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Pourquoi la hausse des taux américains ne devrait pas étrangler la croissance européenne
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Lors de sa dernière réunion, la Réserve fédérale des Etats Unis a choisi de relever une nouvelle fois ses taux directeurs de 0.25 point, pour les porter à 1%. Mais cette décision n'est pas celle qui est le plus à redouter.

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico : Lors de sa dernière réunion, la Réserve fédérale des Etats Unis a choisi de relever une nouvelle fois ses taux directeurs de 0.25 point, pour les porter à 1%. Quelles seront les conséquences d'une telle décision sur l'économie européenne ? Peut-on envisager également des variations de la valeur de la monnaie européenne suite à cette décision ?

Frédérik Ducrozet : Les conséquences directes de cette hausse de taux de la Fed sur l’économie européenne seront minimes dans la mesure où ce geste était largement anticipé et que la communication de la banque centrale n’a pas créé de surprise majeure. La réaction immédiate des marchés a d’ailleurs été quelque peu contre-intuitive, avec une baisse du dollar et des taux d’intérêt à long terme. Non seulement la hausse de taux était anticipée, mais la Fed n’a pas beaucoup révisé ses prévisions (les fameux « dots ») et a également insisté sur le caractère symétrique de sa cible d’inflation, alimentant l’idée selon laquelle elle pourrait tolérer une certaine surchauffe de l’économie. En un mot, la Fed a délivré une hausse de taux « dovish » dont l’effet a été largement compensé par l’assouplissement des conditions de marchés qui en a résulté.

Deux éléments devraient compter davantage pour les économies américaines et européennes dans les mois à venir. Concernant la Fed, la gestion de son bilan reste très incertaine, et tout signe allant dans le sens d’une plus grande pro-activité de la banque centrale en vue d’influencer la taille et/ou la composition de ses portefeuilles de titres pourrait avoir un effet significatif sur les taux d’intérêt et le taux de change.

Concernant la politique budgétaire, l’incertitude et les enjeux sont également énormes. Si l’administration Trump parvient à mettre en œuvre au moins une partie de son programme de dépenses publiques et de baisses d’impôts tout en limitant les risques liés aux mesures protectionnistes, alors une accélération de la croissance américaine serait évidemment très favorable au vieux continent.

Alors que la Fed semble inscrire sa politique dans une logique de hausse de taux, débutée depuis déjà de nombreux mois, la BCE suit une logique différente en conservant ses taux au plus bas. Cette différence de cycle entre Europe et Etats Unis est elle tenable à terme ? Quels sont les risques d'une telle divergence ?

Dans l’optique de la BCE, cette divergence est « subie » dans la mesure où elle a pour origine des facteurs hors du contrôle de la banque centrale. Elle crée également une force de rappel, notamment via le taux de change, même si cet argument est moins puissant aujourd’hui. La BCE a d’ailleurs longtemps insisté sur l’importance de cette divergence afin d’ancrer les anticipations de taux et de renforcer sa forward guidance.

Le risque principal est celui d’un décrochage qui ne serait plus cyclique, mais structurel, lié notamment à des écarts durables en matière de dépenses d’investissement productif, de recherche et développement, et donc de productivité.

Quels seraient les moyens, pour la BCE, permettant de revenir à une unité de cycle avec les Etats Unis ? La BCE peut elle encore en faire plus pour rattraper son retard en termes de chômage et de croissance pour en arriver au même stade que les Etats Unis ?

La position de la BCE est en train d’évoluer, et elle pourrait profiter de l’amélioration des conditions économiques globales pour tenter de normaliser une partie de sa politique monétaire, du moins les mesures les plus radicales qui ne semblent plus indispensables. Une réflexion est d’ores et déjà amorcée sur la séquence d’une telle normalisation : une (petite) hausse du taux de dépôt de la BCE, aujourd’hui à -0,40%, pourrait ainsi précéder la fin du programme d’assouplissement quantitatif en 2018. En d’autres termes, une Fed plus déterminée à monter les taux offre une fenêtre d'opportunité à la BCE, non pas tant pour réaligner les cycles économiques mais pour commencer à revenir sur une partie des mesures exceptionnelles prises au plus fort de la crise européenne.

Les décisions monétaires à venir restent évidemment conditionnées au scénario macroéconomique et si un accident survient aux Etats-Unis, en Chine, ou dans un pays européen qui pourrait céder aux sirènes du populisme, alors les espoirs de retour à la normale de la BCE seront immédiatement douchés.

Enfin, rattraper durable les Etats-Unis en matière de chômage ou de croissance potentielle implique un « saut quantique » au plan des réformes structurelles et de la volonté politique, y compris au niveau européen. On pense notamment aux propositions de la Commission européenne qui seront suivies au mois de mai d’une feuille de route plus détaillée pour une union monétaire plus intégrée et plus efficace, d’une capacité budgétaire commune ou encore d’un programme d’investissement plus ambitieux que le plan Juncker. Tout ceci reste, à ce stade, très hypothétique.

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