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Frontex : un nouveau corps de gardes-côtes et de gardes-frontières qui pourrait produire plus d'effets toxiques que de bien
©Reuters

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La création, ce jeudi 6 octobre 2016, du Corps européen de garde-frontières et garde-côtes a pour vocation d'épauler Frontex dans sa mission. Mais intensifier les moyens et les hommes ne permettra pas de lutter contre l'inefficacité de Frontex, celle-ci étant liée à l'obligation de rapatrier les migrants secourus en mer en Europe et non sur leur lieu d'embarquement.

Xavier Saincol

Xavier Saincol

 Xavier Saincol est haut fonctionnaire. Il s'exprime ici sous pseudonyme.

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Atlantico : Ce jeudi 6 octobre le Corps européen de garde-frontières et garde-côtes sera créé pour épauler Frontex dans sa mission, aux frontières extérieures de l'Union Européenne. Les moyens déployés sont-ils suffisants ? Quelle efficacité attendre de ce renforcement ?

Xavier Saincol : Frontex, créé au début des années 2000, ne dispose pas de pouvoirs propres. Dirigé par un directeur français, siégeant à Varsovie, il a pour mission de coordonner les actions des Etats-membres, par exemple les patrouilles en mer, dans le cadre de grandes opérations (Poséïdon, etc.). Il a la possibilité de demander aux gouvernements de mettre des moyens militaires au service du contrôle de la frontière européenne. La création du corps européen de gardes frontières est dans une autre logique. Elle porte sur la mise en place de moyens propres de l'Union européenne, composée d'agents de statut européen. A cet égard, l'innovation est spectaculaire. 1500 agents vont être ainsi recrutés et pourvus de moyens technologiques avancés (radars, hélicoptères). En soi, ce corps européen n'a pas vocation à contrôler lui même la frontière commune : il représente un agent tous les cent kilomètres de frontière environ... Son rôle sera davantage d'apporter un concours aux polices et administrations nationales en cas de difficultés et de flux migratoires massifs. Il ne faut pas en attendre de miracle. 

Frontex est régulièrement taxé d'inefficacité et a fait l'objet de plusieurs polémiques. La création de ce nouveau corps européen va-t-elle dans le bon sens néanmoins ? Quelles sont les réformes qu'il faudrait entreprendre pour pouvoir répondre à la problématique à laquelle fait face l'Union ?

Oui, bien sûr, cette création va dans le sens d'une prise de conscience que les choses ne peuvent pas durer ainsi. Pour autant, il faut bien voir la réalité. Frontex représente potentiellement des moyens considérables : une partie des forces maritimes et aériennes des Etats peut être mobilisée pour lutter contre les flux migratoires illégaux en Méditerranée. En vérité, le problème ne tient pas à une affaire de renforcement des moyens. L'Union européenne a – heureusement - donné comme priorité absolue à Frontex le secours des migrants en perdition et menacés de noyade. Il est tout à fait normal et évident de songer à sauver des vies avant toute autre considération. Cependant, son principe est de ramener les migrants secourus par les navires Frontex en Europe, et non sur leur lieu d'embarquement, ce que la Cour européenne a interdit par une jurisprudence de 2012, afin de permettre aux éventuelles victimes de persécutions de déposer une demande d'asile. Dès lors, les passeurs criminels jettent leurs victimes à la mer, dans des embarcations de fortune, tout en prévenant par téléphone les navires sous label Frontex, pour qu'ils viennent récupérer les migrants et les acheminer en Europe. Ce mécanisme de chantage explique en partie le million et demi d'arrivées illégales depuis 2015. La création d'un corps européen de garde frontières ne changera strictement rien à cette réalité quels que soient ses moyens en hommes et en matériel. 

Peut-on parler de militarisation du contrôle des frontières ? Peut-elle être véritablement efficace, sur une zone aussi grande que l'Union européenne ? Si l'exemple historique du détroit de Gibraltar semble aller en ce sens, peut-on espérer mettre un terme aux flux migratoires ? Quelles sont les éventuelles autres solutions dont nous disposons ?

Des succès importants ont été en effet obtenus dans la lutte contre les traversées maritimes illégales : Gibraltar, mais aussi les îles Canaries, en partant des côtes sénégalaises dans les années 2006-2007. Ces réussistes ont été permises par des accords passés avec les pays d'embarquement par l'Espagne, en l'occurence avec le Maroc et le Sénégal. Aujourd'hui, la résolution de la crise des migrants ne passe pas par le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures Schengen, qui n'est qu'un palliatif exagérément mis en avant par les partis politiques. On ne peut pas laisser les migrants s'accumuler en Italie et en Grèce, par respect envers ces deux pays mais aussi parce que de fait, aucune frontière intérieure européenne ne les dissuadera de se rendre tôt ou tard où ils le souhaitent. Il faut au contraire poser les fondements d'une volonté politique commune des grands Etats de l'Union européenne pour organiser une intervention navale contre les passeurs criminels, empêcher les noyades en secourant les migrants sur le lieu de leur embarquement. Il faut négocier avec les pays d'embarquement l'installation de centres destinés à l'examen des demandes d'asile avant toute arrivée en Europe. Il est urgent de renforcer considérablement la politique européenne d'aide au développement et à la stabilisation des zones de départ pour permettre aux migrants de vivre dignement et de travailler dans leur pays d'origine. La question n'est pas de fermer l'Europe qui accueille chaque année légalement 1,4 million de ressortissants de pays tiers à des fins d'immigration, mais d'organiser les flux migratoires pour mettre fin à l'enfer de l'immigration clandestine et la tyrannie des passeurs esclavagistes. 

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