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Recours aux armes chimiques par le gouvernement syrien et l’Etat Islamique : comment l’inaction d’Obama pourrait préparer le terrain à une opération par Hillary Clinton en 2017
©Reuters

Effet d'annonce

Sur une série de neuf attaques menées en un an dans sept régions de la Syrie, deux ont été réalisées à l'aide d'armes chimiques par les forces pro-gouvernementales et une troisième par l'EI. C'est ce que révèle un rapport de l'Onu qui a provoqué une réaction immédiate des Etats-Unis. Une déclaration qui, très vraisemblablement encore, ne sera suivie d'aucune action concrète sur le terrain.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Dans un récent rapport publié par l'Onu après une année d'enquête, le régime syrien et l'EI sont tous deux accusés d'avoir utilisé des armes chimiques au cours de certaines attaques. Suite aux conclusions de ce document, les Etats-Unis ont appelé à une "réponse ferme et rapide". En l'état, comment pourrait se concrétiser cette "réponse ferme et rapide" ? Quels seraient les intérêts d'un changement stratégique en Syrie pour les Etats-Unis ? 

Alain RodierPersonnellement, je doute que le président Barack Obama puisse concrétiser cette "réponse ferme et rapide" par une action militaire unilatérale des États-Unis. A cela plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agirait d’une violation des lois internationales si le Conseil de sécurité des Nations Unies ne votait pas une intervention militaire. Il ne semble pas que Moscou soit disposé à aller dans ce sens. Quant à la Chine, je ne vois pas pourquoi Pékin ferait ce "cadeau" à Washington alors que les relations entre les deux États sont aujourd’hui assez tendues. La Chine et la Russie ont un souvenir cuisant de leur abstention lors du vote de la résolution 1973 ayant permis les bombardements en Libye pour "protéger les populations civiles". A savoir, que le mandat donné avait largement dépassé cette prérogative et était allé jusqu’à renverser le colonel Kadhafi. Ils ne sont donc pas disposés à renouveler l’expérience. Cela dit, les États-Unis ne s’intéressent pas à la légalité internationale quand elle les concerne mais ils sont très regardants pour les autres. C’est le privilège de la première puissance mondiale. Deuxième point, les États-Unis sont en pleine année électorale, ce qui théoriquement gèle la politique étrangère jusqu’à l’arrivée d’un nouveau président (ou présidente).

Quant au "changement stratégique" des États-Unis en Syrie, je pense que cela n’est pas possible. Il y a trop d’acteurs et d’intérêts différents. Ne pas oublier que le président Obama souhaitait recentrer sa politique étrangère sur le Pacifique. Il tient pour l’instant à préserver un statu quo. La seule chose sur laquelle Washington ne transigera pas, c’est la sécurité d’Israël.

Ce discours n'est pas sans rappeler celui d'Obama au cours de l'été 2013, après que le régime syrien ait franchi ce qu'il appelait alors la "ligne rouge", suite à l'utilisation d'armes chimiques par le régime syrien à l'est de Damas, qui avait causé la mort de centaines de personnes. La situation actuelle est-elle la même que celle évoquée dans la question ? Y-a-t-il une différence entre la récente déclaration américaine et celle faite par Obama il y a trois ans ? 

Tout d’abord, l’emploi d’armes chimique le 21 août 2016 dans le quartier de la Ghouta à l’est de Damas reste aujourd’hui controversé. Les points de vue des experts divergent quant aux commanditaires de ces massacres, même si la majorité d’entre eux penche pour la responsabilité -peut-être indirecte (1)- de Bachar el-Assad. Même les estimations du nombre de victimes varient de 322 à 1 729 morts. Ces deux chiffres étonnement précis mais totalement différents montrent tout de même que le nombre de tués se comptait en plusieurs centaines. Aujourd’hui, les victimes ne seraient que quelques dizaines mais là, l’Onu a nommément désigné les responsables. Deux fois le régime, une fois Daech et pour le reste, il n’y a pas suffisamment de preuves... La situation est donc différente même si ces actions sont totalement condamnables au regard des lois de la guerre et de la justice internationale.

En ce qui concerne l’affaire de la Ghouta, le président Obama a déclaré le 20 août 2012 : "Le moindre mouvement ou emploi d'armes chimiques" en Syrie entraînerait "d'énormes conséquences" et constituerait une "ligne rouge". Il avait aussi annoncé que "toute une série de plans d'urgence" était prête. Cette position était approuvée deux jours plus tard par le Premier ministre britannique, David Cameron. Dans la foulée, le 27 août, le Président François Hollande affirmait que l'usage d'armes chimiques par Damas serait une "cause légitime d'intervention directe" de la communauté internationale. On a vu ce qu’il en a été.

Pour la petite histoire, le journal le Monde en date du 25 août révèle que la participation de la France devait se limiter au tir de cinq missiles de croisière Scalp par des appareils basés à Djibouti et à Abou Dhabi (2). Sur le plan purement stratégique, ce n’est pas cela qui aurait pu mettre en péril le régime de Damas.

Mais, en ce qui concerne la politique internationale, c’était tout simplement illégal. En Libye en 2011, même si la France a dépassé ses prérogatives qui lui avaient été données par l’Onu, il y avait tout de même un mandat ! On en connaît les conséquences même si Kadhafi était un dictateur particulièrement antipathique. Il est vrai qu’il y a peu de dictateurs sympathiques. Il y en a juste qui sont fréquentables…

(1) Un haut responsable militaire, peut-être même Maher el-Assad, le propre frère du président, aurait pris cette initiative pour des raisons d’ambitions personnelles.

(2) Avec l’étonnante diffusion d’une note classée "confidentiel défense". Par le passé, cela a coûté un procès à ceux qui ont laisser fuiter ce genre de documents classifiés. Et la présidente (PS) de la commission de la Défense à l’Assemblée d’affirmer : "Lancer une polémique là-dessus me paraît absurde […]. A la limite, si ce document était sorti avant que l'opération soit lancée, je pourrais comprendre. Mais là...". C’est le "à la limite […] je pourrais comprendre" qui est scandaleux pour une responsable politique théoriquement au fait des affaires de défense…

L'inaction qui avait suivi les déclarations d'Obama a discrédité le président américain, notamment sur la scène internationale. Quelles seraient les conséquences, cette fois-ci, d'une absence d'action suite à l'annonce américaine d'une "réponse ferme et rapide" ? L'élection américaine pourrait-elle en être impactée ?

Comme je le disais précédemment, la marge de manœuvre du président Obama est étroite car c’est son successeur qui va hériter de la situation et de ses conséquences. Toutefois, il y a une hypothèse qui circule. Il est convaincu que c’est Hillary Clinton qui va obtenir l’investiture suprême (1). Il sait que cette dernière va être beaucoup plus ferme que lui en matière de politique étrangère car elle appartient au camp des néoconservateurs qui, contrairement à ce que croit le public, sont aussi très présents dans le camp des Démocrates. Il lui prépare donc peut-être la tâche de manière à ce que les orientations américaines n’aient pas à effectuer un virage trop serré en 2017(2).

Maintenant, quels sont les choix qui s’offrent à lui à court ou moyen terme en Syrie ?

- La frappe unilatérale semble difficile à réaliser car les Russes sont présents sur zone ; il faudrait leur aval sinon l’aviation américaine risque de subir des pertes et les suites seraient imprévisibles ;

- Une frappe acceptée par l’ONU est impossible car Moscou et Pékin voteront contre.

- Il reste l’emploi des forces sur le terrain. Les lignes sont en train de bouger considérablement. A savoir, que les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) dans lesquelles Washington plaçait beaucoup d’espoirs car leur composante principale, les Kurdes syriens, était très combative, semble actuellement ne plus avoir le vent en poupe pour l’instant. En effet, Ankara est parvenu à infléchir la stratégie de Washington pour éviter la création d’un Kurdistan indépendant le long de sa frontière avec la Syrie. Dans ce pays, des groupes de rebelles sont désormais appuyés directement au sol par des forces turques, certes pour le moment en quantité symbolique, et par l’aviation américaine, particulièrement lors de la prise de Jarablus le 24 août. Et pourtant, Ankara communique avec Moscou qui soutient le régime de Damas… La leçon à en tirer, c’est que le président Obama cède au président Erdoğan qui menace de se rapprocher de Poutine malgré tout ce qui les sépare. Mais rien n’est définitif et tout peut être revu demain au gré des évènements. Les seuls qui l’ont mauvaise aujourd’hui, ce sont les Kurdes syriens. Leur erreur est vraisemblablement de trop mettre en avant leur idéologie marxiste-léniniste et leur vénération pour Abdullah Öcalan, le leader historique du PKK. Cela a peut-être fini par irriter en haut lieu.

L’imbroglio est donc à son maximum dans la région et aucun plan de sortie de crise crédible n’est actuellement sur la table. Le plus probable reste que la diatribe du président Obama ne soit qu’une lettre morte sur le terrain. L’impact sur l’élection présidentielle aux Etats-Unis sera insignifiant tant les électeurs choisissent leur élus sur des préoccupation intérieures qui les impactent directement.

Et la France dans tout çà ? Les candidats à notre élection présidentielle devront tout de même s’expliquer, pour ceux qui étaient aux affaires lors des deux derniers quinquennats, sur les choix qu’ils ont faits. Et pour tous, quelles sont leur vision du monde et leurs intentions pour l’avenir ? Mais il est vrai qu’en France comme aux États-Unis, on ne gagne pas une élection sur une politique étrangère.

(1) Ce que tous les sondages annoncent et la marge de voix est assez confortable pour les rendre crédibles.

(2) Je suis personnellement un peu dubitatif quant à cette hypothèse.

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