Alerte à la qualité : les effets pervers de la production massive de génériques<!-- --> | Atlantico.fr
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Il faut comprendre que si un médicament est low cost, produit avec des ingrédients moins onéreux, et fabriqué où la main d’œuvre est moins chère, cela a forcément une incidence sur l’efficacité du médicament.
Il faut comprendre que si un médicament est low cost, produit avec des ingrédients moins onéreux, et fabriqué où la main d’œuvre est moins chère, cela a forcément une incidence sur l’efficacité du médicament.
©Reuters

Médecine industrielle

Un rapport de l'Académie de médecine, publié le 14 février dernier, témoigne de l'efficacité moindre des génériques par rapport aux médicaments originaux. Dénoncée par de nombreux médecins, la production et la commercialisation massives dont ils font l'objet est nuisible à leur qualité et à toute la chaîne médicale, du patient au pharmacien.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

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Atlantico : Que révèle le rapport publié par l’Académie nationale de médecine sur la place des médicaments génériques dans la prescription ?

Sauveur Boukris : Ce rapport conforte ce que constataient déjà beaucoup de médecins généralistes sur le terrain. La bioéquivalence des médicaments génériques n’est pas respectée, les concentrations de produits actifs ne sont pas équivalentes à celles des médicaments originaux, les princeps, et les excipients contenus dans les médicaments peuvent entraîner des réactions allergiques, entre autres effets secondaires. L’Académie de médecine abonde donc dans le sens des sceptiques.

Beaucoup disaient : "la différence des génériques, c’est dans la tête". Moi, on m’a même menacé d’un procès lorsque j’ai déclaré que les génériques n’étaient pas équivalents aux médicaments princeps, et que leur production répondait avant tout à des critères économiques, et non scientifiques. Aujourd’hui, on remet même en cause les critères scientifiques. Il faut comprendre que si un médicament est low cost, produit avec des ingrédients moins onéreux, et fabriqué où la main d’œuvre est moins chère, cela a forcément une incidence sur l’efficacité du médicament. Beaucoup de sociétés savantes y sont vigilantes. Des experts en antibiothérapie, dans des services de réanimation, ont constaté que l’efficacité d’antibiotiques génériques se ressentait au bout de cinq jours au lieu de trois. C’est un peu comme le Coca-Cola : il y a l’original, et ses concurrents, qui lui ressemblent sans en avoir le goût et les effets.

L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) peut-elle contrôler l’intégralité du processus de production des génériques ?

Non, car tout le monde peut fabriquer des génériques. La seule exigence, c’est que le produit soit de 30 à 50% moins cher que la molécule originale. Sans aucune compétence particulière en pharmacologie, vous pouvez ouvrir une usine de médicaments génériques. Vous pouvez acheter le principe actif en Inde, le faire fabriquer en Hongrie, et finalement le commercialiser. Les experts de l’Afssaps nous disent que pour évaluer l’équivalence entre médicaments princeps et génériques, il faut qu’on leur remonte l’information. Nous savons en tant que médecins que ce n’est pas la même chose, mais nous n’avons pas forcément le temps de faire remonter l’information en même temps. Du coup, les experts de l’Afssaps ne réagissent pas et ne remettent pas en cause les génériques, faute de retours. Avec ce rapport, il vont peut-être être plus vigilants.

La mention « non substituable », ajoutée par de plus en plus de médecins sur leurs ordonnances, est-elle une initiative de leur part ou vient-elle des laboratoires pharmaceutiques, soucieux de protéger leurs recherches ?

L’industrie pharmaceutique s’est très bien débrouillée pour faire produire des médicaments génériques via les filiales des grands laboratoires. Biogaran est une filiale de Servier, Sandoz est une filiale de Novartis… En sentant que les gouvernements, par souci d’économies, s’intéressaient de plus en plus aux génériques, les laboratoires ont créé des filiales pour occuper le marché. C’est de bonne guerre économique.

La seule difficulté, pour eux, est que cela ne les pousse pas à faire de la recherche : un laboratoire n’a plus beaucoup d’intérêt aujourd’hui à investir dans la recherche de médicaments qui vont être génériqués au bout de quelques années, parce que les marges sont très faibles. Certains laboratoires font même baisser le prix de leurs molécules originales pour qu’aucun fabricant de génériques ne se lance dans la production de molécules équivalentes.

Le fabricant de génériques n’est pas un scientifique, mais un commerçant, qui cherche à faire de profits en vendant des médicaments. Vendre des millions de boîte permet de réduire les coûts, mais si un médicament n’est pas cher à la base, il n’a aucun intérêt à produire car il ne va rien gagner. La mention « Non substituable » sur les ordonnances vient des médecins et des patients, qui ont été les premiers à ressentir les délais d’efficacité des génériques, et leurs effets secondaires parfois très gênants. Les médecins, par la suite, voulaient être sûrs que les patients ne se trompent pas et retiennent le nom de leur médicament. Il m’est arrivé d’imposer un médicament pour l’épilepsie à un patient et de devoir imposer également au pharmacien de le lui donner, alors qu’il comptait lui vendre un générique. Les pharmaciens, eux, sont obligés de vendre 75% de génériques. Or, j’insiste sur le fait que mes patients connaissent le nom de leur médicament, et non celui de la molécule qu’il contient, car ce sont des noms scientifiques trop compliqués à retenir. Les personnes âgées sont les plus facilement désorientables. Le rapport de l’Académie de médecine va dans le bon sens.

Sachant la variété des génériques, ne faut-il pas imposer aux pharmaciens de délivrer toujours le même générique au même patient ?

On pourrait obliger, mais il faut que les autorités sanitaires vérifient en amont si les bons contrôles ont été faits et si les laboratoires qui fabriquent des génériques remplissent bien leur cahier des charges. Mais le pharmacien est sollicité par les fabricants de génériques, qui lui offrent des remises s’il délivre telle ou telle marque de médicaments. On ne peut pas obliger le pharmacien, qui est déjà tenu par l’assurance maladie de vendre 75% de génériques, et se heurtent aux prescriptions « non substituables » des médecins. C’est pourquoi 3% de médicaments génériques en moins ont été prescrits entre 2010 et 2011, et ce malgré les pressions des délégués à l’assurance maladie. C’est le reflet d’un bon sens.

Je pense que les génériques doivent être réservés aux traitements de très courte durée et aux pathologies courtes et légères. Les patients qui ont des maladies chroniques ou qui sont polymédicamentés ont intérêt à prendre toujours la même marque de médicaments, pour bien la mémoriser, et être sûrs de prendre toujours la même molécule.

Propos recueillis par Romain Thirion

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