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Et si la pire menace pour la France n’était pas qu’elle se "rétracte, se replie, se renferme" mais qu’elle se dilue, qu’elle se perde de vue et qu’elle renonce à elle-même
©Reuters

Renoncement

François Hollande donnait ce jeudi 8 septembre un discours sur la démocratie face au terrorisme. Il en a profité pour bifurquer sur l'identité nationale ; sans pour autant offrir une réponse satisfaisante au problème.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Ce jeudi 8 septembre, le président de la République a donné un discours aux allures d'entrée en campagne au colloque de "La démocratie contre le terrorisme". Il s'y est exprimé sur l'identité nationale, jugeant qu'"elle n’est pas figée dans le temps […], pas une contemplation du passé, pas une recherche obstinée des racines pour savoir jusqu’à quel point nous sommes français.” François Hollande met en avant le risque de repli, de renfermement sur soi. Fait-il la bonne analyse ? En matière d'identité nationale, la vraie question que se posent ceux auxquels il fait référence n'est-elle pas plutôt celle d'une certaine dilution des valeurs, voire des renoncements ?

Vincent Tournier : Ce discours sonne effectivement comme un discours de début de campagne. Il est donc intéressant de voir que la question de l’identité occupe une place très importante dans le positionnement de François Hollande, à la fois pour des raisons de tactique électorale, mais aussi parce que l’opinion attend désormais des réponses à des questions angoissantes : qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Comment va évoluer la société française ?

En même temps, ce sujet est à haut risque pour la gauche. François Hollande doit donc jouer habilement. Force est de reconnaître qu’il y réussit plutôt bien : si l’on s’en tient à un point de vue strictement rhétorique, son discours est assez bon. François Hollande réussit à aborder l’identité sans l’aborder vraiment, en utilisant des formules qui peuvent plaire à la gauche (notamment sur le caractère évolutif de l’identité, ou encore sur l’importance des grands principes républicains). Il réussit surtout à se présenter comme celui qui est en mesure de protéger les Français par ces temps difficiles (« je fais tout pour protéger les Français »), celui qui agit avec fermeté contre nos ennemis (l’islamisme, lequel est pour une fois nommé clairement), tout en sachant garder son « sang-froid », et sans tomber dans la « déraison » (sous-entendu : contrairement à ceux d’en face). En somme, il nous dit : je suis celui qui va vous permettre de franchir ce cap sans renoncer à nos principes, sans tomber dans les excès, donc sans perdre notre âme.

Le problème est qu’il ne dit pratiquement rien sur le contenu précis de cette âme. On comprend pourquoi : il s’agit de ne pas prendre de risque, voire de laisser aux adversaires le soin de surenchérir sur ce point. Du coup, François Hollande se contente de grandes généralités. Il ramène l’identité à des principes juridiques, à l’Etat de droit, ou encore à la laïcité. Non seulement il reste très général, mais il n’évite pas des contradictions. Par exemple, il soutient que la loi de 1905 est parfaitement adaptée pour intégrer l’islam. Il dit même : « rien dans la laïcité ne s’oppose à la pratique de l’islam en France pourvu – et ça, c’est le point essentiel – qu’il se conforme à la loi ». Le problème justement est qu’il a fallu modifier la loi à deux reprises, en 2004 avec la loi sur les signes religieux dans les écoles, et en 2010 avec la loi sur la dissimulation du visage dans l’espace public, ce qui montre que la loi de 1905 n’est pas vraiment adaptée. Or, si des adaptations ont été faites, pourquoi ne pas en faire d’autres ?

De même, dire que la laïcité se définit par la neutralité de l’Etat est manifestement en contradiction avec le fait que l’Etat soit aujourd’hui amené à intervenir directement pour réguler le culte musulman, que ce soit pour organiser au forceps une instance représentative, contrôler les financements ou surveiller les imams. Accessoirement, il est amusant de voir le président affirmer que l’identité n’est pas « une contemplation du passé », alors que lui-même fait de la loi de 1905 une référence absolue. Ne faut-il pas en déduire que la laïcité constitue un peu nos racines ? Mais si on creuse un peu, d’où vient la laïcité elle-même ?

Maxime Tandonnet : Sur le fond, il a raison. L'identité n'est pas figée. L'image de la France qu'ont les Français n'est plus la même que celle qui prévalait au début du XXe  c'est tellement évident, pour des raisons démographiques, économiques, culturelles. Il existe des constantes dans l'identité, la langue, l'espace, le fond littéraire et historique. Mais aussi des paramètres qui évoluent. L'esprit patriotique n'est pas le même qu'au début des années 1900. Le rapport avec le grand voisin allemand est par bonheur, infiniment différent de ce qu'il était à l'époque.  On ne peut que prendre acte de cette évolution, parfois la regretter, la montée de l'individualisme par exemple et parfois s'en féliciter comme la pacification de l'Europe. N'oublions pas le carnage de 1914-1918, toute une génération de jeunes gens détruite dans des conditions épouvantables. Plutôt que de regretter le passé, ne cessons jamais de penser à ce qu'était la condition d'un Français de 20 ans, il y a exactement un siècle, et de sa famille.  Cela dit il me semble que le discours du chef de l'Etat ne répond que partiellement aux interrogations et inquiétudes de l'opinion. Il existe une angoisse face aux aspects douloureux du monde moderne et son ouverture : perte de l'emploi, violence quotidienne, remise en cause du mode de vie. Et sur ces points, il ne semble pas apporter beaucoup de réponse, son discours étant axé sur les valeurs et les grands principes.

En caricaturant cette position, le Président ne prend-il pas également un risque ? Comment les électeurs à qui il s'adresse pourraient-ils réagir ? 

Vincent Tournier : Je ne suis pas sûr que François Hollande prenne un risque. Au contraire : il cherche à limiter les risques en misant sur une forme de légitimité par défaut. Son discours va évidemment hérisser une grande majorité des électeurs de droite, mais il peut toucher ceux qui ont le sentiment que la bataille au sein de la droite s’engage mal. Il ne faut pas négliger les réflexes légitimistes dans l’électorat, surtout dans un contexte comme celui que nous traversons. Quand on est inquiet et qu’on n’est pas convaincu par les rivaux, le choix le plus confortable est encore de reconduire celui qui est en place, même si on ne se fait pas beaucoup d’illusion. François Hollande mise certainement sur ce réflexe légitimiste, qui aura d’autant plus de chance de se produire que la primaire de la droite va voir fleurir des propositions plus ou moins radicales. Ce n’est pas un hasard si François Hollande fait ce discours juste avant le début des primaires de la droite. Cela lui permet de fixer une norme de référence : c’est maintenant par rapport à son positionnement que les candidats de droite vont être jugés. En somme, François Hollande dit aux Français : vous n’êtes certes pas enthousiasmés par ma candidature, mais au moins, vous savez à quoi vous en tenir, vous avez une base sûre pour aborder les défis qui nous attendent, tandis qu’avec les autres, ce sera pire.

Ce positionnement légitimiste peut avoir un certain impact à gauche. Avec ce discours, François Hollande cherche à trouver un dénominateur commun. Il envoie quelques messages ciblés, en particulier sur la protection sociale et les services publics, en précisant cependant qu’il compte les moderniser. Il parle aussi des minorités et des discriminations. Bref, il touche les deux grandes familles de la gauche : la gauche traditionnelle attachée à la redistribution des richesses et à la sécurité sociale, et la gauche libérale-libertaire qui entend promouvoir la diversité et responsabiliser les assurés sociaux. Ce n’est pas un hasard si le colloque dans lequel il s’est exprimé est organisé simultanément par la Fondation Jean Jaurès (qui représente plutôt la gauche traditionnelle, de type social-démocrate), et la fondation Terra Nova (qui incarne la nouvelle gauche libertaire et multiculturaliste).

Maxime Tandonnet :  Son discours semble s'adresser surtout à la France dite d'en haut, au monde médiatique, aux intellectuels, aux cadres dirigeants. Il paraît destiné à resouder sa majorité sur des grands principes et les valeurs. Il annonce une campagne électorale axée sur "les valeurs" contre ce que le parti socialiste appelle "le bloc réactionnaire".  Je ne pense pas qu'il ait vocation à convaincre les électeurs déja tentés par "le populisme" comme on dit. A cet égard, la hauteur prise par le discours risque en effet d'être interprétée comme de nature à aggraver la fracture entre les élites et une partie de la population qui se sent délaissée notamment par les politiques. Nous assistons huit mois à l'avance à une dangereuse polarisation de ce début d'année de campagne électorale. Une partie de la droite utilise des chiffons rouges censés attirer les électeurs, mais sans aucun intérêt de fait, je pense par exemple au "droit du sol", et une partie de la gauche s'éloigne du concret en  cultivant son discours sur les principes. Au milieu, que reste-t-il? Les Français et la France qui se sentent abandonnés par les politiques et perçoivent ces derniers comme étant avant tout au service de leurs ambitions.

Sans tomber dans ce que François Hollande dénonce, comment articuler un discours qui permettrait de mieux répondre à ceux qui ressentent l'angoisse d'une perte de ces valeurs ?

Vincent Tournier : C’est tout l’enjeu de la situation actuelle. Nous sommes manifestement dans un climat d’insécurité cultuelle, pour reprendre la formule du politologue Laurent Bouvet. Ce climat est le résultat de trois grands facteurs : une situation nouvelle (liée à l’immigration de masse de ces dernières décennies, mais aussi à la mondialisation et à l’Europe), d’une stratégie politique (celle de mouvements militants qui entendent redéfinir certaines valeurs, comme on l’a vu récemment avec le « camps décolonial » réservé aux « non-blancs ») et d’une absence de réponse claire de la part des pouvoirs publics, lesquels préfèrent ne pas intervenir sur certains sujets, craignant soit les tribunaux, soit les médias, soit tout simplement leurs électeurs.

L’insécurité culturelle concerne prioritairement les électeurs de droite, mais elle n’épargne pas les électeurs de gauche, notamment dans les milieux populaires. Or, les partis de gauche ont plus de difficulté à répondre à ces inquiétudes, d’autant plus qu’ils se sont embourgeoisés.  C’est pourquoi le discours de François Hollande est pétri de contradictions lorsqu’il s’agit de traiter d’identité. Il cherche des éléments de définition relativement « neutres », ce qui le conduit souvent à force le trait. Par exemple, il explique que la Constitution est un « texte sacré », alors que lui-même était prêt à la réviser au printemps dernier. De même, il insiste sur le respect de l’Etat de droit, lequel devient désormais le nouveau leitmotiv de la gauche, alors que la République n’a jamais eu la réputation d’être très à cheval sur l’Etat de droit, au point que la France a souvent été dénoncée comme un mauvais élève en raison de sa justice inquisitoire, le manque d’indépendance des magistrats, le statut particulier du juge d’instruction, sa juridiction anti-terroriste, et même ses lois sur la laïcité, qui font généralement bondir les authentiques partisans de l’Etat de droit.


Par ailleurs, cette insistante sur l’Etat de droit crée un problème. Aujourd’hui, c’est justement sur le terrain de l’Etat de droit que certains mouvements islamistes entendent se situer pour avancer leurs pions. On l’a vu avec la polémique sur le burkini, qui n’a fait que rejouer la polémique sur la burqa ou celle sur le voile à l’école. A chaque fois, les arguments sont les mêmes : on met en avant le droit de chacun de pratiquer sa religion, le droit de la femme de se vêtir comme elle l’entend, le respect du droit, la neutralité de l’Etat, etc. Si on se contente de dire que l’identité française consiste seulement à défendre les droits et les libertés, alors la bataille contre l’islamisme sera très difficile.

Dans le contexte actuel, cette conception restrictive de l’identité est donc risquée. C’est aussi une stratégie hémiplégique, qui ne veut pas voir que la France n’est pas seulement attaquée parce qu’elle est un Etat de droit. Que visaient les islamistes qui ont assassiné un prêtre dans son église ? Les attaques du 13 novembre visaient-elles la liberté ou un certain art de vivre ? François Hollande admet d’ailleurs dans son discours que les islamistes en veulent à notre « mode de vie ». Mais quelle est justement la nature de ce mode de vie ? La société française se définit-elle seulement par un ensemble de règles juridiques.

Maxime Tandonnet : C'est bien là tout l'enjeu des mois à venir. C'est à la fois le plus simple et le plus difficile. Trouver le bon ton pour s'adresser aux Français sans démagogie ni fuite dans l'abstraction. Le premier est de parler un langage de vérité, sur le chômage, la violence, les déchirements de la société. Il faut dire aux Français ce que l'on peut faire concrètement, les résultats espérés et ce qui n'est pas envisageable. L'idée de faire de la sortie de l'Union européenne une priorité est à la fois irréaliste, dangereux, déconnecté des difficultés du quotidien. Même les Britanniques ne savent plus où ils en sont après leur référendum. Pourquoi ne pas le dire simplement? Le second est de sortir de la logique narcissique et carriériste d'une partie de la classe politique et de la personnalisation excessive du pouvoir. Nul n'est irremplaçable et les hommes ou femmes providentiels n'existent plus. La politique doit être au service de la cité et non de carrières politiciennes. Pourquoi ne se trouve-t-il pas un seul responsable politique pour le rappeler? Enfin, il faut à mes yeux revenir à une politique pragmatique. Bien sûr il est infiniment plus difficile de relever les défis du réel que de se lancer dans les grands principes ou les chiffons rouges. Quelles réformes pour l'école, pour la baisse des prélèvements obligatoires et la liberté d'entreprise, pour lutter contre le chômage des jeunes, pour la sécurité des français face au terrorisme et à la violence ou aux injustices quotidiennes? Je pense que les politiques sont avant tout attendus sur ces points.

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