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"Toni Erdmann" : drôle de comédie à Bucarest
©Allociné / Komplizen Film

Coup de coeur

Sortie ce mercredi dans les salles en France, "Toni Erdmann" est le genre d’événements chocs dont seul le festival de Cannes a le secret.

Harry Bos

Harry Bos

D’origine néerlandaise, Harry Bos vit et travaille depuis 25 ans en France en tant que programmateur et promoteur du cinéma de son pays natal. Il écrit régulièrement des articles sur le cinéma et des productions télévisuelles, en se focalisant en général sur leurs aspects politiques. 

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Un film de 2h40 réalisé par une réalisatrice allemande quasiment inconnue internationalement, une comédie de plus : le succès paraissait loin d’être garanti pour Toni Erdmann de Maren Ade lors de ses projections au dernier Festival de Cannes.

Et pourtant. Les quelques séances sur la Croisette ont été littéralement prises d’assaut. En moins de 24 heures, film et réalisatrice étaient connus dans le monde entier. Critiques dithyrambiques, festivaliers enthousiastes, tous étaient d’accord : on tenait la Palme d’Or 2016 !

Las. C’est finalement Moi, Daniel Blake de Ken Loach qui a obtenu la Palme. Mais Toni Erdmann est resté la sensation du festival. Le distributeur français a même détourné ce quasi-échec cannois pour sa campagne publicitaire : "La palme du public et de la critique !".

D’abord, qui est Toni Erdmann ? En fait, Toni Erdmann n’existe pas. C’est une invention du principal protagoniste du film, Winfried. Avec ses frasques imprévisibles, ce sexagénaire dérange et exaspère tout le monde, surtout sa propre fille Inès, cadre dans une boîte de consulting. Inès est venue travailler en Roumanie, pour "optimiser" le rendement d’une entreprise pétrolière (comprendre : virer le maximum d’employés). La ficelle oppositionnelle entre un père post-soixante-huitard et une fille carriériste paraît assez grosse mais la suite du film montre qu’il n’en est rien.

Winfried a la bonne (ou la mauvaise) idée de rendre une petite visite impromptue à Inès à Bucarest, se fait vite éconduire par sa fille avant de réapparaitre dans le bar de l’hôtel faussement chic où les hommes (et femmes) d’affaires s’amusent le soir – perruque sur la tête et dentier dans la bouche – sous l’identité de… Toni Erdmann, "ambassadeur d’Allemagne".

"Tu veux m’achever ?", demande Inès à son père. Winfried répond avec une pirouette en se cachant derrière son alter ego Toni Erdmann ("L'homme de la terre" en français). C’est de fait la question centrale du film car Winfried, bien qu’agissant à l’instinct et avançant masqué – aux sens propre et figuré – ne fait rien de moins que bousiller l’existence professionnelle de sa fille. Il estime qu'au sein de cet univers impitoyable où il faut toujours être plus féroce que son concurrent, elle a perdu son humanité. Aux collègues d’Inès, il prétend même avoir engagé "une fille de substitution" à cause de l’absence de sa propre enfant. Ambiance…

Le choix de la Roumanie comme décor du film n’est d’ailleurs pas fortuit : véritable eldorado pour des hommes d’affaires internationaux cupides, c’est aussi un pays aux inégalités très fortes et le contraste entre les hôtels de luxe où se retrouvent nos personnages et la misère tout autour est particulièrement saisissant.

La charge de Maren Ade contre ce capitalisme sauvage est féroce, mais Toni Erdmann ne se laisse pas réduire par ce constat politique univoque. Au cours du film, ce jeu de massacre paraît de plus en plus flou et même Winfried se voit malgré lui impliqué dans le terrible processus de licenciement de salariés locaux.

"Ne perds pas ton humour", dit-il, gêné : il ne sait plus comment gérer la situation. Et surtout, la folie apparente de Winfried et le doute semblent aussi gagner les autres, en particulier Inès. Finalement, les personnages du film ne sont pas tous des crétins et apparaissent même comme très humains. Il ne faut surtout pas rater la dernière heure du film où des scènes burlesques, tragiques, politiques et intimes se mélangent en un ensemble jouissif et grave à la fois. Une véritable expérience cinématographique.

C’est l’aboutissement d’un dispositif narratif et visuel très cohérent et riche qui apparaît comme assez nonchalant mais qui respire une grande liberté. Ade, également scénariste du film, prend tout son temps sans jamais perdre de temps. Toni Erdmann ne devient jamais un film à thèses… à la différence du manichéen et mélodramatique Moi, Daniel Blake de Ken Loach.

Pourquoi le jury de Cannes n’a-t-il d’ailleurs pas voulu (ou osé) primer Toni Erdmann ? Serait-ce que le choix de la réalisatrice de ne pas privilégier un message politique clair - et "correct" - ait pu jouer en sa défaveur ?

Toni Erdmann est sorti en France le 17 août.

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