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Valse des noms d'oiseau à la primaire : mais au fait, les électeurs de droite sont-ils aussi à cran que leurs chefs ?
©Reuters

Guerre des chefs

Après un week-end du 27-28 août particulièrement tendu, la primaire de la droite semble de plus en plus difficile à concilier avec une famille unie. Et ce, également au sein de l'électorat de droite, qui pourrait bien porter certains candidats vers la dissidence.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Ce week-end a été le théâtre d'un climat particulièrement tendu entre les candidats à la primaire de la droite. Entre attaques personnelles et divergences idéologiques. L'intensité des fractures qui opposent les candidats scindent-elles également l'électorat de droite à un degré équivalent ? Faut il parler de camps ?

Jean Petaux : Une des conséquences possibles de ces attaques désormais publiques et au grand jour (il suffit de discuter avec les différents supporters des candidats à la primaire voire avec les candidats eux-mêmes pour ne rien ignorer du degré de détestation réciproque qu’ils se vouent les uns les autres) c’est qu’elles "déverrouillent" en quelque sorte un tabou fondateur : "on ne lave pas le linge sale de la famille sur la place publique". Désormais chaque militant, chaque sympathisant peut se sentir légitime (puisque certains "chefs" le font) à tirer à bout portant sur tel ou tel autre candidat. La détérioration du climat à laquelle on a assisté à droite ce week-end de rentrée peut inaugurer une forte période de turbulences pour la droite et le centre à partir de maintenant jusqu’au 27 novembre… L’ennui dans ce genre de situation c’est que l’on sait dans quel état on rentre dans le "cumulo-nimbus" porteur d’orages et de tourbillons politiques, mais on ne sait jamais dans quel état on en ressort… Si on en ressort entier ! Evidemment qu’il faut parler de camps désormais, d’écuries ou de "clubs de supporters" mais c’est le propre de la logique des primaires. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis les partis sont devenus des "machines électorales" uniquement destinées à faire élire des candidats après une lutte quasi-impitoyable entre les différentes factions qui les composent avec souvent davantage de différences entre telle ou telle écurie républicaine ou démocrate qu’entre un candidat républicain et un candidat démocrate. Les sympathisants et surtout les militants au sein des équipes vont avoir tendance de plus en plus à ne pas retenir leurs coups et il faudra beaucoup de sang-froid au vainqueur et aux vaincus pour ramener le calme dans les rangs, à partir du 27 novembre au soir… Le seul souci c’est de savoir si tous les vaincus y seront disposés et surtout si le vainqueur saura faire le nécessaire pour rallier à sa cause et au combat qui sera le sien, toutes les branches de la famille.

D'un point de vue électoral, si un candidat faisait le choix de la dissidence , en décidant de ne pas respecter le vote de la primaire et de se présenter tout de même à l'élection, voire de soutenir un autre candidat que le vainqueur, dans quelle mesure les électeurs seraient ils susceptibles de le suivre ?

Tout dépendra des résultats au soir du premier tour, le 20 novembre ; de l’état des négociations de "ralliement" à chacun des deux finalistes entre les deux tours et surtout de l’écart qui existera entre les deux candidats au soir du 27 novembre. Si les choses se passent mal dès le premier tour avec des soupçons de bourrage d’urnes, de "manipulation" des résultats, ou si l’écart entre les candidats est réduit, il y a fort à parier que le navire va tanguer sérieusement. Si, entre les deux tours, les "marchandages" sont trop ouvertement affichés, si les alliances se font "contre nature", s’il apparait que pour obtenir tel ou tel soutien d’un ou de candidats éliminés au premier tour, l’un des deux finalistes s’est livré à des pressions plus ou moins "honnêtes" ou "brutales", alors l’autre, la "victime", le "cocu" de l’affaire prendra ses supporters à témoin d’abord et ensuite l’opinion publique pour s’estimer trahi et donc délié de son "serment" de non-candidature en cas de défaite… Et dans cette hypothèse une partie des électeurs de la primaire qui se seront déplacés, qui auront joué le jeu et qui auront le sentiment, eux aussi, d’avoir été floués, voteront pour le "dissident". Même si cela ne représente que 5 à 7% de la totalité des suffrages exprimés, ce sera suffisant pour faire que le vainqueur de la primaire, avec un tel déficit, soit éliminé au soir du 1er tour de la présidentielle et devienne un "Jospin de droite"…

Le cessez-le-feu est programmé pour la fin de la primaire, le 27 novembre. En pratique, quels sont les scénarios de "dissidence" envisageables pour les différents candidats actuels ?

Ils sont nombreux parce qu’en politique la surprise n’est jamais impossible. Si Nicolas Sarkozy est élu après une campagne des primaires violente et jalonnée de coups bas et/ou tordus, et s’il est "rattrapé" par l’une de ses "mises en examen", ce fait nouveau, absent de la primaire peut être un élément soudain et fortuit, survenant en février 2017 par exemple qui peut amener un de ses concurrents (voire plusieurs) à se présenter sur une thématique de campagne du genre "moi au moins je suis propre"… S’il apparait que des fraudes ont eu lieu (même si elles sont rendues publiques en janvier 2017), en imaginant un scénario exactement semblable au roman de politique-fiction d’Edouard Philippe et Gilles Boyer, les deux principaux conseillers politiques d’Alain Juppé, "Dans l’Ombre", publié en 2011, alors là aussi la situation deviendra incontrôlable et des candidats dissidents s’estimeront, moralement et politiquement, légitimes à se présenter. Troisième scénario : une évolution dramatique de la situation de la France avec une multiplication des attentats et une stratégie de la tension telle qu’un candidat modéré et mesuré comme Alain Juppé, en imaginant qu’il gagne la primaire de la droite et du centre, apparaitra pour une partie de l’électorat de droite trop "laxiste" et pas assez dur pour gagner face à une Marine Le Pen qui surfera sur cette vague très réactionnaire et anti-musulmane par exemple. Alors un candidat de la droite, éventuellement même candidat à la primaire, mais battu, pourra avoir l’intention, l’envie et les encouragements nécessaires, de replonger dans la mêlée, comme une sorte de dernier rempart contre la victoire du FN… Tout cela est question de circonstances. Mais celles-ci auront d’autant plus d’influence et d’impact, elles seront d’autant plus déterminantes dans les choix des uns et des autres que le climat politique aura été ou non pourri pendant la campagne de la primaire de la droite et du centre. Primaire qui n’est pas, encore une fois, dans la culture des militants et des sympathisants de droite. Autrement dit primaire qui peut autant fonctionner comme une machine à distiller la haine et le ressentiment, comme une machine à produire du sel qui sera déversé par cuillères entières sur des plaies profondes plutôt que d’être une machine à gagner et à créer une dynamique victorieuse pour celui qui l’aura emporté. Lequel devra d’ailleurs se montrer magnanime à l’égard de ses rivaux et de leurs supporters de sorte que ces "concurrents" accepteront sans trop renâcler, de redevenir des "compagnons". A la vitesse où le train de la primaire est parti, il y a fort à parier qu’il ressemblera plus dans quelques semaines au "Dernier Train pour Busan", remarquable film coréen de zombies actuellement sur les écrans, qu’au petit train du " Manège enchanté" qui faisait les délices des enfants quand il n’y avait que trois chaines de télévision en France…

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