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Ces guerres politiques qui ne résistent pas à l’examen de la réalité (saviez-vous qu'Obama avait expulsé le même nombre d'immigrés illégaux que l'objectif fixé par Trump ?)
©Reuters

Des paroles et des actes

Quel que soit le résultat de la présidentielle 2017, il ne faudra pas s'attendre à un changement majeur de l'action gouvernementale. En dépit des apparences, gauche et droite sont loin d'être aussi opposées idéologiquement, notamment sur l'immigration, l'économie ou l'Union européenne.

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Aux États-Unis, Barack Obama est le président qui a expulsé le plus d'immigrants clandestins (environ 2.5 millions). C'est plus que l'ensemble des migrants renvoyés au cours du XXème siècle aux États-Unis. Pourtant, Donald Trump a fait campagne sur une position de rupture, sur les mêmes sujets. De tels conflits, plus symboliques que réels, existent-ils aussi en France, notamment dans le cadre de la primaire de la droite ? Sont-ils justifiés ? D'un point de vue idéologique, les candidats de la droite sont-ils aussi éloignés que ce qu'ils cherchent à montrer de ceux de la gauche ?

Maxime Tandonnet : Oui, on constate que les campagnes électorales se focalisent sur les symboles, les slogans et les chiffons rouges. En 2007, l’identité nationale de Nicolas Sarkozy, en 2012, la taxation à 75% des revenus les plus élevés pour M. Hollande. L’idée est d’accrocher l’électorat par quelques messages. Après, une fois au pouvoir, l’exercice est particulièrement compliqué pour donner une portée concrète à ces propositions emblématiques. Les déboires du "grand débat sur l’identité nationale" en 2009 ont été le signe de la difficulté à traduire ce thème dans la réalité. De même, la promesse de taxation à 75% a tourné au casse-tête d’un quinquennat. Dans les primaires, nous assistons à un phénomène comparable. Nicolas Sarkozy a voulu se démarquer par un projet de référendum sur le regroupement familial. Ses adversaires ont utilisé ce thème pour l’attaquer. Dans les faits, le regroupement familial est un volet de l’immigration bien maîtrisé (environ 20 000 par an, soit un dixième de l’immigration régulière), soumis depuis la loi Sarkozy du 24 juillet 2006 à l’existence d’un logement adapté à la famille et du revenu d’un travail, qui ne soulève guère de problème. Toutefois, en campagne électorale, c’est le message qui compte et la posture qui est derrière, permettant de se singulariser des autres candidats. De fait, les candidats de droite sont sur une ligne identique d’un point de vue idéologique. Comment en serait-il autrement ? Ils ont gouverné ensemble. François Fillon fut pendant cinq ans Premier ministre de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé son ministre des Affaires étrangères. Tous trois ont des points de vue voisins sur tous les grands sujets du moment : économie, Europe, institutions, politique internationale. L’agressivité de la campagne des primaires dominées par des polémiques et des attaques personnelles est bien le signe de la difficulté à se différencier sur le fond.

Sylvain Boulouque : Je commencerais par exclure Jean-Frédéric Poisson de cette analyse, dans la mesure où son positionnement le classe plus proche de l'extrême droite que de la droite républicaine. En cela, il se démarque des autres candidats de la primaire.

Globalement, les candidats de la droite et du centre ont relativement peu de différences en termes de lignes politiques. Ils souhaitent tous une libéralisation de l'économie, avec une réduction du budget de l'État. Il n'y a pas, sur cette dimension, de différences fondamentales. Sur les questions sociétales, on constate quelques nuances : certains sont plus libéraux que d'autres. Nathalie Kosciusko-Morizet apparaît beaucoup plus libérale – sociétalement parlant – que François Fillon, qui est plus attaché au modèle traditionnel de la société. C'est également vrai pour l'écologie : Nathalie Kosciusko-Morizet semble plus sensible à ces problématiques que ne le sont François Fillon et Nicolas Sarkozy. 

Cependant, sur la question européenne, on constate que l'intégralité – Poisson compris – des candidats de la primaire de la droite (et ils ne sont pas les seuls…) adoptent le même type de position. Ils partagent une vision commune de l'Europe : un marché libre européen avec des règles de concurrence parfaite à appliquer. Finalement, sur cette question, il n'existe aucune différence marquée, mais parfois des effets de manche.

Gardons à l'esprit qu'il s'agit avant tout de conflits de personnes qui souhaitent accéder au pouvoir. Pour exercer le pouvoir, il faut être violent. Évidemment, il ne s'agit pas de violence physique, mais bien d'une violence partisane, symbolique et lexicale. L'une des définitions du pouvoir, au travers de l'État, c'est l'accès au monopole de la violence légitime. À partir de là, celui qui cherche à contrôler l'État cherche à s'arroger le monopole de la violence, même symbolique. Cependant, six candidats sur sept sont membres des Républicains. Il n'y a naturellement pas de différences idéologiques : juste des nuances. De tels conflits et une telle violence ne se justifient pas sur le seul plan des idées.

Ce mercredi 16 novembre, Emmanuel Macron a finalement décidé d'annoncer sa candidature à l'élection présidentielle. L'ancien ministre de l'Economie base tout son discours sur la différence et le renouveau. Se distingue-t-il pour autant de la gauche ou de la droite comme il le prétend ? 

Maxime Tandonnet : Il se présente comme "antisystème", comme la plupart des autres candidats, notamment la candidate lepéniste et Nicolas Sarkozy, qui revendiquent explicitement ce qualitatif. La mode vient des Etats-Unis et de la victoire de M. Trump à la présidentielle. Ce slogan est étonnant de sa part. En apparence, c'est vrai qu'il apporte du renouveau par sa jeunesse, son sourire, son côté télégénique, extrêmement brillant, à l'évidence intelligent et capable d'audace. Il apporte une image de modernité. Mais sur le fond, ses idées, ou ce que l'on sait d'elles, sont largement conformes aux valeurs dominantes dans les médias et la classe politique. Il est libéral en économie à l'image du pouvoir actuel et de son "pacte de responsabilité". Il est favorable, comme l'ensemble des dirigeants français, au renforcement de l'Union européenne. En politique internationale comme sur les sujets régaliens - sécurité, ordre public, autorité de la loi - on ne voit pas bien en tout cas pour l'instant en quoi il incarnerait un message de renouveau. M. Macron existe par son image médiatique, par l'ensemble des impressions qu'il suscite plus que par l'originalité de son discours et de son projet. L'intérêt qu'il suscite tient à sa personne plus qu'au fond de sa politique. A cet égard, il est parfaitement conforme à ce qu'est devenue la politique médiatisée aujourd'hui, avant tout affaire d'images, de symboles, d'émotions. De l'extrême droite à l'extrême gauche, la personnalisation de la vie publique atteint son paroxysme. A cet égard, Emmanuel Macron n'a rien d'antisystème. 

Dans quelle mesure cette situation s'applique-t-elle également à l'exercice du pouvoir entre la gauche et la droite ? Les discours de campagne, souvent aux antipodes, donnent-ils lieux à de réelles différences politiques, une fois un camp installé à l'Élysée ?

Sylvain Boulouque : La question des migrants que vous abordiez tout à l'heure constitue un bon exemple. Les postures, à droite et à gauche, sont très différentes. Dans la pratique cependant, l'action politique est la même et il existe un consensus sur la politique à mener : limitation de l'immigration, réduction du nombre de migrants, etc. Finalement, les prises de positions – à droite comme à gauche, encore une fois – se font beaucoup plus sur des postures symboliques que sur la réalité des faits. Pour schématiser, dans l'action, on a une gauche sociale-libérale face à une droite libérale-sociale. Les différences ne sont plus aussi marquées qu'elles pouvaient l'être par le passé.

Il est clair que l'alternance entre un gouvernement de droite, puis un gouvernement de gauche (et inversement) ne donnera pas lieu à un grand renversement de l'un ou de l'autre système. En période de campagne tout particulièrement, toute une série de clivages se créent autour des discours de la droite et de la gauche. Certains sont simplement artificiels, d'autres continuent à exister. C'est notamment le cas de la question du rôle de l'État, de la redistribution, des impôts, du temps de travail.

Les différences de positions qui n'en sont pas dans l'action se retrouvent essentiellement dans le domaine de l'économie, mais aussi sur la question européenne, que je mentionnais tout à l'heure. La vision partagée par les candidats de la primaire est, globalement, celle qu'embrassent également la gauche de gouvernement et les cadres dirigeants du Parti socialiste. Une autre dimension sur laquelle on constate finalement assez peu de différences, c'est le sociétal. Malgré des prises de positions parfois très dures à l'égard du mariage pour tous, il est très improbable qu'un des candidats de la primaire de la droite revienne véritablement dessus. Personne ne le remettra vraiment en cause, ne serait-ce que parce que c'est juridiquement infaisable. Un certain nombre de textes d'ordre sociétaux connaîtront le même sort.

L'immigration et la sécurité sont également des domaines où les différences de postures sont criantes mais où les actions sont assez similaires; en matière d'immigration, la ligne est la même. C'est celle du refus d'une immigration non-maîtrisée. En matière de sécurité, la droite se positionne sur une posture hyper-sécuritaire, mais dans les faits le questionnement sécuritaire se pose de la même façon à gauche et à droite. 

Maxime Tandonnet : Il faut bien voir que les marges de manœuvre des politiques ne sont pas illimitées dans le monde moderne. Souvenons-nous des premiers pas de François Hollande à l’Elysée. Il avait annoncé en campagne sa prise de distance avec le pacte européen de discipline budgétaire. Une fois au pouvoir, il l’a validé. Avec l’euro, le pouvoir monétaire échappe aux dirigeants politiques. La solution de la planche à billets est désormais interdite aux gouvernements alors que leurs marges d’action budgétaires sont extrêmement faibles. Dans tous les domaines, commerce, politique commerciale et industrielle, environnement, agriculture, le droit européen encadre leurs compétences. En outre, sur les sujets régaliens - immigration, sécurité, autorité de l’Etat, libertés publiques - les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme, du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation, limitent les marges de décision des Etats. Ce phénomène de judiciarisation de la société est inévitable dans le monde moderne. Il concerne toutes les démocraties. Il correspond à une évolution de l’Etat de droit. On peut toujours fanfaronner en campagne électorale en promettant de renverser la table comme Alexis Tsipras en Grèce. On peut toujours rouler les mécaniques en se déclarant prêt à "dénoncer" la Convention européenne des droits de l’Homme : une fois au pouvoir, personne ne le fera jamais car cela reviendrait à déclencher une crise majeure.

Quels sont les risques et les conséquences d'une telle situation politique ? Comment y mettre un terme et sur quels terrains la droite est-elle en mesure de se démarquer ?

Maxime Tandonnet : Je pense que la future majorité devra changer de fond en comble la manière d’assumer sa mission. Il faut en finir avec la politique de l’esbroufe, de la posture, de la fuite dans les limbes, la logorrhée et la communication, des gesticulations, de la polémique permanente destinée à cacher l’impuissance publique. Ceci pour une raison simple : les citoyens perçoivent la manipulation et ce genre de manœuvre leur est devenu insupportable. Le pouvoir politique doit au contraire se recentrer sur la vérité, dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Les marges de manœuvre du politique sont moins étendues que jadis mais elles existent toujours. Ainsi,  rien n’oblige la France à battre tous les records européens de prélèvements obligatoires, par exemple avec 47%. Le matraquage fiscal est en grande partie à l’origine de nos difficultés économiques et l’Europe n’y est pour rien. La politique doit redevenir une affaire de gouvernement, de décision, de choix et non plus de communication. Il faut mettre fin au culte du narcissisme en politique. Si la politique retrouve le chemin de la réalité, si les futurs dirigeants se consacrent au seul intérêt général en renonçant à privilégier leur destin personnel, ils peuvent restaurer la confiance dans la politique.

Sylvain Boulouque : Pour éviter que les partis extrémistes ne montent - parce que c'est l'un des risques -  la solution pourrait être de reconnaître et d'assumer ce consensus là où il existe. Plutôt que de prétendre que la droite et la gauche sont des partis idéologiquement très différents, il serait peut-être plus pertinent d'expliquer la convergence des positions sur certains sujets. On sait aujourd'hui que les différences entre la droite et la gauche sont moins marquées qu'elles ne l'étaient par le passé. Assumer cette relativité des différences deviendrait évidemment plus simple. Cela éviterait également que les gens s'enthousiasment pour des programmes qui ne susciteraient pas, en temps normal, le même engouement. Cela éviterait de créer de la frustration, et cela désenchanterait probablement la politique. Mais la politique doit-elle véritablement enchanter la société à chaque fois ? 

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