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Jacques Sztark, rescapé des camps nazis, raconte le jour où les Américains les ont libérés : "Je ne pesais plus que 27 kilos pour 1,64 mètre"
©German Federal Archive/Friedrich Franz Bauer

Bonnes feuilles

Nicholas Alkemade, mitrailleur d'un bombardier britannique, survit à une chute de 6 000 mètres. Giorgio Perlasca, Italien en poste en Hongrie, sauve 5 200 Juifs de la déportation. L'aviateur américain Charlie Brown est épargné par un pilote de chasse allemand. Amedeo Guillet, officier italien, devient un héros en Afrique orientale. Adolf Galland demeure un aviateur atypique de la Luftwaffe. Les pilotes britanniques Robert Tuck et Douglas Bader multiplient les exploits en plein ciel... Un ouvrage captivant. Extrait de "Histoires extraordinaires de la seconde guerre mondiale", de Dominique Lormier, aux éditions du Cherche midi 1/2

Dominique Lormier

Dominique Lormier

Dominique Lormier, historien et écrivain, est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire militaire. Membre de l'Institut Jean-Moulin et membre d'honneur des Combattants volontaires de la Résistance, il collabore à de nombreuses revues historiques. Il est l'auteur d'une centaine d'ouvrages.

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Il faisait très froid, la neige recouvrait le sol. On nous a de nouveau douchés, puis nous nous sommes retrouvés nus dans la neige, avec l’ordre de rejoindre le bloc des médecins qui se trouvait loin de nous. J’ai cru aussitôt que le froid allait nous tuer un par un. C’est alors qu’un véritable miracle se produisit. Le médecin général Job, âgé de 70 ans, ancien médecin-chef de la place de Paris, se mit à courir et nous conseilla de le suivre. Guidés par son exemple, nous fîmes de même, ce qui nous sauva la vie !

Le bloc des médecins comprenait des baraquements en bois qui étaient d’anciennes écuries de l’armée polonaise. Il y avait beaucoup de mourants et des cadavres nus, jaune et vert. Nous fûmes mal vus par les médecins polonais internés. Ils nous reprochèrent l’inaction de l’armée française en 1939. Un médecin allemand se trouvait là pour nous interroger un par un. Il voulait savoir si nous avions menti au sujet de notre profession. Mon père, pour me sauver et m’avoir avec lui, m’avait conseillé de dire que j’étais infirmier. J’étais paniqué. Qu’allait-il se passer ? Lorsque mon tour arriva, je me mis à vanter les mérites des sanatoriums allemands en Forêt-Noire. Le médecin allemand apprécia cet éloge rendu à son pays, ce qui me sauva la vie. Mon père et moi fûmes nommés veilleurs de nuit. Notre travail consistait à charger les cadavres sur des camions. On devait également leur arracher les dents en or.

Notre alimentation journalière se limitait à une soupe à midi, composée d’avoine et de graisse animale, et pour le soir une ration de pain avec une cuillère à café de marmelade ou de margarine, ou une tranche de pâté à base de sciure de bois.

Le 1er juin 1944, mon père fut envoyé à la laverie pour étendre du linge sur un fil. Quant à moi, on m’affecta à un commando de travail, chargé de casser des pierres pour la construction d’une route à l’extérieur du camp, à 80 kilomètres des Carpates.

Début juillet 1944, je me suis retrouvé au sein d’un commando formé uniquement de prisonniers de guerre russes. La discipline la plus stricte était observée. J’ai vu des soldats russes tuer un de leurs compagnons à coups de pied, parce qu’il avait volé. On devait décharger des carcasses d’avions abattus. Le 16, je participais aux travaux d’agrandissement de la station d’épuration de Birkenau. Des corps brûlaient en plein air au milieu d’un champ.

En août 1944, je fus chargé de ramasser des morceaux de caoutchouc pour des bateaux. J’ai assisté à la destruction du camp des Tziganes : femmes et enfants morts furent carbonisés dans les fours crématoires.

Muté au lavage du linge, en septembre 1944, j’ai pu retrouver mon père. À Birkenau, nous avons rencontré Robert Lateulade, polytechnicien, reçu également à l’École des mines, sous-lieutenant d’artillerie en 1940 et membre ensuite d’un réseau de la Résistance. Grâce à une de ses lettres, ma mère eut de nos nouvelles. Mon père avait soigné son père en 1939 à l’hôpital Robert-Picqué. Robert Lateulade est mort à Mauthausen le 25 mars 1945.

Le 25 octobre 1944, je fus définitivement séparé de mon père. On m’envoya au camp de Struthof, près de Dantzig. Mon père demanda à un juif marseillais, David Lipko, de veiller sur moi. Il fut un véritable frère pour moi.

Dans le courant du mois de novembre, on nous dirigea sur la base aérienne d’Hedelfingen dans le Wurtemberg. Nous devions dégager les voies ferrées sous la neige. Puis nous partîmes par le train pour le camp de Vaihingen. Au cours d’un arrêt, en gare de Stuttgart, nous fûmes bombardés par l’aviation alliée. C’était apocalyptique : les wagons semblaient se soulever, le bruit était assourdissant et il y avait des éclairs partout. J’ai cru que David Lipko était devenu fou. Il se jeta sur moi pour m’étrangler. Je pus me dégager de son étreinte et il retrouva peu à peu ses esprits.

Victime à Vaihingen du typhus, je me trouvai réduit à l’état de bête. David Lipko, qui ne m’avait pas oublié, m’apporta de la confiture et de l’eau. Je survécus à cette nouvelle épreuve. Je quittai le camp le 4 avril 1944 avec 38 degrés de fièvre, pour arriver à Dachau le 6. Je tombai de nouveau gravement malade.

Nous fûmes libérés par les Américains le dimanche 29 avril 1944. J’étais à ce moment précis sur un lit en bois, lorsqu’un car américain m’est apparu. Ce fut ma première vision de la Libération. Un service sanitaire se mit rapidement en place. Des soldats français de la division blindée Leclerc sont venus nous rendre visite. Ils m’ont fait boire du vin pour fêter la victoire. Ne pouvant rien avaler, je l’ai immédiatement vomi. Je ne pouvais plus me lever ni marcher. Je ne pesais plus que 27 kilos pour 1,64 mètre !

Les Américains se sont très bien occupés de moi. Ils me transportèrent sous un chapiteau pour me passer au DDT. Nous avons ensuite occupé les anciens baraquements des SS. J’ai été soigné avec du "lait de poule" : lait avec un œuf, du sucre et de l’eau-de-vie. C’est ce qui m’a sauvé la vie.

Une ambulance de la 1re armée française du général de Lattre est venue nous chercher pour nous déposer à l’hôpital de campagne 401. J’ai vu alors une infirmière avec des cheveux longs, ce qui sembla symboliser la vie, car je n’avais vu que des femmes tondues depuis des mois. Je me sentais fier d’être français à la vue de ces uniformes de l’armée de Lattre, incarnant la résurrection de la France : j’ai pleuré d’émotion...

Je suis resté à l’hôpital 401 jusqu’au 10 juillet 1945. Je suis arrivé à Castillon le 13. Toujours malade, je n’ai pu m’occuper de la propriété familiale qu’en octobre 1946. Mon père n’est jamais revenu des camps de la mort.

La famille de mon père se trouvant en France fut sauvée de la déportation, grâce au sang-froid de la famille Étourneau. Un de mes cousins, Jean Gorszkowicz, a même rejoint la 2e division blindée du général Leclerc.

J’ai eu la chance de rencontrer, en avril 1947, une femme formidable, Madeleine Lavergne, qui s’est beaucoup occupée de moi. Nous nous sommes mariés en août 1947. Sa famille avait appartenu à la Résistance. Nous avons eu deux enfants, un garçon et une fille".

Bien que victime de la barbarie allemande, Jacques Sztark accepte de recevoir dans sa propriété des prisonniers allemands de guerre, afin de les faire travailler dans les vignes. Cet acte généreux et incroyable va leur sauver la vie en les libérant du déminage des côtes de l’Atlantique, où beaucoup d’autres vont succomber. Hans Bauer, un des prisonniers, profondément touché par l’humanité de Jacques Sztark, lui fait le serment de retrouver la tombe de son père après sa libération. C’est ainsi que Jacques découvre où son père a été enterré.

Autre fait marquant, Jacques souffre de la phobie des chiens. Ces animaux lui rappellent ceux qui gardaient le camp et pouvaient mordre avec férocité les prisonniers. Il parvient à guérir de ce handicap phobique en élevant des chiens dans sa propriété, afin d’en faire des compagnons fidèles pour les aveugles.

Sa santé fragile, suite à ses nombreux sévices dans les camps nazis, l’empêche de poursuivre les études souhaitées. Il est décédé en 1998 par une belle journée de printemps ensoleillée.

Extrait de "Histoires extraordinaires de la seconde guerre mondiale", de Dominique Lormier, publié aux éditions du Cherche midiPour acheter ce livre, cliquez ici

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