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Comment faire la différence entre les secrets toxiques et ceux qui sont pour la "bonne cause" ?
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Les rouages du secret

Chaque famille abrite ses secrets. Tant qu'ils n'ont pas été révélés, ils se transmettent de génération en génération et marquent nos vies de façon confuse et douloureuse. Pourquoi et comment se constitue un secret de famille ? Juliette Allais se propose d'y répondre dans "Au coeur des secrets de famille". Extraits (2/2).

Juliette Allais

Juliette Allais

Juliette Allais est thérapeute et enseignante en psychogénéalogie. Sa pratique repose sur une approche pluridisciplinaire mêlant psychologie des profondeurs, analyse des rêves et étude du transgénérationnel.

Juliette Allais est l'auteur de La psychogénéalogie (Eyrolles), paru également sous la forme de chapitres au format électronique sur Atlantico éditions

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On crée rarement un secret « pour le plaisir ». La plupart du temps, il s’agit de dissimuler sous l’effet de la peur, pour gagner du temps, sans avoir conscience des conséquences possibles pour l’entourage, et encore moins pour les descendants. On pare au plus pressé, avec des intentions plus ou moins ambiguës, pour tenter de se débarrasser d’une réalité encombrante ou douloureuse.

Bien qu’il soit générateur de phénomènes psychiques complexes, on peut résumer le secret à la nécessité d’éviter à tout moment l’évocation d’un sujet qui dérange. C’est donc essentiellement d’un vide de parole dont il s’agit, comme si ce vide pouvait escamoter la chose en question, la faire disparaître à jamais dans le néant… Le motif peut revêtir de multiples aspects, et parfois même s’appuyer sur des sentiments en apparence très nobles : préserver, protéger, mettre à l’abri. Il est vrai qu’il est souvent beaucoup plus difficile de nommer les choses que de les passer sous silence. Nommer confronte à des émotions désagréables, au risque de déplaire, de choquer, de séparer. Nous verrons à quel point le manque d’autonomie, l’absence à soi-même et la difficulté à occuper sa place peuvent pousser tout un chacun à esquiver les moments de confrontation nécessaires, ceux où nous sommes amenés à parler en notre nom et à nous dévoiler aux yeux du monde, en prenant la responsabilité de qui nous sommes.

Cacher, feindre, manipuler l’information, chacun de nous le fait quotidiennement. Personne ne peut se targuer de pouvoir communiquer de façon ouverte et authentique à tous les moments de sa vie et vis-à-vis de tous. La parole circule de façon très aléatoire d’un individu à l’autre. Parfois, nous sommes saisis de mutisme sans savoir pourquoi, et à d’autres moments, nous donnons libre cours à notre envie de parler de nous, de nommer les choses, de dire ce que nous ressentons avec une grande spontanéité. L’alchimie de la communication entre les êtres est un phénomène mystérieux et irrationnel. Ses lois sont celles d’un monde complexe où, derrière les apparences, se jouent de subtiles tractations ou des combats d’une violence terrible.

« Pour la bonne cause »

Nous avons tous usé du secret, plus ou moins adroitement, et pour des raisons parfois peu louables. Moins nombreux sont ceux qui y ont recours pour des motifs passibles de prison : crime, viol, inceste, escroqueries… Il s’agit le plus souvent de petits secrets qui émaillent la vie de famille : ceux des adolescents soucieux de marquer leur autonomie nouvellement acquise, ou ceux qui marquent les crises de couple, lorsque, par exemple, le désir vient à s’évanouir et qu’apparaissent d’autres partenaires dont on ne parle pas.

Comment s’y retrouver alors, dans ce kaléidoscope de paroles tues, d’espaces de communication non verbale, et de secrets « pour la bonne cause » ? Qu’est-ce qui fait un vrai secret, un manque de parole toxique qui entraîne de terribles scissions, qui dresse les uns contre les autres, qui ouvre à des manipulations douteuses et obscurcit l’atmosphère familiale ? À quoi le reconnaît-t-on ?

Il n’y a pas de réponse toute faite, et pour ne pas tomber dans la caricature, il nous faut d’abord examiner en détail ses différentes fonctions et les bénéfices que l’on en retire. Pour cela, intéressons-nous d’abord à ceux qui l’utilisent. Qui sont-ils, et quelles sont leurs motivations ?

Alliances invisibles, manipulation, exclusion, division, besoin d’amour ou de reconnaissance : le secret peut être l’occasion d’accéder à un pouvoir que l’on n’a jamais eu, et de le garder. Même s’il est parfois encombrant, l’importance ou l’impunité qu’il confère dans certains cas peut aisément devenir un palliatif à des sentiments d’infériorité, de culpabilité, ou permettre de régler des comptes.

À qui profite le crime ?

Lorsque le silence et l’opacité sont en place depuis longtemps, il est difficile de remonter à l’origine du secret, et de retrouver où et comment l’histoire a véritablement commencé. Le début de toute enquête sur le passé consiste alors à laisser vagabonder son imagination en essayant de répondre à la question suivante : qui aurait eu intérêt à cacher des choses, et lesquelles ?

Il faut préciser qu’il n’est pas toujours question de malveillance ou de perversité dans ces histoires familiales difficiles. En associant le secret à quelque chose de toxique, nous pourrions facilement jeter l’opprobre sur ceux qui le créent, en les désignant comme responsables de tous les malheurs de nos arbres généalogiques. Or, nous allons voir que ces manques de paroles, ces tentatives de dissimulation, ont souvent pour but de rassurer et protéger. Même si le procédé est naïf ou maladroit, et se révèle parfois catastrophique, il n’est pas rare qu’il s’enracine dans des sentiments complexes, mêlant tout à la fois les peurs de l’enfance, les failles de l’adulte, la crainte du jugement, l’amour et l’affection pour les membres de la famille qu’il faut protéger comme soi-même.

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Extrait de Au cœur des secrets de famille,Eyrolles (10 avril 2008) 

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