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G20 des canards boiteux ? Quand une brochette de chefs d'Etat en bout de course tentent d'étouffer les conflits bien partis pour embraser la planète
©Torange

Réunion au sommet

Si la Chine souhaite limiter les échanges aux questions économiques, les circonstances internationales (refroidissement des relations entre la Turquie et les Etats-Unis, reconfiguration des rapports de force en Syrie, tensions grandissantes en mer de Chine) feront du G20 de Hangzhou un sommet éminemment géopolitique.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico : Ces 4 et 5 septembre, les enjeux géopolitiques seront au centre des discussions du sommet du G20 à Hangzhou en Chine. Malgré la volonté de Pékin de limiter les échanges aux questions économiques, il semblerait que les tensions actuelles entre Pékin, Moscou, et Washington, ne pourront être évitées. Quelles sont les perspectives de cette rencontre dans le climat actuel entre les grandes capitales ?

François Géré : Bien entendu Pékin entend donner un grand éclat à cette réunion de prestige. Cependant depuis plusieurs années l’intérêt de ce type de rencontre tend à diminuer. Plus que l’agenda officiel, ce sont les discussions parallèles liées aux problèmes immédiats qui présentent un réel intérêt. De fait, les problèmes techniques importants ont été traités le mois précédent lors de la réunion à Chengdu des ministres des Finances : les conséquences du Brexit sur l’économie mondiale ainsi que l’adoption de mesures de transparence pour répondre aux préoccupations issues de la publication des "Panama papers".

Par ailleurs, ce sera un sommet de "canards boiteux". Obama est en fin de mandat. Hollande, Merkel et Renzi sont proches d’élections qui s’annoncent difficiles. Après le départ de M. Cameron, les relations avec le Royaume-Uni se sont nettement refroidies. Quant au Brésil, sous le coup de la destitution de Dilma Roussef, il ne sera représenté que par un président intérimaire. La réunion va donc se concentrer sur les grands principes : les dossiers climatiques avec la récente ratification par la Chine de la COP 21, le "développement vert", les efforts pour réduire le protectionnisme masqué et l’harmonisation du cours des grandes devises.

Barthélémy Courmont : Comme c’est généralement – et c’est d’ailleurs dommage – le cas des sommets du G20, ce sont les questions économiques et commerciales qui vont dominer les échanges à Hangzhou. Ce n’est pas tant là un choix de la Chine qu’une pratique propre à ces rendez-vous. Les discussions vont ainsi essentiellement s’articuler autour de la croissance mondiale, des conséquences du Brexit, ou encore des zones de libre-échange (et en particulier le traité transpacifique mis en place par les Etats-Unis, et dont la Chine ne fait pas partie). Il est cependant indiscutable que les questions sécuritaires seront, au moins de manière non-officielle, au centre des débats. Cela s’explique par les développements militaires importants en Asie orientale, la permanence de la menace nucléaire nord-coréenne, la montée en puissance de discours nationalistes et, de manière très forte depuis quelques années, le réveil des différends territoriaux et maritimes. Ajoutons le changement récent de présidence à Taiwan avec l’arrivée au pouvoir de Tsai Ing-wen, et aux Philippines avec l’élection de Duterte. Sur ces différents sujets, la Chine est un acteur central, et les Etats-Unis sont présents par le biais de leurs alliés dans la région. La rencontre entre les dirigeants chinois et américains, en pleine période électorale aux Etats-Unis, impose donc forcément à l’agenda de ce G20 une dimension sécuritaire.

Ainsi, plus spécifiquement, la militarisation et l'affirmation de la puissance chinoise en mer de Chine feraient partie des trois dossiers à aborder en priorité pour Washington. Comment a évolué la position de la Chine à ce sujet ? Quelles seront les pressions exercées sur Pékin ? Avec quelles retombées ?

François Géré : Récemment la Cour International de justice a débouté la Chine de ses prétentions sur la redéfinition des eaux territoriales dans les mers de Chine. Pékin ne se sent pas lié par cette décision et entend continuer l’occupation des zones contestées. Washington n’entend pas relâcher sa pression navale pour réduire l’expansion chinoise mais personne n’a, pour le moment l’intention de provoquer une crise majeure. De même les Etats-Unis constatent avec irritation la montée en puissance militaire chinoise sans vouloir prendre de mesures de rétorsion. Les relations économiques et financières sont toujours les plus importantes.

Barthélémy Courmont : Washington s’inquiète, avec ses alliés dans la région (Japon et Philippines en particulier) de la montée en puissance navale de la Chine, et de l’affirmation de puissance de Pékin, qui revendique des îlots en mer de Chine orientale (Diayu, Senkaku en japonais) et en mer de Chine du sud (Spratleys et Paracels) et a déjà militarisé plusieurs de ces îlots. La récente décision de la Cour d’arbitrage de La Haye dans le différend avec Manille, qui donne tort à Pékin, continue d’être critiquée par les responsables chinois, et le Secrétaire d’Etat américain John Kerry a cherché à apaiser les tensions, tout en rappelant que cette décision devait être respectée. La Chine cherche actuellement à se positionner en victime sur ces différends, et met en avant les postures nationalistes du cabinet Abe au Japon, et les dérives populistes de Duterte aux Philippines, y opposant un pragmatisme autoproclamé. Reste que les pressions exercées sur la Chine ne peuvent venir que de Washington pour avoir une consistance, et le calendrier électoral américain ne plaide pas en faveur d’une posture forte de la part des Etats-Unis. Il faudra donc attendre la composition d’un nouvel exécutif américain, après janvier 2017, pour voir comment la relation stratégique Chine – Etats-Unis est susceptible d’évoluer.

Par ailleurs, en marge du G20, Barack Obama et Recep Tayyip Erdogan se rencontreront. Quelles avancées peut-on attendre de cette entrevue alors que les relations turco-américaines se sont refroidies depuis le durcissement du régime turc suite au putsch manqué du 14 juillet et davantage encore depuis le lancement de l'opération turque Bouclier de l'Euphrate en Syrie ?

François Géré : L’administration américaine est dans l’embarras. Elle a condamné la tentative de putsch mais s’est inquiétée de l’ampleur de la répression et n’entend pas expulser M. Gülen tenu par Ankara pour l’instigateur du putsch. En Syrie, elle reconnait le droit d’Ankara de protéger ses frontières mais se dit gravement préoccupée par l’intervention militaire turque contre les milices de protection populaire kurdes, notamment celles encadrées par les forces spéciales américaines. Par ailleurs Washington ne souhaite pas favoriser indirectement le rapprochement déjà entamé entre le gouvernement turc la Russie et l’Iran. La question kurde est considérée comme vitale par la Turquie et l’opération Bouclier de l’Euphrate devrait se poursuivre malgré tout. Ce problème constituera une cause de discorde grave et durable entre les deux gouvernements. Obama n’a pas le pouvoir de prendre des décisions graves sur ce dossier. Ce sera la tâche d’Hillary Clinton, si elle est élue.

Si les deux pays sont en froid, ils demeurent alliés au sein de l'Otan et dans la lutte contre l'Etat Islamique. Sur le front syrien, quels compromis pourraient être faits de part et d'autre ?

François Géré : Le président Erdogan depuis plusieurs années cherche à jouer sur les deux tableaux : développer une diplomatie indépendante tout en restant au sein de l’Alliance atlantique et y exerçant parfois un rôle de blocage. Néanmoins il a accepté que la grande base d’Incirlic soit utilisée par les Etats-Unis et leurs alliés pour les opérations de bombardement contre Daesh. De plus, c’est sur cette base que sont entreposées une dizaine d’armes nucléaires américaines affectées à l’OTAN. L’administration Obama, après le putsch, a été tentée de les retirer mais a reporté cette décision pour ne pas rompre ce lien qui reste très fort. Erdogan joue de cette ambiguité. Cependant c’est une partie risquée car les relations avec la Russie et l’Iran restent fragiles. Le président turc pourrait donc perdre sur les deux tableaux et se retrouver isolé.

Quelle image la Chine espère-t-elle promouvoir en assurant la présidence de ce sommet ? Les circonstances internationales et régionales ne risquent-elles pas de contrecarrer ses ambitions ? 

François Géré : Pékin s’efforcera de se présenter en Etat stable et responsable dont dépend la santé de l’économie mondiale et celle de la planète. Ce sera l’occasion d’affirmer face à des Etats démocratiques affaiblis qu’elle est en mesure de déterminer le rythme des transformations en liaison avec le partenaire russe et même avec l’Inde de M. Modi. Etrange G 20 où l’Asie joue momentanément un rôle prépondérant en dépit de ses divisions.

Barthélémy Courmont : L’image de la Chine est essentielle pour les dirigeants chinois. Ce G20 doit permettre à Pékin de faire la démonstration du rôle central de la Chine dans son environnement régional, mais aussi de sa capacité à prendre des initiatives fortes sur la scène internationale. En ratifiant la Cop21, Pékin a clairement indiqué son souhait de s’engager avec force sur le réchauffement climatique et ses effets. Et fait dans le même temps pression sur l’autre grand pollueur : les Etats-Unis. De même, la création de la banque asiatique d’investissements dans les infrastructures, la multiplication des aides aux pays en développement, les implications de Pékin sur l’accord nucléaire avec l’Iran ou encore le poids grandissant de la Chine au Moyen-Orient traduisent une volonté d’affirmation de superpuissance qui contraste avec le non-engagement de Pékin sur les grands dossiers depuis des décennies. L’organisation d’un sommet international comme celui du G20 s’inscrit par ailleurs dans la continuité des grands rendez-vous internationaux de Pékin, Shanghai ou Canton au cours des dernières années, et à l’occasion desquels la Chine a fait étalage de sa puissance. Dans ce contexte, les défis régionaux auxquels est confrontée la Chine apparaissent plus que jamais comme les principaux obstacles à cette affirmation de puissance. Les voisins de Pékin sont ainsi en première ligne des sceptiques quant aux intentions chinoises, et ce n’est qu’en renforçant un climat de confiance dans son environnement régional que la Chine parviendra à s’affirmer et à affirmer une image soignée.

Propos recueillis par Emilia Capitaine 

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