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Mais pourquoi jouons-nous à nous faire peur en surestimant les capacités militaires de la Russie ?
©Reuters

Tigre de papier ?

Les dépenses militaires de Paris dépasseront celles de Moscou en 2017. Au vu de la chute vertigineuse des dépensses russes en la matière et du contexte économique défavorable du pays, une chose est sûre : les capacités opérationnelles du Kremlin sont bien moindres qu'il n'y paraît.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : La Russie a vu baisser ses dépenses militaires de manière vertigineuse malgré les démonstrations de force en Syrie. Les dépenses sont dix fois moins élevées que les Etats-Unis et proches de celles de la France. Dans ce contexte, n'a-t-on pas tendance à surestimer les capacités militaires opérationnelles du Kremlin ? 

Alain Rodier : Pour être précis, selon le rapport du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) publié le 24 avril 2017, les pourcentages des dépenses militaires mondiales pour 2016 ont été de 36% du fait des États-Unis, de 13% pour la Chine et 4,1% pour la Russie. Les chiffres cumulés de la France, de l’Allemagne et de la Grande Bretagne aboutissent à 8,6% soit plus du double !

Les services de renseignement ont toujours adoré comparer les nombres de personnels et de matériels (military balance). Je ne résiste pas au plaisir de me livrer à cet exercice en sachant que ces chiffres sont approximatifs.

Tout d’abord, les populations. Les pays de l’OTAN représentent environ 917 millions de citoyens (dont 317 millions d’Américains) pour un peu plus de 142 millions de Russes. Or, les combattants se recrutent dans ces populations. La ressource des pays occidentaux est donc très supérieure à celle des Russes.

L’OTAN compte 3,6 millions d’hommes (et femmes) sous les armes (dont 1 500 000 Américain(e)s) contre 800 000 Russes. Au plan de l’aviation, l’OTAN est forte de 5 900 avions de combat (dont 3 500 Américains) contre 1 900 Russes.

L’US NAVY possède 10 portes aéronefs (sans compter les portes-hélicoptères) alors que Moscou en aligne un (en cale sèche pour une très longue période)… L’OTAN a approximativement 5 900 chars de bataille (dont 2 300 Américains) contre 2 800 russes.

La seule parité se trouve du côté des armes nucléaires, les Américains ayant 1481 têtes opérationnelles contre 1 735 russes. De quoi détruire plusieurs fois la planète. Bien sûr, ces chiffres ne prennent pas tous les éléments en compte, en particulier la disponibilité des matériels - très souvent en dessous de 50% -, la valeur combative et l'expérience des différents acteurs.

D’où provient cette exagération des capacités militaires de la Russie ? Par qui est-elle le plus entretenue et pour concourir à quel objectif ? 

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Washington s’est toujours employé à exagérer la menace de l’URSS, puis du Pacte de Varsovie et enfin de la Russie. Ses alliés de l’OTAN qui étaient tributaires (et qui pour beaucoup, le sont encore totalement) du renseignement américain n’avaient pas de raison de douter des affirmations du grand allié US d’autant que les Britanniques abondaient toujours dans leur sens et que leurs services bénéficiaient d'une solide réputation de sérieux.

La France a commencé à douter (un peu, puis plus sérieusement) de ces affirmations en analysant le conflit afghan mené par l’Armée rouge. A savoir que les informations recueillies nationalement ont démontré que la belle mécanique militaire russe n’était pas aussi efficace que prévue.

Mais la réponse à votre question provient du discours prononcé par le président Eisenhower le 17 janvier 1961 avant la fin de son deuxième mandat : « nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. [...]. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble. ». Malheureusement, il prévoyait déjà ce qu’allaient développer les néoconservateurs américains suivis par leurs homologues européens. A noter qu’ils se trouvent aussi bien dans le camp Républicain que Démocrate et qu'en Europe la classification droite/gauche n’intervient pas fondamentalement dans cette pensée. Là aussi, il y a des néoconservateurs dans les deux camps.

A quels défis doit faire face l'armée Russe et vers quoi se dirige-t-elle selon vous au vu du contexte économique défavorable dans le pays ? 

Le contexte économique problématique de l’économie russe (qui peut être comparée en niveau à celle de l’Italie) oblige Moscou à faire des choix qui handicapent son potentiel militaire malgré la propagande officielle largement diffusée sur les réseaux sociaux. Les programmes de modernisation en souffrent considérablement et sont revus systématiquement à la baisse.

Par contre, il est vrai que leurs intérêts stratégiques sur le plan géographique sont beaucoup plus limités que ceux de Washington. Les Russes entretiennent 12 bases extérieures contre 800 pour les Américains!

Alors, la posture consiste à venir titiller les pays de l’OTAN. Mais la Russie n’a plus les mêmes moyens que ceux connus du temps du Pacte de Varsovie. Sur le plan militaire, on est désormais bien loin du temps de la Guerre froide. Par contre, ils s’orientent vers des conflits "hybrides" sachant que les affrontements ne sont plus que militaires.

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