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La communication, réponse aux aspirations profonde de l'humanité, désormais devenue trop technique ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Spécialiste reconnu de la communication, Dominique Wolton explique ses choix et ses engagements actuels. Lors de la montée en puissance des chaînes "tout info" et d’Internet, il est l’un des premiers à porter un regard critique sur ces innovations qui fascinent médias, décideurs et intellectuels. Il élargit sa problématique à la communication politique, puis aux grands enjeux de l’Europe, de la mondialisation, de la Francophonie et de la diversité culturelle. Extrait de "Communiquer c'est vivre", Entretiens de Dominique Wolton avec Arnaud Benedetti, aux éditions du Cherche Midi 1/2

Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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A. B. : La communication est un concept au même titre que l’égalité ou la liberté… 

D. W.: La communication correspond à des aspirations profondes de l’homme : l’égalité, la liberté, la fraternité… S’interroger comme on le fait là en ce moment sur la communication, c’est renouer avec cette question cruciale, celle de la guerre et de la paix, qui traverse toute l’histoire : à quelle condition partager, négocier, cohabiter avec l’autre ?

A. B. : Justement, ne vivons-nous pas l’un de ces moments où l’histoire redémarre, contre l’illusion, portée entre autres par la technique, du dépassement des conflits ou de ce que Fukuyama a appelé après la chute du mur de Berlin «la fin de l’histoire»?

D. W.: Il existe d’autres facteurs qui ont milité pour cette idée de la fin de l’histoire, mais la technique a indéniablement favorisé cette illusion d’optique accréditant la thèse selon laquelle désormais, la communication serait plus facile et créatrice d’une meilleure compréhension entre les gens, les peuples, les cultures. La technique a été investie de l’idéal politique au terme d’un chassé-croisé avec le politique. Celui s’effondrant dans la fin du conflit EstOuest, c’est la technique qui est devenue le nouvel idéal. La technique a remplacé la politique, ou plus exactement, est devenue le projet politique… Les tuyaux condensent et symbolisent l’idéal politique. C’est la raison pour laquelle je milite pour «détechniciser la communication». Toute mon hypothèse vise à expliquer que le concept de communication – à dimension d’abord anthropologique – précède amplement la réalité technique. La prise en compte de cette antériorité est fondamentale.

A. B. : Mais Internet, c’est un peu la technologie qui tombe à point nommé puisque son avènement correspond au triomphe du marché-monde et de l’individu consommateur qui succède à l’effondrement des grandes utopies collectives… C’est dans l’histoire des techniques de diffusion le seul dispositif qui autorise un usage personnel, à sa main, qui le différencie de la télévision à ses débuts qui, elle, implique une forme de passivité de la part des téléspectateurs.

D. W. : Non, tu n’as aucune passivité avec la télé- vision mais tu es contraint. Avec Internet, il n’existe pas de contraintes – ou tout au moins, il y a un sentiment d’absence de contraintes – car les concentrations politiques et financières réintroduisent des limites souvent considé- rables. Mais Internet est, contrairement aux médias, et peut-être parce qu’il vient après, investi de toutes les utopies politiques. Il devient la fusion de la technique et de la politique. La technologie est investie d’une vertu thaumaturgique: elle guérit, elle résorbe, elle apaise les conflits et elle unifie, notamment les légitimités qui structurent le monde et la relation au monde. Mais cet apaisement est doublement un leurre puisqu’il n’efface d’abord en rien le poids des cultures, des histoires, des altérités, lesquelles sont autant sources de richesses que de conflits.

A. B. : Pour en revenir à cette affaire des trois légitimités qui n’est pas sans rappeler le modèle trifonctionnel de Dumézil, ne penses-tu pas que dans cette confrontation entre le chercheur, le décideur et le journaliste, ce dernier soit en passe de l’emporter symboliquement sur les deux autres, c’est-à-dire sur le savant et le politique ?

D. W.: Avec le risque d’y perdre son âme. Le journaliste n’est plus l’expression de l’opinion publique parce que les sondages, entre autres, ont battu en brèche cette fonction qui lui était consciemment ou inconsciemment assignée. En outre, il a perdu sa responsabilité en ne se distinguant pas assez de l’information qui circule sur les réseaux. Enfin, l’élite journalistique s’est trop rapprochée du reste des élites. Le journaliste se banalise et se peopolise. Il n’est plus porteur de sa légitimité. Par ailleurs, les journalistes, comme les hommes politiques, oublient trop qu’ils vivent sous le regard de plus en plus critique du récepteur. Si le citoyen n’a plus confiance dans le journaliste, celui-ci perd sa crédibilité. La crise des légitimités, c’est une crise de confiance et la confiance constitue d’abord un concept qualitatif. Les journalistes qui argumentent à longueur de colonnes sur la crise du politique occultent qu’ils sont euxmêmes l’objet d’une crise qu’Internet et les réseaux sociaux viennent accroître, sans que cela ne se voie…

A. B. : Mais comment peuvent-ils résister à la puissance technique d’un tel outil ?

D. W.: Les journalistes ont renoncé ! Ils n’ont pas voulu ou pu maintenir les rapports de force. Au lieu de dire «Tout est possible avec la technique, mais la véracité de l’information c’est nous qui la labellisons », ils ont fait sauter le verrou au nom de la liberté d’information. Or, ils pouvaient maintenir ce verrou en maintenant une conception plus rare, contrôlée, de l’information-presse par rapport à tous les autres types d’information. Autrement dit, il fallait distinguer le volume d’informations de la réalité journalistique, c’est-à-dire de la réalité du métier et de son fonctionnement. Je prends une comparaison: il existe bien une spéculation sur l’art. Mais l’art réel reste encore contrôlé par les professionnels. Certes, on ne peut pas empêcher la spéculation artistique, mais les créateurs peuvent se tenir à distance. Même chose pour l’information. Certes, on ne peut pas empêcher l’explosion de l’information mais on peut néanmoins préserver les principes de validation de l’information-presse…

A. B. : Mais c’est ce qu’ils font, en usant parfois de procédés qui s’apparentent plus à de la censure au demeurant qu’à de la validation !

D. W.: Certes, mais ils veulent faire cela avec les mêmes outils, avec la même logique que celle des réseaux. Tout le monde est alors piégé par les propriétés de ces derniers : la vitesse, la concurrence, les rumeurs, l’explosion informationnelle, la déformation des contenus, etc.

A. B. : Oui, mais le problème est que la concurrence est d’ordre technique!

D. W.: Elle est plutôt d’abord économique! Le temps du journaliste coûte cher quand le temps des sites d’information fait baisser les coûts. Le modèle économique de ces derniers n’est pas stabilisé, les «pure players» cherchent à se frayer un chemin. D’une manière générale, les professionnels de l’information se heurtent à un moment donné à un choix: ou bien ils restent dans la concurrence de la vitesse et ils sont prisonniers du modèle dominant, ou ils en sortent, réintroduisent la problématique du temps et ils retrouvent alors la vieille question de l’information à ses débuts, celle où l’enjeu n’est pas la «news» en soi, ni le direct, mais la réflexion sur l’une et sur l’autre. Et surtout la distinction essentielle à maintenir est l’information labellisée par les journalistes par rapport à tous les autres types d’information qui envahissent la réalité.

Extrait de "Communiquer c'est vivre", de Dominique Wolton, aux éditions du Cherche Midi, septembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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