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Mao, ou l'histoire invraisemblable d'un culte de la personnalité délirant qui s’est exporté jusqu’en France
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Bonnes feuilles

Quoi de commun entre Staline, Ramsès II et Steve Jobs ? Tous trois ont su orchestrer avec un talent hors pair le culte de leur petite personne. Emmanuel Pierrat dresse ici une galerie de portraits de ces "firmaments de l’humanité" (Nicolae Ceauşescu), "électrificateur des âmes" (François Duvalier) et autres "soleil de l’humanité" (Kim Il-Sung), montrant la permanence et l’universalité de l’égocentrisme des puissants. Extrait de "Plus grand que grand", d'Emmanuel Pierrat (1/2).

Emmanuel Pierrat

Emmanuel Pierrat

Emmanuel Pierrat est avocat au Barreau de Paris et écrivain.

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Mao occupe une place évidemment à part dans notre galerie de "joyeux drilles". D’abord, bien sûr, parce que le culte qui lui était voué dépassait, en échelle, celui de tous ses concurrents. Lorsque Mao prit le pouvoir, en 1949, la Chine comptait déjà plus de 550 millions d’habitants, soit 20% de la population mondiale de l’époque (2,52 milliards d’habitants). C’est donc un humain sur cinq qui a dû sacrifier à un culte mis en place dès les premiers temps du régime.

De plus, ce culte franchit largement les frontières de la Chine. Ce qui avait déjà été un peu vrai pour Staline le fut davantage encore pour Mao. Un exemple : en septembre 1976, à l’annonce de sa mort, des "maoïstes" français placardèrent dans les rues de Paris des effigies de Mao barrées d’un bandeau noir, en signe de deuil. Le culte de la personnalité atteignit, avec Mao, des proportions tout à fait délirantes, à faire pâlir d’envie un Ceausescu roumain ou un Kim Jong-un coréen. Et, cerise sur le gâteau, quarante ans exactement après la disparition du Grand Timonier, il est presque toujours aussi vivace en Chine.

Né en 1893, Mao Zedong est le fils d’un paysan enrichi dans le commerce des grains de la province du Hunan. Il a tout juste 18 ans quand éclate la révolution de 1911, qui met un terme, l’année suivante, au régime impérial ayant gouverné la Chine depuis des millénaires. Le jeune Mao accueille également avec enthousiasme l’annonce de la révolution russe de 1917. En 1920, il se convertit au marxisme. D’abord bibliothécaire adjoint à l’université de Pékin, puis directeur d’école primaire et enfin gérant d’une librairie, il commence par fonder une section des Jeunesses socialistes. En juillet 1921, il est l’un des douze délégués qui créent, à Shanghai, le Parti communiste chinois (PCC).

Comme en Russie avant eux, et partout dans le monde, les révolutionnaires chinois sont d’abord des "urbains" qui vivent près des centres de pouvoir. L’intuition géniale de Mao – géniale, en ce sens qu’elle le mènera au pouvoir – est de comprendre qu’en Chine, la victoire révolutionnaire ne pourra venir que de la paysannerie.

De retour dans son Hunan natal en 1927, il fédère une "armée rouge" fortement politisée qui va mener, pendant des années, une tactique de guérilla visant à l’encerclement des villes par les campagnes. En 1934, cependant, son armée essuie une cuisante défaite et ses survivants ne doivent leur salut qu’à une retraite transformée en épopée : c’est la "Longue Marche", qui va durer un an et s’étendre sur 12 000 kilomètres. Ce qui était, à l’origine, un sauve-qui-peut généralisé devient l’épisode fondateur de la geste maoïste. En octobre 1935, à l’issue de la Longue Marche, l’autorité et le prestige de Mao lui valent de décrocher la direction du PCC.

La guerre sino-japonaise (en juillet 1937, l’armée japonaise envahit la partie orientale de la Chine) lui permet ensuite de conquérir une stature nationale. Alors que le pouvoir chinois se discrédite par sa passivité, Mao, s’appuyant une nouvelle fois sur la paysannerie, mobilise les populations locales contre l’envahisseur. Avec, bien sûr, une idée derrière la tête : rafler la mise à son profit. C’est en novembre 1938 qu’il énonce son axiome le plus célèbre : "Le pouvoir est au bout du fusil". La Seconde Guerre mondiale l’oblige à patienter encore un peu. Mais le 1er octobre 1949, Mao proclame depuis la Porte de la Paix céleste de la Cité interdite (ancienne résidence des empereurs) la République populaire de Chine.

Il concentre entre ses mains tous les pouvoirs : présidence du parti, présidence de la République et présidence du Conseil militaire révolutionnaire. C’est, en outre, l’unique théoricien du nouveau régime : selon la formule officielle, "la politique du parti est inspirée par la pensée de Mao Zedong". Dès 1951, son portrait géant est hissé à l’endroit-même où il a proclamé la République populaire : au-dessus de la Porte de la Paix céleste. Le culte de la personnalité a commencé.

Les premières années, la nouvelle Chine communiste est l’alliée du grand frère soviétique. Mao dira lui-même que le Parti communiste soviétique est le "meilleur professeur" du PCC. Mais tout change à partir de 1956.

En février de cette année-là, le fameux rapport Khrouchtchev dénonce le culte de la personnalité stalinien et Mao pressent qu’il peut en subir les conséquences par ricochet. Il ne se trompe pas : sept mois plus tard, en septembre 1956, le VIIIe Congrès du PCC attaque le culte de la personnalité et fait l’éloge de la direction collective. Mao conserve ses fonctions, mais sa pensée ne dirige plus la ligne politique.

Dès lors, toutes ses initiatives au cours des années suivantes (et notamment la rupture fracassante avec l’URSS en 1960) viseront à lui restituer sa primauté.

Derrière la façade unie du régime, une lutte intestine pour le pouvoir va se livrer en plusieurs actes. C’est d’abord la campagne des "Cent Fleurs" : en février 1957, Mao, dans un discours retentissant, attaque la bureaucratie et demande aux intellectuels de critiquer le PCC ("Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent").

Puis, en 1958, Mao lance le "Grand Bond en avant". L’objectif est de dynamiser la production industrielle du pays, pour que la Chine, restée une société massivement rurale, rejoigne enfin les grandes économies de la planète.

Un peu partout, dans le pays, s’élèvent des hauts-fourneaux miniatures destinés à centupler la production d’acier. Le Grand Bond en avant sera un fiasco retentissant : les paysans ayant déserté leurs champs, les récoltes pourrissent sur place, tandis que l’acier produit par les hauts-fourneaux de poche s’avère inutilisable. Pire encore : on a fondu, pour le fabriquer, des engins agricoles et des ustensiles ménagers qui font maintenant cruellement défaut…

Mao (qui reconnaîtra lui-même, en 1962, l’échec du Grand Bond en avant) se met provisoirement en retrait – à moins qu’il n’y ait été contraint par la direction du parti. Mais il fourbit bientôt sa nouvelle riposte, avec l’aide de son épouse Jiang Qing. Ancienne actrice de Shanghai, mariée à Mao depuis 1938, Jiang Qing est une ambitieuse qui ronge son frein. Jusqu’à présent, elle a dû végéter dans l’ombre de Mao, mais elle profite de la querelle entre les dirigeants du PCC pour se rendre nécessaire aux yeux de son mari. Elle est l’une des initiatrices de la fameuse Révolution culturelle qui aura notamment pour résultat de renforcer, dans des proportions inouïes, le culte autour de Mao. Quelques années plus tard, Elena et Nicolae Ceausescu, le couple de tyrans roumains, en visite officielle en Chine, seront d’ailleurs si impressionnés par l’action de Jiang Qing (Elena, surtout) qu’ils n’auront rien de plus pressé, de retour à Bucarest, que de mettre en pratique ses conseils.

La Révolution culturelle entend dénoncer une restauration sournoise du capitalisme en Chine. Sous couvert de traquer les éléments "bourgeois" dans le parti, l’armée et le gouvernement, ce mouvement, piloté par Mao et ses alliés, précipite le pays sens dessus dessous. Mais Mao obtient ce qu’il désirait. En 1969, le IXe Congrès du PCC rétablit "la pensée du président Mao" comme unique source d’inspiration politique. Sept ans plus tard, Mao meurt, le 9 septembre 1976, en pleine gloire mondiale : c’est alors la figure politique la plus connue à travers le monde.

Exrait de "Plus grand que grand", d'Emmanuel Pierrat, édité par La librairie Vuibert.

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