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Bombardement en Syrie et attentat à Stockholm : est-on à la veille d’une conflagration généralisée ?
©Reuters

Combo

Depuis lundi, le contexte international n'a cessé de se dégrader, faisant craindre une conflagration généralisée vers laquelle nous nous dirigeons dangereusement. Cette dernière est notamment alimentée par le caractère unilatéral de la politique étrangère américaine.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Atlantico : Frappes américaines en Syrie, attentats de Stockholm et Saint-Pétersbourg : la perspective d'une conflagration généralisée pourrait-elle être en train de prendre forme ?

Philippe Fabry : Ce qui est certain, c’est que nous assistons depuis quelques années maintenant au renforcement continuel de dynamiques qui convergent effectivement vers une conflagration : la crise migratoire et les attentats de l’Etat islamique en Europe sont venus exacerber la peur du terrorisme islamiste, la montée en puissance des grands Etats contestant l’ordre américain sur le monde – Chine et Russie – les tensions internes, très profondes, affectant le Moyen Orient entre musulmans de différents courants et différentes ethnies, les mêmes difficultés affectant une Asie en plein essor… Et ces dynamiques s’accentuent d’autant plus que certaines se nourrissent mutuellement : en Europe, crise migratoire et peur du terrorisme islamique favorisent la montée des populismes connectés à Poutine, lequel cherche à les utiliser pour miner l'Otan et l'Union européenne ; et Poutine lui-même sera d'autant plus enclin à l'aventurisme aux frontières de l'Union européenne – en Biélorussie, en Ukraine, mais aussi dans les pays baltes ou en Géorgie  –  qu'il sentira sinon une complaisance, du moins une léthargie de la part de certains peuples, voire dirigeants européens. Dans le même temps, il y a un axe russo-chinois de plus en plus évident, et toute crise d'un côté du monde, en Europe ou en Asie, aurait sans doute aussitôt un écho de l'autre côté. 

Dans la mesure où ces tendances, qui me paraissent lourdes, ne s'inversent pas, le scénario d'une conflagration paraît dès lors tout à fait plausible, voire inéluctable.

Quelles sont les limites les plus claires qui ont pu être franchies en ce sens ces dernière semaines ? Qu'est-ce que ces franchissements laissent présager pour les semaines à venir, notamment en termes de réactions des acteurs impliqués dans les événements susmentionnés ?

Nous arrivons au moment où les choses sont susceptibles d’échapper au contrôle des grandes puissances qui manoeuvrent notamment par "proxy". Il est très significatif qu’Assad ait été la cible de l’Amérique au moment où Trump recevait Xi Jinping, notamment pour lui parler de la Corée du Nord. Kim Jong-Un est un peu l’Assad de la Chine.

En effet, la Chine et la Russie, qui sont pour la première, une puissance en pleine ascension, mais pas encore au niveau des Etats-Unis, et l’autre un pays qui tente un come-back, utilisent des régimes comme celui d’Assad et celui de Kim Jong-Un pour affirmer leur puissance internationale en se posant en acteurs incontournables dans la résolution de crise impliquant ces pays. Poutine a utilisé la Syrie pour ramener la Russie sur le devant de la scène et s’imposer dans le grand jeu au Moyen Orient, la Chine utilise la Corée du Nord depuis des décennies comme marionnette face à la Corée du Sud et au Japon, et à travers eux leur allié américain.

Cela devient très problématique quand, comme aujourd’hui, le pantin devient autonome et se met à franchir les "lignes rouges" : c’est le cas d’une Corée du Nord qui, contrairement à jadis, semble perdre toute mesure et dont la poussée de fièvre autour des essais de missiles et les provocations ne retombent pas comme le faisaient les précédentes. C’est le cas d’Assad qui, se sentant protégé après le froncement de sourcils russe à l’égard d’Israël suite au bombardement d’il y a quelques semaines, puis les hésitations américaines autour du maintien de son départ comme condition d’un règlement, lance cette attaque chimique sur Idlib – qui est la province de repli des rebelles chassés d’Alep – avec l’espoir de remporter ensuite une large victoire par son offensive.

Dans un tel cas, le coût de la non-intervention, notamment en termes de prestige, est trop important pour les Etats-Unis, dont le leadership est fondé sur la capacité à être le gendarme du monde. D’où le bombardement en Syrie et d’où la menace américaine d’intervenir contre la Corée du Nord si la Chine ne parvient pas à calmer le jeu.

Tout dépend ensuite de l’attitude du protecteur : va-t-il prendre fait et cause pour son protéger ou jouer un jeu plus mesurer ? Poutine va-t-il faire sauter Assad et le remplacer, ou négocier avec les Américains, ou simplement soutenir Assad et mettre en place des moyens supplémentaires pour le protéger, ce qui peut suggérer une escalade. A ce stade, il est trop tôt pour le dire, mais ce qui est sûr c’est que Poutine lui-même, pour des raisons de prestige et tant de politique intérieure qu’extérieure, doit montrer qu’il est fort, et s’il est contraint de reculer un peu en Syrie, il devra rebondir ailleurs. En Libye, peut-être, où l’on a observé des mouvements russes.

Côté asiatique, cela pourrait dégénérer aussi, de la même manière, si les provocations continuent et que la Chine ne donne pas de signes d'essayer de reprendre le contrôle de son allié. Mais il y a d'autres endroits où des hostilités peuvent éclater : par exemple en mer de Chine, où le président philippin, Rodrigo Duterte, a désormais en tête de "reconquérir" les îlots qu'il estime appartenir à son pays, et où il risque fort de se heurter aux Chinois.

Enfin, des attentats comme celui de Saint Pétersbourg et surtout celui de Suède entretiennent en Europe la crainte du terrorisme, qui profite naturellement aux populistes. Et dans les mois qui viennent, non seulement la France mais aussi l'Allemagne connaîtront des élections importantes, dont les résultats influeront nécessairement sur la solidité de l'UE, de l'Otan, et donc sur la capacité de Poutine à agir plus ou moins librement.

Quelles seraient les actions à mettre en place pour endiguer la situation ? 

Paradoxalement, une action comme celle de Trump en Syrie, qui peut envenimer la situation, est probablement la chose à faire : face à des puissances révisionnistes, reculer et se montrer continuellement conciliant ne mène qu'à plus de problèmes. Par ailleurs, face aux méthodes de guerre hybride, la "doctrine Gerasimov" de la Russie, appliquée en Ukraine, mais aussi en Biélorussie et d'une certaine manière à l'Europe entière, la seule véritable parade est de recourir à de véritables mesures de guerre, pour montrer que l'on est pas dupe de ce qu'il se passe.

L'inaction n'est pas une solution, donc il faut faire quelque chose.

Pour le coup, la façon d'agir de Trump est habile dans la mesure où l'opération a été somme toute limitée, donc laisse la porte ouverte à une réaction raisonnable de la part des Russes, mais surtout où elle a été menée au moment même où Xi Jinping arrivait en Floride : cela faisait du même coup de cette frappe en Syrie un signal fort à la Chine à propos de la Corée du Nord, car le parallèle ne saurait échapper à personne. Dès lors, on peut espérer que Pékin réagira et que les Etats-Unis n'auront pas à lancer le même genre d'opération contre la Corée du Nord, ce qui nous épargnerait une autre occasion d'embrasement.

Pour autant, il faut voir que rien de tout ceci ne règlera ce dont je parlais en commençant : les dynamiques convergentes vers une conflagration. L'on peut régler une à une quelques crises que ces dynamiques provoquent, mais cela permet essentiellement de retarder l'embrasement.

Ce que l'on peut espérer, c'est que lorsqu'il interviendra, l'Occident sera en mesure d'y faire face de la manière qui causera le moins de dégâts possibles. La gestion intelligente et habile, pour l'instant, de cette double crise syrio-coréenne, est plutôt bon signe, à ce titre.

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