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Comment apprendre à dire "non" au travail pour se soigner du burn-out
©Pixabay

Bonnes feuilles

"Drogué par mon travail, j'ai aidé des dirigeants à se désintoxiquer du leur. Jusqu'à mon burn-out l'an dernier. J'ai passé vingt ans à vendre aux autres un bonheur que je ne m'accordais pas". Ce témoignage raconte neuf mois de chute et de rechutes, qui ont guéri l'auteur du coaching et de tout ce qui l'éloignait de la vie. Hyperactif repenti ou contemplatif contrarié, il écrit pour tous les grands brûlés du boulot qui font tourner le monde et s'y épuisent au passage. Extrait de "Je peux guérir", de Thierry Chavel, aux éditions Flammarion 2/2

Thierry Chavel

Thierry Chavel

Coach de dirigeants, Thierry Chavel est professeur associé à l'université Panthéon Assas (Paris 2) où il dirige le Master 2 de coaching-développement personnel en entreprise.

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Foncer tête baissée, voilà une expression qui résumait ma façon d’envisager la vie jusqu’à ce burn-out. La résistance de l’air, de mon corps, de l’usure du temps, de la fragilité de mon existence, j’avais allègrement franchi tout cela.

Je sais maintenant qu’il a suffi d’un grain de sable, la goutte grisante de trop, une pensée noire, et tout s’est enrayé dans ma vie menée tambour battant. Tête baissée, c’est comme ça que je travaillais, comme un mineur de fond du coaching, enchaînant les activités jusqu’à l’étouffement. C’est aussi tête baissée que je pratiquais l’escrime, jusqu’à ce qu’un maître d’armes m’encourage à relever la tête, à être un peu hautain et arrogant pour déstabiliser l’adversaire. Le fleuret est un jeu, en redressant le buste je suis surtout plus efficace dans mes feintes, mes fentes et mes touches. C’est toujours tête baissée que je faisais l’amour, tellement préoccupé par la performance et le plaisir de ma partenaire que j’en oubliais mon propre désir, mes propres fantasmes. Tête baissée, c’était aussi ma façon de courir, les yeux rivés sur mes pompes, et puis je me suis aperçu que je respirais mieux en ouvrant la colonne d’air, menton relevé et front en arrière. Ce n’est pas parce que j’allais vite que je tenais droit dans mon axe.

Aujourd’hui, par un froid de saison, je fais mon jogging dominical, j’ai maintenant tout l’équipement de l’accro à la course à pied, chaussures techniques, montre sophistiquée, combinaison de running noire et jaune qui me fait ressembler à l’un des frères Jacques. Je fais désormais entre quinze et vingt kilomètres hebdomadaires, onze kilomètres à l’heure est mon rythme de croisière. Dans le premier kilomètre, je crache mes poumons, mes jambes sont raides, j’ai l’impression de tracter un trente-huit tonnes, je ne vois pas comment je vais tenir la distance. Je ne me laisse pas décourager, les arbres défilent, je reste centré sur mon souffle et sur la nature qui m’environne. Et il se passe quelque chose. Au bout de quarante minutes, je me sens peu à peu galvanisé, l’impression que l’effort s’estompe au profit d’une joie incroyable. J’accélère sans peine, ma foulée est ample et calme. Je finis la course sans avoir complètement puisé dans mes réserves, avec un sentiment d’autosatisfaction intense. Je n’en reviens toujours pas, il paraît qu’on libère des phéromones qui procurent cet état de plaisir. Je veux bien reprendre de ce dopant naturel la semaine prochaine.

Quelque chose s’est dilaté dans ma vie, comme une étreinte un peu plus laxe. Je prends les choses moins à cœur : j’ai si souvent employé l’expression à la légère pour d’autres que j’hésite à présent à me l’appliquer. Étrange formule en effet, prendre à cœur quelque chose. On devrait dire je me déprends des choses, le cœur n’a rien à voir là-dedans. Pas besoin de saigner pour soigner. J’ai renoncé à l’empathie empesée, à l’affectation obligée. J’en prends et j’en laisse, je garde mes distances avec le fracas victimaire, cela n’est d’aucune utilité ni pour mon client ni pour moi de s’auto-apitoyer, la vraie compassion se passe de démonstration. Le fond du sujet, c’est que je n’ai plus besoin de plaire ou de déplaire pour entrer en relation. Mon vrai job est d’offrir une présence inconditionnelle, j’ai cessé de vouloir tout contrôler et tout guérir.

Bien sûr, il y a des coups de fil à passer, des formulaires à remplir, des milliers de tâches secondaires en marge de mon activité de sagesse épurée, mais j’y accorde moins de temps, j’épouse le mouvement plus facilement. Je ne suis plus le démiurge qui coache, qui gère, qui compte, qui parle : ça coache comme Lacan disait que ça parle. C’est très décontractant de découvrir que la vie fait effet de levier quand je suis à mon travail indépendamment de moi. Je suis un jardinier du développement personnel, et ce n’est pas en tirant sur l’herbe qu’on la fait pousser. Quand je suis en veine, je m’adonne joyeusement à l’écoute, à tous ces trucs qui font que les personnes vont mieux après leur séance qu’avant, c’est une grâce d’être payé pour diffuser un peu de bienveillance dans le monde de l’entreprise. Quand le cœur n’y est pas, je plie mes gaules, tant pis, je baisse la flamme du bec Bunsen, et rien de tragique ne se produit. Je ne fais plus mon intéressant, à rechercher systématiquement un feu d’artifice de feedbacks, c’est très voluptueux de me laisser vivre.

Jusqu’à cet été, l’énergie que je dépensais à prendre sur moi la plainte des autres était démesurée. J’étais certes empathique, mais pas désintéressé puisque j’investissais toute relation d’une attente immense, impossible à satisfaire. Que je sois enthousiaste ou plombé, je ne suis jamais plus dans un état de conscience ordinaire. Intérieurement, je baigne dans un lac calme, un point fixe onirique qui se fout pas mal des aléas extérieurs. Mon métro a du retard ? C’est l’occasion de lire vingt pages de plus dans le roman qui me captive. Il est bondé ? Je plonge dans la vague humaine en méditant les yeux clos. Un client annule un rendez-vous à l’improviste ? Je file passer une heure en Haute Égypte au Louvre, et hop me voici projeté trois mille ans avant notre ère.

Ma vie est devenue un jeu de pistes, où le temps s’abolit constamment. Les polémiques qui m’ont tant passionné m’ennuient à présent, je mesure à cela le changement qui s’est produit en moi. Je n’ai plus envie de bâtir des choses savantes, ni de les détruire, c’est juste que je suis à côté de l’héroïsme intellectuel qui m’habitait il y a peu. Je ne suis plus prosélyte de rien, pas même de l’absence de prosélytisme. Désormais incapable de nommer le métier que j’exerce, je sais qu’il s’y passe quelque chose qui me dépasse et procure de beaux éveils de conscience. Le reste n’a pas grande importance, j’ai renoncé à une vie en majuscules. Je ne me suis pas détaché, au contraire, j’ai l’impression d’être plus « sharp », j’aime bien ce mot, comme une lame aiguisée. Moins de fioritures et de faux-semblants.

Hier c’était le 11 février, et j’ai expérimenté de dire non à une mission que je ne sentais pas, sans raison ni justification. Je peux écouter mon cœur, sans peur de manquer de clients, d’élèves. La vie est abondance quand on est aligné avec ses planètes intimes. Ce matin, j’ai reçu un appel téléphonique pour une mission passionnante, comme un boomerang mystère. Quand j’étais enfant, je voulais devenir médecin. Psychiatre ou pédiatre, pour soigner mes parents sans doute. Je suis devenu un peu les deux, sous couvert d’être sage-femme en embuscade dans l’entreprise. Aider les autres à accoucher d’eux-mêmes. À force d’humanisme obsessionnel, ne serais-je pas plutôt devenu misanthrope ?

Extrait de Je peux guérir, de Thierry Chavel, publié aux éditions FlammarionPour acheter ce livre, cliquez ici

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