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En Allemagne, le vocabulaire nazi refait surface dans les discours politiques
©Reuters

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Depuis 2014 les linguistes allemands constatent un retour de certaines expressions utilisées uniquement par les dirigeants et militants nazis. Ces mots "oubliés" ces dernières années reviennent pour qualifier les migrants et autres réfugiés dans la bouche de l’extrême droite actuelle.

Philippe Blanchet

Philippe Blanchet

Philippe Blanchet est enseignant-chercheur en sociolinguistique et en didactique de la communication plurilingue et interculturelle. Il est responsable du Master international "Francophonie, Plurilinguisme et Médiation Interculturelle" à l'université Rennes II, mais aussi co-directeur des Cahiers internationaux de Sociolinguistiqueet rédacteur en chef des Cahiers de Linguistique, revue de sociolinguistique en langue française. 

Son dernier ouvrage, Discriminations : combattre la glottophobie (éditions Textuel, 2016), aborde, d'un point de vue original, l'instrument de pouvoir qu'est le langage. 

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Atlantico : Les linguistes allemands remarquent actuellement le retour d'un vocabulaire propre à l'époque nazi chez des militants et dirigeants d'extrême droite. Par exemple, le mot Volksverräter (Ennemi du peuple) est désormais employé pour parler des migrants. Selon-vous qu'est-ce que la réutilisation de ces mots signifie ?

Philippe Blanchet : Les mots n’ont pas seulement un sens explicite. Ils portent avec eux des significations implicites, que leurs usages dans certains contextes diversifient et renforcent. Quand on parle en français de "personnes issues de la diversité" pour parler de personnes qui ont une apparence physique "non européenne", on dit en même temps qu’il n’y a pas d’autre diversité que celle-là en France, que le reste de la population est homogène, et que seules ces personnes sont différentes, ce qui continue à les mettre à part, à nier la diversité française et à imposer l’idée d’une population française globalement uniforme. Nommer quelque chose d’une certaine façon, ce n’est pas neutre. Un mot ou un discours porte avec lui la connotation de son ancrage historique, même si on fait semblant de l’ignorer. J’ai montré l’an dernier que le programme du FN aux régionales était très proche du programme du parti nazi aux élections des Länder en 1920 : cela permet de mieux comprendre l’idéologie sous jacente du discours, même si on cherche à la dissimuler sous une apparence lissée. Le discours et le lexique du parti National Socialiste allemand (acronyme : nazi) ont été très bien étudiés par un témoin direct : Viktor Klemperer dans son ouvrage célèbre, La langue du IIIe Reich. Il a montré comment la répétition d’un certain vocabulaire, le matraquage d’un certain discours, était une propagande réfléchie et efficace destinée à empêcher de penser autrement. Réutiliser aujourd’hui des mots typiques de la propagande nazi avec des sens proches (parler des étrangers comme d’ennemis par définition) signifie clairement rediffuser avec ces mots l’idéologie qui les a fait naître et qu’ils transportent. 

La réintroduction de ces mots d'origine nazi modifie-t-elle le sens du discours politique ? Les normes ont-elles changé ?

Ce qui a changé, c’est que certaines idées tout à fait contraire aux principes fondamentaux de respect de l’humain sont redevenues admissibles dans les discours publics. Dans les années 1980, la plupart de ce que disent aujourd’hui les mouvements nationalistes en France aurait donné lieu à des sanctions pénales pour incitation à la xénophobie, qui est un délit. Aujourd’hui, on ne poursuit plus, ou pas souvent, les auteurs de ces propos parce qu’ils sont trop nombreux. Les digues ont lâché devant le retour en force de ces idées et des mots qui les disent. Ça ne modifie pas le discours politique en tant que tel : il fonctionne toujours ainsi, ou presque, pour imposer insidieusement dans la tête des gens des idées dissimulées dans les implicites et les connotations. Ça modifie les idées qui circulent dans une société. En cela, oui, des normes ont changé : on a enfreint les normes humanistes posées après les horreurs de la seconde guerre mondiale et on est revenu par un grand saut en arrière un peu partout en Europe aux discours brutaux des fascismes des années 1920-1930.

Pouvons-nous dire que ce vocabulaire est désormais accepté de la population allemande ? Ou reste-t-il marginal ?

C’est impossible à dire pour l’instant. Il faudrait pour cela faire des analyses de la fréquence de ces mots dans les médias, des mots auxquels ils sont associés, des types de discours et de personnes qui les utilisent, et enfin faire des enquêtes dans la population. A ma connaissance ces travaux n’ont pas encore été réalisés. Les réactions choquées sont nombreuses en Allemagne, signe que ces usages ne sont pas banalisés. Mais on a bien étudié comment des phénomènes comparables se sont produits dans la population française, avec l’usage massif et banalisé depuis les années 2000 et surtout 2010 de toute une série de termes inappropriés et manipulés comme "communautarisme", "radicalisation" ou "laïcité" qui ont redéveloppé et répandu une vision de la France comparable à celle développée sous le régime de Vichy.

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