En Ukraine de l'Est, les prisons se transforment peu à peu en goulags <!-- --> | Atlantico.fr
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Dans une quinzaine de goulags modernes (juste pour la République populaire de Louhansk), les prisonniers fabriquent également des canapés, du fil barbelé et des jeux de société.
Dans une quinzaine de goulags modernes (juste pour la République populaire de Louhansk), les prisonniers fabriquent également des canapés, du fil barbelé et des jeux de société.
©Reuters

Certifié par Staline

Un récent rapport de l'ONG de protection des droits de l'homme Eastern Human Rights Group a dénoncé les conditions de vie des 5 000 prisonniers qui peuplent les établissements pénitentiaires de l'Est de l'Ukraine, dans les oblasts de Louhansk et Donetsk. Depuis la sécession de ces territoires en 2014, les prisons se seraient transformées en goulags.

Depuis que le conflit en Ukraine a éclaté fin 2013, le pays à cheval entre Europe et Asie s'est fracturé en deux parties : l'Ouest de l'Ukraine, majoritairement europhile, et l'Est de l'Ukraine, bien plus tourné vers la Russie. La Fédération de Russie n'est pas l'URSS, soit. Cela n'empêche que la transformation progressive des prisons de l'Est de l'Ukraine en goulags laisse deviner chez les dirigeants de ces deux oblasts de Louhansk et Donetsk une certaine nostalgie de l'ère soviétique. Blague à part, la situation est inquiétante. La BBCa traduit une partie du rapport rédigé en russe. Les témoignages des prisonniers sont glaçants. Voici celui du jeune Ukrainien Alexander Efreshin, 29 ans, prisonnier depuis cinq ans. Il raconte.

Les prisonniers, otages des sécessionnistes

Tout commence un soir de 2011 où le jeune homme, alors âgé de 24 ans, boit quelques bières dans la rue avec ses amis. Probablement en état d'ébriété, Alexander Efreshin tombe sur un minibus garé, la porte ouverte, qu'il décide de bricoler afin de faire démarrer le moteur. Après l'avoir conduit cinq minutes, un ami et lui décident d'y mettre le feu, en versant le butane contenu à l'intérieur d'un briquet sur le siège passager. Les deux délinquants sont arrêtés par la police : Efreshin est alors condamné à huit ans et demi de prison ferme pour vol et pyromanie. Il est incarcéré dans une prison près de la ville de Khroustalny, dans l'oblast de Louhansk. Le temps de purger sa peine, le jeune homme décide de travailler dans les ateliers de la prison afin de gagner de quoi augmenter ses rations alimentaires et réduire sa peine d'un tiers – c'est la réglementation en Ukraine. Il ne lui restait plus que six ans à tenir derrière les barreaux.

Mais c'étant sans compter la crise ukrainienne qui déchire le pays du Nord au Sud. Tandis que l'Ouest de l'Ukraine se tourne vers l'Union européenne, l'Est majoritairement russophone se rapproche de la Russie. Les deux régions administratives de Louhansk et Donetsk, à la frontière avec le voisin russe, décident de faire sécession au printemps 2014 et constituent ainsi un État dans l'État, reconnu ni par l'Union européenne, ni par les États-Unis, ni par la Russie (qui se contente du silence). Les territoires finissent par ne répondre qu'à moitié aux directives provenant de Kiev. Les prisonniers incarcérés par les autorités ukrainiennes dans des prisons en territoire rebelle doivent, selon la capitale, être transférés. Mais bien évidemment, rien ne se passe.

Goulag moderne

Efreshin, de son côté, continue de travailler, mais ne reçoit plus de salaire. Il accomplit 12 heures de travail par jour à construire des blocs de béton. Les rations de nourriture ont été sensiblement réduites, et l'aménagement de peine dont il devait profiter en vertu de son travail a été balayé d'un revers de main. Sa sortie est ainsi prévue en septembre 2019. "Je ne sais pas si je vais survivre un an de plus ici, alors qu'il me reste trois ans à purger, confie-t-il aux activistes du groupe de défense de droits de l'Homme auteurs du rapport. "Nous n'avons pas accès aux soins, ni aux médecins, ni aux dentistes. J'ai perdu beaucoup de mes dents, et nous ne pouvons même pas avoir d'antalgiques. Nous mangeons exclusivement de la bouillie, et n'avons d'autre choix que de travailler. Si tu refuses, il te jette en isolement. C'est inhumain", lâche-t-il. Le media New Europe rend également compte du rapport publié, dans lequel ont été interrogés 74 détenus. On y apprend que dans cette quinzaine de goulags modernes (juste pour la République populaire de Louhansk), les prisonniers fabriquent également des canapés, du fil barbelé et des jeux de société. Certains travaillent également dans des mines de charbon sans aucune forme de réglementation de sûreté, appelées "kopanki". Mines dans lesquelles travaillent également les habitants de ces territoires pro-russes, comme l'indiqueLa Voix du Nord.

Les profits de la vente des biens fabriqués par les détenus, qui s'élèvent à 34 millions de hryvnias (environ 1 million d'euros), sont ensuite distribués aux autorités rebelles. Le rapport précise : "Quelques 5 000 personnes travaillent sans rémunération dans le but de survivre, de pouvoir recevoir des visites et de ne pas mourir de faim. Et tout cet argent n'a pour but que d'enrichir un certain groupe au sein de République populaire de Louhansk". Les prisonniers n'ont de toute façon pas le choix. S'ils refusent de travailler, ils sont envoyés 15 jours en isolement. S'ils persistent après coup, on leur refuse les visites des proches et les colis, et éventuellement, on les torture. La torture serait aussi pratiquée sur les détenus susceptibles d'être des fauteurs de troubles, indique un prisonnier anonyme dans le rapport. Un jour, un détenu était sévèrement blessé par les coups qu'il venait de recevoir. Il a refusé les soins qu'on lui proposait, et s'est laissé mourir. Une autre confession anonyme fait état de méthodes de torture alternatives, telles que la privation d'eau et de nourriture durant trois jours ou l'obligation de rester debout entre huit et dix heures en plein cagnard, ou en pleine tempête de neige, selon les saisons.

Et la liste des priorités humanitaires s'allonge

Une souffrance qui, bien sûr, affecte également les proches des victimes. La sœur d'Alexander Efreshin témoigne dans le rapport : "Quand je n'ai pas de nouvelles de lui, je dors très mal. Je regarde des photos de lui – il a perdu environ 20 kilos". Et d'ajouter, indignée : "Plusieurs fois, on nous a dit qu'on pouvait payer un pot de vin pour le libérer, mais je suis sûre qu'il ne s'agit que de mensonges, et de toute façon, nous ne pouvons pas nous acquitter d'une telle somme. Ils demandent entre 50 000 et 70 000 dollars (entre 45 000 et 63 000 euros). C'est irréel". La famille Efreshin doit payer en outre 200 hryvnias (6,90 euros) par mois aux autorités pour être sûrs qu'Alexander ne sera pas jeté en isolement, dans les sous-sols de la prison.

Pavel Lisyansky, le directeur de l'Eastern Human Rights Group, estime qu'il devrait y avoir 5 000 autres prisonniers détenus dans des conditions similaires en République populaire de Donetsk. Un report axé sur cet oblast sous contrôle rebelle devrait d'ailleurs paraître prochainement, assure-t-il. Avant d'ajouter : "Il est difficile de croire que nous assistons là à des camps de travaux forcés, au beau milieu de l'Europe et du 21ème siècle. Et pourtant, c'est bien ce qui se passe, et il faut agir […] Les prisonniers se sentent abandonnés et ont perdu tout espoir. D'autre part, la Croix Rouge et les autres organisations humanitaires n'ont aucun moyen de prêter main forte".

Pendant ce temps-là, ces geôles d'un autre siècle se remplissent, approvisionnées en opposants politiques et journalistes dérangeants. Des méthodes que Staline ne renierait pas. 

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