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Un (autre) million de réfugiés : mais qui pourra accueillir les Irakiens jetés sur les routes par la bataille de Mossoul ?
©Reuters

Crise en vue

Alors que l'offensive pour récupérer Mossoul des mains de l'Etat Islamique a été annoncée pour le 19 octobre, les modalités d'accueil des habitants de la ville dans des camps de déplacés sont loin d'être au point. L'opération militaire à venir pourrait ainsi déclencher une grave crise humanitaire.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Alors que l'offensive pour récupérer la ville de Mossoul des mains de l'Etat Islamique devrait avoir très prochainement lieu, les Nations unies et organisations non gouvernementales sur le terrain sont-elles prêtes à gérer les conséquences humanitaires de cette opération militaire ? Combien de personnes pourraient être déplacés du fait de cette offensive ?

Alain Rodier : Le gouvernement irakien et les puissances occidentales, Etats-Unis, Grande-Bretagne et France en tête, n’ont à la bouche que l’offensive qui doit permettre de reprendre Mossoul sur Daech. Personne ne semble effectivement remarquer que cette bataille, si elle a lieu, se déroulera comme à Alep dans une ville très peuplée. Les estimations vont de un à deux millions d’âmes. Beaucoup ont oublié Sun Tzu qui déclarait dans son "L’Art de la guerre" : "on n’attaque une ville qu’en désespoir de cause".

En effet, le combat dans les localités est celui qui est tactiquement et techniquement le plus difficile à mener. Les risques de pertes collatérales sont énormes, surtout quand un des camps utilise les civils comme boucliers humains. Certes, les alliés occidentaux ont une technologie qui permet des frappes beaucoup plus précises que celles des Russes, il reste que la question se pose toujours : qui va y aller "à la baïonnette" car les combats en ville se finissent au corps à corps. Pour cela, il faut des assaillants particulièrement motivés car l’avantage penche initialement du côté des défenseurs qui ont eu le temps de préparer leurs positions à l’avance. Or, le "combat d’infanterie se perd" et surtout, les volontaires au casse-pipes ne se bousculent pas au portillon. Par ailleurs, le discours des Occidentaux vis-à-vis de leurs alliés irakiens est clair mais très peu motivant pour ces derniers : "entraînons nous et allez-y, on vous appuie".

Selon la BBC, le plan de bataille prévu est le suivant : renforcement de la base logistique de Qayyarah située à 60 kilomètres au sud de Mossoul (où se trouvent les artilleurs français et leurs accompagnateurs), encerclement progressif de la ville, les peshmergas verrouillant les accès nord ; approche des abords de la localité avec, pour limite longue, le 8 novembre, début de l’élection présidentielle américaine (il faut bien que le président Obama termine son mandat en beauté, il l’a bien débuté en étant nommé prix Nobel de la Paix (1) fin novembre-décembre, début des combats de rues ; fin de l’année-début 2017, "et hop, c’est enlevé" -selon le gouvernement irakien-… Le président turc Reccep Tayyip Erdoğan a de son côté dévoilé la date du début des opérations : le 19 octobre. Au sol, c’est à l’armée irakienne et aux milices chiites de s’y coller mais promis-craché-juré, ces dernières n’entreront pas dans Mossoul à majorité sunnite. Question : est-ce que le major général Qassem Suleimani, le chef de la forces Al-Qods des pasdarans iraniens et grand soutien des milices chiites irakiennes fera une petite apparition médiatique comme il en a l’habitude (la dernière fois qu’il s’est montré aux photographes, c’est dans la région d’Alep) ? Les effectifs gouvernementaux sont estimés à 28 000 combattants. Ceux de Daech ne sont pas vraiment connus mais ils ne devraient pas dépasser les 2 500/3 000 activistes. A dix contre un, c’est jouable "sur le papier".

Selon le représentant en Irak du Haut Commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR) Bruno Geddo, l'offensive sur Mossoul pourrait provoquer "l'un des pires désastres humains depuis de nombreuses années". En gros, il s’attend à avoir à gérer quelques 700 000 réfugiés, peut-être plus. Encore faudrait-il qu’ils puissent sortir de la ville.

Il est toutefois possible que les spectaculaires mouvements de troupes qui ont lieu actuellement et les plans échafaudés et relayés "aimablement" par la presse anglo-saxonne (une opération "Fortitude" à la petite semaine ?) aient un autre objectif. En effet, la stratégie de Daech n’a jamais été de défendre fermement une position. Soucieux de préserver ses effectifs de combattants entraînés (ils ne sont pas si nombreux que cela), il a toujours préféré éviter le combat défensif frontal et se dissoudre dans la nature pour se reconstituer ailleurs. La fameuse théorie de la goutte de mercure qui explose en de multiples gouttelettes… Dans le passé, afin de permettre le départ du gros des effectifs, les forces irakiennes ont seulement été ralenties par des tireurs embusqués et des pièges explosifs fixes ou mobiles. Différentes déclarations émises par Daech admettant qu’il pourrait perdre des villes -même importantes- semblent aller dans ce sens mais que se passera t’il si, pour une fois, Daech change de tactique ?

En effet, on se retrouvera alors en situation de siège comme à Alep mais à la différence que là, encore plus de civils seront alors pris au piège. Le mauvais rôle assumé aujourd’hui par le pouvoir syrien et ses alliés russes et iraniens à Alep risque d’être alors attribué aux forces de la coalition internationale !

1. Cela dit, quel que soit le président élu, je pense que l’on regrettera le président Obama qui est d’une autre facture que les candidats actuels.

Si les camps sont saturés, où pourraient se réfugier les habitants de Mossoul cherchant à fuir les combats ? Alors que les villes de Falloujah et Ramadi avaient été vidées avant le déclenchement des opérations militaires, est-il possible que certains habitants de Mossoul, face à l'insuffisance des capacités d'accueil, restent chez eux pendant l'offensive ? Quels risques cela pourrait-il poser ?

Le HCR se prépare comme il le peut à cet afflux de populations. De toutes façons, Daech ne pourra éviter la fuite d’une partie des habitants de Mossoul même s’il tente d’en retenir une partie. Peut-être même en profitera t-il pour exfiltrer certains de ses combattants et surtout leurs familles. Les autorités espèrent que la situation ne sera que temporaire, les déplacés pouvant revenir chez eux lorsque la situation aura été stabilisée et que les services vitaux auront été rétablis. Tout est possible, même le pire.

Quelles sont les structures d'accueil existantes pour les déplacés de guerre en Irak ? Combien de personnes ont été déplacées depuis le début de la guerre contre l'Etat Islamique en Irak ? Qu'en est-il en Syrie ?

En Irak, des camps de réfugiés existent déjà accueillant environ 300 000 personnes. Le problème réside dans le fait qu’il y a 3,5 millions de déplacés… Le HCR prépare en catastrophe plus d’une dizaine de camps autour de Mossoul de manière à tenter de faire face à l’exode qui risque de se produire. Il rappelle qu’il convient de préparer cela (en particulier financièrement) avant que les images ne parviennent sur les chaînes de télévisions internationales car, alors, il sera bien tard pour être efficace.

En Syrie, les chiffres sont effrayants : 8 millions de déplacés à l’intérieur et 4 millions à l’étranger sans compter les 4,5 millions d’assiégés où résidents dans des zones difficiles d’accès.

Il n’empêche qu’un optimisme généralisé s’est emparé des responsables politiques dont les déclarations sont relayées en boucle par la presse. Cela se nomme "la stratégie d’influence". J’espère qu’ils ont raison mais les doutes m’étreignent. Par exemple, la bataille pour reprendre Syrte (Libye) aux djihadistes de Daech où les Américains apportent un appui aérien conséquent dans le cadre de l’opération "Odyssey Lightning", devait être terminée en quelques semaines. Cela fait trois mois que cela dure… "La guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires" disait Georges Clemenceau. Je ne suis pas certain que les responsables politiques soient plus performants et surtout, ils ne semblent pas en mesurer l’horreur et l’abomination. Il n’y a pas de guerre propre (2), il n’y a que celle que l’on gagne, le perdant ayant par définition tort.

2. Et surtout pas de guerre "zéro mort" qui reste une invention des stratèges politiques formés aux jeux vidéo.

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