Il n'y a pas que l'industrie qui puisse nous sauver sur le front de la productivité : pourquoi les économistes sous-estiment généralement le potentiel des services<!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd'hui, les constructeurs automobiles veulent créer des services à la mobilité, et Google et Apple investissent dans les automobiles.
Aujourd'hui, les constructeurs automobiles veulent créer des services à la mobilité, et Google et Apple investissent dans les automobiles.
©Reuters

Maillon faible

Plusieurs travaux d'économistes ont mis en lumière la faible productivité du secteur des services par rapport au secteur manufacturier, contrairement aux idées reçues. En cause essentiellement, un problème de capital humain.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Selon une étude publiée en 2014, l'économiste Alwyn Young émet l'hypothèse que nous aurions tendance à exagérer la productivité du secteur manufacturier par rapport à celle du secteur des services. En indiquant que la réduction des effectifs du secteur industriel a naturellement conduit à ne garder que les éléments les plus productifs, alors que l'élargissement du secteur des services conduit à inclure des personnes de moindre qualification, les variables seraient largement faussées. Cette hypothèse est-elle également valable pour la France ?

Sarah GuillouLa démonstration de A. Young est en effet d’expliquer le moindre niveau de productivité des services relativement à l’industrie par un problème de capital humain et non un problème de technologie. L’idée est que le surcroît de main d’œuvre venant de l’industrie qui abonde les services est d’un niveau de productivité inférieure aux travailleurs qui sont eux, spécialisés dans les services. En effet, la désindustrialisation libère en premier les travailleurs de l’industrie les moins productifs. Leur arrivée dans les services exerce une pression à la baisse à la fois sur le niveau et sur la croissance de productivité des services.

C’est une hypothèse qui est probablement valable aussi pour l’économie française qui a détruit massivement de l’emploi industriel tout en créant de l’emploi dans les services.

En soit, cette nouvelle perspective de Young ne change pas la donne sur la faiblesse de la productivité dans les services, mais elle se substitue à l’hypothèse selon laquelle les services seraient par nature peu productifs comme le soutenait W. Baumol dès 1965 présentant "the cost disease of services". La thèse de Baumol soutient que le processus de production des services, donc, la technologie des services, n’autorise pas de gains de productivité. L’exemple le plus évident est celui d’une coupe de cheveux, ou d’une heure de massage, de comptabilité ou d’un spectacle d’opéra. Young a une explication alternative en termes de capital humain. Si on le suit, alors on sous-estimerait les capacités technologiques des services à générer des gains futurs de productivité.

Si les sociétés occidentales ont connu une large expansion du secteur des services au cours de ces dernières décennies, notamment sous l'impulsion de l'évolution de la consommation des pays les plus avancés vers ce secteur, de nombreux économistes ont pu accuser ce phénomène d'être à l'origine de la baisse de la productivité. Finalement, l'hypothèse d'une évolution vers une société de services est-elle forcément à craindre ?

C’est en effet une explication souvent avancée. Il est assez clair que l’accroissement des richesses a alimenté la demande en services. L’augmentation de la part des services a diminué la productivité de l’économie et sa croissance dès lors que la dynamique de la productivité est plus faible dans les services.

La part des services continuant d’augmenter aussi pour des raisons de fragmentation de la valeur ajoutée et d’accentuation de l’importance du contenu en services des produits manufacturés, il est à craindre que la productivité continue à stagner. Mais il y a des raisons de croire que de nouveaux éléments sont possibles.

D’une part, l’hétérogénéité des services est telle qu’un discours unifiant est de plus en plus contestable. A tout le moins faut-il distinguer les services échangeables (pouvant être exportés) et non échangeables. Ceux qui sont soumis à la concurrence internationale – et il y en a de plus en plus -- sont plus productifs. D’autre part, les services à fort contenu technologique se développent, et de nouveaux services associés à l’économie digitale naissent en grappes. Ces nouveaux services se nourrissent d’une main d’œuvre qualifiée et sont extrêmement dynamiques. Ils augmentent indéniablement la qualité des produits et les possibilités d’échanges. Pourquoi ne voit-on pas encore ce dynamisme dans les chiffres de la productivité des services ? Il peut subsister une question de volume encore pour le moment. Mais il semble qu’il s’agisse moins d’une affaire de temps et de volume qu’une affaire de comptabilité. On ne parvient pas correctement à mesurer la productivité des services : soit parce qu’en fait elle transmet sa productivité au manufacturier (les services à l’industrie augmente la VA du manufacturier), soit parce qu’on ne valorise pas correctement l’augmentation qualitative des services, soit encore parce qu’on ne parvient pas à mesurer la dynamique des nouveaux services (puisqu’ils sont nouveaux, comment mesurer l’accroissement de leur productivité ?). L’expérience du progrès technologique du XXIème siècle ne concorde pas avec la stagnation de la productivité, et cela reste encore une énigme pour les économistes.

Si le secteur des services continue son expansion, et que le secteur industriel continue de se réduire, les politiques publiques n'ont-elles pas plutôt intérêt à accompagner un phénomène, plutôt que de vouloir sauver à tout prix le "monde d'avant" ?  Quelles seraient les limites d'une telle approche ?

Il demeure beaucoup de fétichisme à l’égard de l’industrie dans les classes dirigeantes des vieilles puissances industrielles. Ce fétichisme s’attache à la fois à la grandeur militaro-industrielle passée, et à la représentation politico-sociale de la classe ouvrière symbole des économies laborieuses et capitalistes. Il subsistera une classe ouvrière comme il a subsisté des agriculteurs. Et tout comme l’agriculture s’est largement "industrialisée", l’industrie est en train fortement de se "serviticiser". Ce dernier mouvement se caractérise par une interpénétration croissante des services et de l’industrie. Pour preuve, le mouvement à double sens entre économie digitale et secteur automobile : les constructeurs automobiles veulent créer des services à la mobilité, et Google et Apple investissent dans les automobiles.

La lecture de la spécialisation qui oppose services et industrie est de moins en moins opérante.

Une fois défait de cette lecture binaire, il faut accentuer la productivité des services dont le contenu en technologie est par nature plus faible, et améliorer le capital humain dont ils disposent. Pour cela, il faudra ne pas freiner la robotisation et l’automatisation de ces services. Il faut cependant veiller à anticiper le dualisme entre activités à contenu technologique à la productivité et aux salaires plus élevés, et les activités de services d’horizon proprement domestique dont les salaires stagneront.

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