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Mossoul : pourquoi la bataille contre l'Etat Islamique est loin d'être terminée
©AHMAD AL-RUBAYE / AFP

Victoire ou revers ?

Les forces militaires irakiennes, soutenues par leurs alliés chiites ont pris le contrôle de l'Est de Mossoul le 24 janvier dernier. Cette petite victoire marque une première étape dans la chute du groupe Etat islamique. Le groupe terroriste va devoir être amené à repenser sa stratégie s'il veut garder son pouvoir de nuisance.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le 24 janvier dernier, les forces irakiennes et leurs alliés ont repris la totalité de la partie Est de la ville de Mossoul, contrôlée jusqu'à présent par l'EI. Dans quelle mesure peut-on parler véritablement de victoire ? Comment juger de la crédibilité des forces irakiennes dans la poursuite de la lutte contre le groupe terroriste  ? 

Alain RodierJe dois reconnaître que j’ai été surpris de la rapidité des succès militaires remportés par les forces de la coalition irakienne à Mossoul. Il ne faut pas bouder son plaisir : le fait que l'Etat Islamique ait perdu, dans un premier temps les approches de la ville puis, dans un deuxième temps, la rive orientale du Tigre est une excellente chose.

Plusieurs faits ont participé à ces succès. D'abord la combativité retrouvée de certaines unités irakiennes - particulièrement la « division d’or » - qui ont été correctement entraînées et équipées, l’appui massif de la coalition internationale, les Américains s’engageant discrètement au sol mais n’hésitant pas à aller jusqu’au contact avec l’ennemi. Puis la sensible diminution des moyens tactiques de Daech face à la guerre d’usure qui lui est menée depuis des mois en Irak et en Syrie et un terrain favorable aux assaillants, les environs de Mossoul étant semi désertiques et l’Est de la ville étant la plus moderne avec de nombreux axes dégagés. Enfin, la supériorité des effectifs  même si des lacunes dans la coordination des opérations ont été constatées en raison de la diversité des unités engagées : armée régulière et troupes du ministère de l’Intérieur irakien, milices chiites (Unités de mobilisation populaires, Hached al-Chaabi), chrétiennes syriaques, turkmènes (les Unités de protection de la plaine de Ninive), les peshmergas …

Donc, le succès est indéniable. Mais, malheureusement ce n’est pas fini et le plus dur risque d’être encore à faire. Il convient de se rappeler qu’au début de l’offensive, les forces irakiennes ont subi d’importantes pertes qu’il est difficile de quantifier car l’état-major, et il a bien raison, ne communique pas sur ce sujet. Mais quand un camp est capable de remplacer les pertes humaines et matérielles subies, il est logique de penser qu’il va dans le bon sens. Durant la seconde Guerre mondiale, les Américains et les Russes fabriquaient plus de chars (et d’avions) qu’ils n’en perdaient. Ce n’était plus le cas des nazis à partir de 1942-43. C’est, toutes proportions gardées, le cas aujourd’hui. Il s’agit là d’une référence historique et pas d’une comparaison.

Que représente cette reprise pour l'EI ? Est-elle vraiment un coup dur porté à l'organisation ? 

C’est effectivement un coup très sérieux qui est porté à l'Etat Islamique. Les rumeurs les plus folles courent mais il s’agit peut-être de propagande gouvernementale irakienne. Ainsi Abou Bakr al Baghdadi serait furieux contre ses responsables militaires en charge de la défense de Mossoul-Est. Il en aurait démis un certain nombre de leurs postes et les aurait obligés à servir comme fantassins de base. Des cas de refus de combattre se multiplieraient - encore qu’à ma connaissance, aucun déserteur n’a été présenté à la télévision irakienne. Des témoignages filmés de déserteurs seraient certainement très utiles, si ce n’est pour casser le moral des combattants, au moins leur retirer l’appui des populations locales-. Les exécutions d’« espions », de « déserteurs » et de « défaitistes » se multiplieraient (là aussi, cela fait penser à la chute du nazisme)…

Ce qui est vérifié, c’est que le nombre des véhicules kamikazes qui ont fait tant de mal depuis le début de l’offensive sur Mossoul le 17 octobre 2016, est en diminution. Mais il est toutefois toujours impressionnant de voir dans les vidéos de propagande diffusées par Daech que ces volontaires (de plus en plus jeunes) affichent toujours un grand sourire avant d’aller à la mort. Leur idéologie est bien solide pour les transformer ainsi en robots tueurs. Daech tente bien de remplacer ce manque par des drones qui expédient des grenades ou des petites charges explosives mais leur pouvoir létal est infiniment moindre que celui des VBIED (vehicle-borne improvised explosive device).

Il convient aussi de noter l’emploi massif de missiles anti-chars sur le front syro-irakien. Ils sont employés à toutes les sauces et pas uniquement pour détruire des véhicules blindés. A l’évidence, des « retours d’expérience » (RETEX) seront à faire sur l’utilisation massive de ces armes très précises et destructrices. Cela pose aussi la question de leur provenance dans les rangs de l'Etat Islamique qui ne semble manquer ni de postes de tir ni de munitions.

Quelle est la stratégie que pourrait désormais adopter le groupe terroriste dans l'optique de maintenir encore son emprise sur les territoires qu'il contrôle ? Au regard de la situation sur le terrain, tant en Syrie qu'en Irak, l'EI est-il encore un groupe que nous devons craindre ?

La question qui se posait avant le début de l’offensive sur Mossoul était : l'Etat Islamique va t-il résister ou s’exfiltrer en menant des combats retardateurs comme il l’avait fait par le passé ? La réponse est aujourd’hui connue : il a résisté.

Mais la même question se pose à nouveau pour la zone occidentale de la ville. En effet, bien que les milices chiites aient refermé le siège à l’ouest de la ville, il est loin d’être hermétique car il y a trop peu de combattants pour tenir tout le désert. Une partie des forces de Etat Islamique engagées à Mossoul peut donc « techniquement » quitter la ville.

De plus, la vieille ville à l’Ouest présente des avantages pour les défenseurs : ruelles étroites, population civile encore présente, positions préparées à l’avance, etc. Si le GEI résiste, les combats vont être longs et coûteux en vies humaines. Par contre, elle est prenable car si le Tigre crée bien un fossé anti-chars important, il peut être franchi après l’établissement de ponts flottants ou en réparant un (ou plusieurs) des cinq ouvrages détruits par les bombardements américains et par les sabotages de Etat Islamique. Les forces irakiennes ont aussi la possibilité de contourner la ville par le sud-ouest pour, par exemple, commencer par reprendre l’aéroport. Cette prise aurait un côté symbolique très fort.

Tout en menant des offensives là où on ne l’attend pas comme cela a été le cas dans les régions de Dohuk, Erbil et Soulemaniyeh, le GEI peut donc décider de se replier partiellement vers la Syrie où il conserve une puissance opérationnelle significative. Sans parler de la reprise de Palmyre le 20 décembre de l’année dernière, il suffit de voir les assauts furieux que Etat Islamique lance sur la garnison gouvernementale de Deir ez-Zor, localité encerclée depuis plus de deux ans. Il est même parvenu à isoler la base aérienne du reste de la ville posant d’immenses problèmes d’approvisionnements aux forces gouvernementales syriennes. Alors que sur le théâtre irakien, Etat Islamique ne sort ses matériels lourds du type blindés ou pièces d’artillerie que lorsque les conditions météorologiques empêchent l’aviation alliée d’évoluer, il n’hésite pas à le faire en Syrie, même par beau temps !

La réponse viendra quand les premiers éléments de la coalition entameront la conquête de la partie occidentale de Mossoul. Mais une chose semble certaine, les attentats terroristes devraient se multiplier sur l’ensemble de l’Irak et ailleurs de manière pour Etat Islamique de rappeler qu’il continue à avoir une puissance de nuisance considérable.

Sur le front syro-irakien, Etat Islamique est indubitablement la force rebelle la plus puissante. Son concurrent direct, le Fateh al-Cham, ex-Front al-Nosra (qui a « officiellement » rompu ses liens avec Al-Qaida « canal historique ») tente de conforter ses positions dans la province d’Idlib située au nord-ouest de la Syrie. Les autres mouvements dont plusieurs ont participé à la réunion d’Astana à la mi-janvier organisée à l’initiative de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, résistent autant que faire se peut. Six mouvements(1) se sont alliés à Ahrar al-Cham pour combattre Fatah al-Cham et Etat Islamique. Ahrar al-Cham (qui n’a pas participé à la réunion d’Astana mais qui est soutenu par Ankara) se pose désormais en mouvement rebelle majeur. Il va falloir voir ce qui va sortir du conflit larvé avec Fateh al-Cham/Ahrar al-Cham.

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