei Lavrov –ce qui est un hasard du calendrier bien ironique– et il lui aurait confié des informations qui pourraient mettre en danger ceux qui les ont transmises au pays allié qui avait recommandé au Etats-Unis de les garder secrètes. Même si cette version est vigoureusement démentie par le général McMaster, en charge de la sécurité nationale et qui a assisté en personne à l’entretien, on peut remarquer que celui-cil insiste dans ses dénégations sur le fait que la source et la méthode d’obtention n’ont pas été révélées. Toutefois, ni lui ni personne d’autre à la Maison-Blanche n’a démenti formellement qu’il y ait eu fuite de renseignements hautement classifiés. 

Après cette série de ratés successifs, les langues commencent à se délier dans l’entourage du président et de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le manque de prudence du président, qui serait vraiment trop bavard. Il y a même eu des marques d’irritation au sein de la haute administration, comme l’a par exemple rapporté politico. Le point d’achoppement est certainement l’attitude personnelle du président et sa capacité à divulguer tous types d’informations. Il en est ainsi de ses successions régulières de tweets : comment ne pas s’étonner de la somme de renseignements qui sont apportées à la connaissance du public directement par l’hôte de la Maison-Blanche ? Il n’est même plus stupide de se dire que les espions du monde entier doivent être satisfaits de savoir quasiment heure par heure ce que pense le président du pays le plus puissant du monde…

En réalité c’est bien de la crédibilité de Donald Trump à la tête de l’Etat dont il s’agit. Encore une fois, on constate que les fonctions de PDG d’une entreprise, fut-elle prospère et efficace, n’ont rien à voir avec celles de chef d’un état. Donald Trump semble n’avoir toujours pas terminé son stage de formation et cela devient inquiétant alors qu’il est à la table des principaux décideurs de notre planète.

Donald Trump agit plus vite qu’il ne pense et cette impulsivité le décrédibilise. Sa naïveté à croire qu’il peut agir avec des leaders étrangers comme avec ses amis de chambrée est déconcertante.

Les rebondissements successifs de la Présidence Trump pourraient ils aboutir, à terme, à une destitution, comme certains semblent l'envisager ? OU s'agit il de pure spéculation ? 

Avec le passif accumulé, on pourrait penser que l’Impeachment serait la route assurée. Pourtant, je pense qu’il n’en sera rien avec Donald Trump. Car, là encore, on va trouver une dose d’ironie tellement énorme qu’elle permet de parachever la farce : Donald Trump ne sera pas destitué pour le moment en tous cas, parce que les Républicains sont son meilleur rempart. On parle bien des Républicains qui l’ont combattu pendant près de deux ans, de ceux qui ne voulait pas de lui au point d’envisager un temps de changer els règles de la sélection et parlaient de « convention contestée ». Aujourd’hui Donald Trump est le président et ils savent tous que sa base électorale est plus solide que du téflon. C’est ça le problème : si la côte générale de Donald Trump ne bouge quasiment pas depuis le 8 novembre 2016, autour de 44% de satisfait, si celle de ses opposants à grimpé pour sa part autour du maximum possible à 55%, sa côte d’amour reste incroyablement élevée auprès des électeurs républicains, autour de 80% et elle est phénoménale auprès de ceux qui ont voté pour lui : 96% referait le même vote. Aucun élu républicain ne bougera donc le petit doigt tant qu’il y aura de tels chiffres. Ce serait suicidaire. Quand on ajoute à ce tableau des élections législatives et sénatoriale en 2018 (un tiers du Sénat sera renouvelé) dont la campagne va commencer en fin d’année, on comprend que les élus préfèrent se faire très discret. A commencer par le président de la Chambre des représentants, qui fait une grande tournée dans les Etat du nord-est depuis le limogeage de James Comey et n’accepte de répondre aux interviews que si elles portent sur les impôts.

L’Impeachment est une procédure politique, mais elle est destinée à mettre en cause la responsabilité pénale individuelle de celui qui est mis en cause, et non une responsabilité politique. L’Impeachment n'est donc pas assimilable à une motion de censure. L’annonce d’une prochaine procédure de destitution relève donc bien de la pure spéculation.

Le parti Républicain se met-il en danger en apportant ainsi son soutien à Donald Trump ? La polarisation du débat politique américain, autour de la personne de Donald Trump n'est elle pas en train d'affaiblir l'ensemble du débat politique lui même ? 

En réalité, le Parti républicain n’a pas vraiment le choix. Cela fait huit ans qu’il attendait de récupérer la Maison-Blanche et la situation lui a été extraordinairement favorable en lui apportant également le contrôle des deux chambres, de la Cour Suprême et de 1/3 des gouverneurs et des assemblées des Etats. Cela le met dans une position paradoxalement difficile car il ne peut pas se retourner contre son principal leader au bout de seulement trois mois et demi. Les électeurs ne le comprendrait pas et ne le lui pardonnerait pas. Il y a donc, de fait, une sclérose du débat et les échanges s’appauvrissent. On a pu le voir avec la réforme de l’Obamacare qui a donné lieu à une joute, inévitable dans un tel dossier, mais avec une contestation qui n’a finalement pas résisté très longtemps, devant la nécessité de faire corps commun. Le weekend dernier, dans une convention réunissant les cadres du parti, on a entendu la présidente du parti républicain, Ronna McDaniel exorter les participants à se montrer unis devant les caméras et dans leurs déclarations.

En même temps, c’est cette impossibilité d’agir autrement que dans un suivisme parfois poli qui met en danger l’avenir. Le moindre écart va être désormais pointé et relevé et cela radicalisera immanquablement celles et ceux qui voudront s’affranchir de ce poids. On peut prédire que le Parti républicain connaitra des heures difficiles quand les plus hardis se décideront à se lancer à leur tour et se dresseront donc contre Donald Trump et contre la ligne de leur parti. Mais on a encore un peu le temps.

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