Guerre sans fin : Pourquoi la chute d'Alep ne signifie pas du tout la fin des violences en Syrie<!-- --> | Atlantico.fr
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Si Alep est reconquise, cela constituera une victoire psychologique importante pour le régime et Moscou mais ne signifie en aucun cas la fin des violences.
Si Alep est reconquise, cela constituera une victoire psychologique importante pour le régime et Moscou mais ne signifie en aucun cas la fin des violences.
©REUTERS/Abdalrhman Ismail

Ne crions pas victoire...

Quelle que soit l'évolution de la situation en Syrie, le pays n'est pas prêt de connaître un arrêt des violences de sitôt. La guerre entre les forces armées et la rébellion pourrait se transformer en guérilla, avec une redistribution générale des cartes tenant compte notamment du rôle joué par la Russie et l'Iran dans leur soutien apporté au régime de Bachar al-Assad.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Au regard de la situation sur le terrain, Bachar al-Assad pourrait reprendre très prochainement le contrôle intégral d'Alep. Quelles seraient les conséquences d'une telle reprise ? Pour quelles raisons ne peut-on pas considérer la fin des violences à Alep comme la fin des violences en Syrie ?

Alain RodierAttention, la bataille d’Alep n’est pas encore gagnée par les forces gouvernementales syriennes appuyées par les Russes (qui sont même présents à terre, un colonel ayant été annoncé tué par Moscou), les pasdarans iraniens, le Hezbollah libanais et des miliciens chiites irakiens et afghans. Le combat dans les localités est l’un des plus compliqué (et meurtrier) à mener. Et, bien que les mouvements rebelles qui combattent à Alep ne soient pas liés à Daech, ce dernier mène depuis trois jours une vigoureuse offensive dans la région de Palmyre risquant même d’encercler la garnison russo-syrienne qui y est installée depuis sa reconquête en mars 2016. En conséquence, les forces gouvernementales ont été obligées de dépêcher en catastrophe des unités qui participaient à l’assaut d’Alep pour renforcer la région de Palmyre. Cela dégarnit d’autant le front d’Alep et devrait retarder les opérations.

Par ailleurs, les forces gouvernementales syriennes résistent à de violentes attaques à Deir ez-Zor (situé à l’est de Palmyre), ville assiégée par Daech depuis deux ans. Quoiqu’en dise la désinformation diffusée très largement sur les ondes, le régime de Damas se bat férocement contre Daech depuis l’apparition de ce mouvement même s’il est vrai que le régime a libéré de ses geôles de nombreux islamistes dans les années 2012-2013. A tenter de jouer au plus fin, cela finit parfois par se retourner contre l’initiateur (demander conseil à Washington qui a l’habitude de ce processus).

Toutefois, il est bien possible qu’Alep tombe dans les semaines à venir. Comme cela a déjà été le cas dans la région de Damas cette année, après accord, les activistes islamistes seront alors exfiltrés vers la province d’Idlib située au nord-ouest de la ville. Elle est déjà tenue par le Fateh al-Cham, l’ancien Front Al-Nosra (qui a théoriquement rompu ses liens avec Al-Qaida central) et ses alliés.

Le régime a exprimé sa volonté de reprendre cette province mais il n’en a tout simplement pas les moyens tactiques. A savoir que s’il parvient à reprendre Alep, c’est avec l’accord tacite de la Turquie qui a rapatrié un certain nombre de mouvements rebelles qui combattaient à Alep pour les faire participer à son opération "bouclier de l’Euphrate" destinée à créer une zone tampon entre Jarablus (sur l’Euphrate) et le corridor d’Azaz situé à 90 kilomètre plus à l’ouest. Par contre, Ankara ne laissera pas tomber les rebelles qui tiennent la province d’Idlib - frontalière avec la Turquie ce qui facilite la logistique - même si ces derniers ont de nombreuses accointances avec Al-Qaida "canal historique". Il faut se rappeler que ce mouvement - en dehors de quelques incidents créés par des individus isolés qui se revendiquaient de la nébuleuse pour se faire reconnaître -, n’a jamais mené d’opération hostile en Turquie. Le président Erdoğan ne la considère donc pas comme "ennemie" même si elle est inscrite sur toutes les listes internationales comme une organisation terroriste (tout de même responsable des attentats du 11/09, de Madrid, de Londres et contre Charlie Hebdo - entre autres -).

Si Alep est reconquise, cela constituera une victoire psychologique importante pour le régime et Moscou mais ne signifie en aucun cas la fin des violences.

Une fois la ville d'Alep entièrement aux mains du régime syrien, quel pourrait être l'avenir de la rébellion ? Dans quelle mesure cela pourrait-il constituer une source d'instabilité chronique pour le régime de Bachar al-Assad ?

La rébellion va poursuivre le combat. Les mouvements favorables à Al-Qaida "canal historique" depuis la province d’Idlib et Daech depuis tout l’est du pays où il navigue encore comme un poisson dans l’eau. Il est aussi probable que ces formations connaissant un certain repli feront comme ailleurs, elles repasseront au niveau des actions de guérilla et du terrorisme. A savoir qu’il existe trois niveaux dans la guerre asymétrique :

  • Le terrorisme lorsque les insurgés ont peu de moyens ;

  • La guérilla quand ils montent en puissance ;

  • La guerre conventionnelle quand un certain équilibre des forces a été trouvé.

En Syrie, les insurgés en sont indubitablement au troisième niveau mais rencontrant des revers tactiques au niveau conventionnel, ils vont vraisemblablement faire un effort sur les deux autres plus accessibles. Il convient tout de même de faire une distinction : si Daech massacre tout ce qui bouge, les groupes affiliés officiellement ou non à Al-Qaida "canal historique" tentent, dans la mesure du possible, d’éviter les victimes "innocentes". Ce n’est pas la conséquence d’un réflexe humanitaire à l’occidentale mais un retour d’expérience (RETEX) d’autres conflits, particulièrement les années noires en Algérie au début des années 1990. Les stratèges d’Al-Qaida se sont aperçus que la violence gratuite était contre-productive car elle éloignait les populations de "la cause". Elle est donc à proscrire.

La reprise en mains des principales villes syriennes par le régime de Damas n'aurait jamais pu être possible sans le soutien de la Russie, ni de l'Iran. Quel rôle régional ces deux puissances pourraient-elles être amenées à jouer à l'avenir ? Quel serait l'impact d'un désengagement régional encore plus poussé de Washington suite à l'élection de Donald Trump ? 

Si la Russie est revenue en force en Syrie, c’est pour y rester. C’est pour elle un point d’ancrage stratégique au Proche-Orient où Moscou souhaite rejouer un rôle majeur dans les années à venir. Les facilités maritimes vers les "mers chaudes" offertes par le port de Tartous sont souvent mises en avant mais il convient d’agrandir considérablement les infrastructures portuaires pour qu’elles soient vraiment significatives. Un projet serait d’ailleurs en cours mais, comme l’on dit dans l’armée, cela prendra un "certain temps".

Le plus important pour l’instant reste la base aérienne de Hmeimim dont une partie est devenue territoire russe. Cela signifie que l’attaquer est presque équivalent à s’en prendre au territoire russe…

A noter en passant qu’un lien est en train de se créer entre le Caire, Damas et Moscou au détriment de Riyad et Washington. Affaire à suivre !

L’Iran songe également à implanter une base navale en Syrie (et aussi au Yémen). Damas ne s’y opposera vraisemblablement pas car la Syrie entretient une importante dette de sang vis-à-vis de Téhéran. A savoir que des centaines de pasdarans dont de nombreux officiers généraux ont perdu la vie dans la guerre civile qui s’y déroule. Bien sûr, Téhéran y a trouvé un intérêt majeur : s’opposer à l’influence de Riyad (et dans une moindre mesure de Doha) au Proche Orient. De plus, maintenir la liaison ouverte avec le Liban, berceau du Hezbollah, est considéré par Téhéran comme vital.

Beaucoup de questions se posent sur la politique étrangère envisagée par le président élu Donald Trump qui ne prendra ses fonctions que le 20 janvier 2017. Certes, il a fait des déclarations de campagne favorables à la Russie et à un certain repli militaire des Etats-Unis mais il est actuellement l’objet de multiples pressions venant du lobby neocon qui souhaite lui faire entendre raison. Sa position semble en outre très opposée à un réchauffement des relations avec l’Iran. Tout le monde militaro-industriel américain est aujourd’hui arque bouté sur l’importance de la menace (la Russie est désignée comme l’ennemi numéro un, bien avant Daech). Le Congrès vient d’ailleurs d’accepter un budget de 619 milliards de dollars pour l’année 2017 pour la défense comparés aux 44 milliards de dollars prévus pour la même période par la Russie - pays belliciste s’il en est - (1). Il est hors de question pour les généraux et amiraux américains de perdre une partie de cette manne financière. 

Donc, attendons d’en savoir plus sur un éventuel "désengagement" des Etats-Unis dans la zone.

(1) Il est vrai que les Etats-Unis ont à faire face à de multiples menaces potentielles dont celle de la Chine dans le Pacifique.

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