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Démocratisation du Cosplay : quand les geeks sortent de l’ombre et prennent leur revanche sur les sociétés qui les méprisent
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Amour, Gloire & Cosplay

Des pages Facebook aux centaines de milliers d'abonnés aux Cosplayers/euses présents dans des conventions ayant pour thèmes l'univers Geek, le succès du Cosplay démontre bien l'influence de cet univers sur la culture et la société en général.

David Peyron

David Peyron

David Peyron est Docteur en sciences de l’information et de la communication à l'université Lyon 3 et titulaire d’un master en sociologie. Il travaille sur la culture geek, les fans, la culture populaire et en particulier sur les liens entre identité et fiction.

Il est l’auteur d’une thèse puis d’un livre portant sur l’émergence d'un mouvement geek revendiqué et ses enjeux identitaires : Culture Geek, aux éditions FYP.

Son éditeur: http://www.fypeditions.com/culture-geek/

 

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Atlantico : Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer le succès grandissant du Cosplay ?

David Peyron : La question est vaste car beaucoup de facteurs peuvent expliquer ce phénomène. C’est une pratique ancienne donc on peut comprendre que cela explose aujourd’hui. Il y a une accumulation générationnelle, c’est-à-dire que petit à petit, des pionniers ont amené le phénomène en France et l’ont transmis à d’autres de génération en génération. La génération Internet a permis au phénomène d’exploser car elle a rendu possible la transmission de l’image. C’est aussi pour cette raison qu’il y a un grand succès sur les réseaux sociaux car c’est une culture de la monstration, de l’exposition et du visuel. Et aujourd’hui les réseaux sociaux vivent en grande partie de la culture de l’image.

D’ailleurs, ça marche très bien de montrer ses créations et son Cosplay, surtout que cela s’inscrit dans la culture participative et le fait d’ajouter sa pierre dans la culture qui nous passionne. On a longtemps montré les fans comme des gens un peu passifs, avides de nouvelle consommation et de nouveaux éléments de leurs passions. Mais cela peut se traduire par la création d’objets matériels qui donnent une impression de réel. La force du Cosplay passe aussi par la phase de création.

L’image du Cosplay de la personne est l’aboutissement d’un long processus et il y a véritablement un désir de montrer ce que l’on a créé, de partager et de participer à la culture auquel on appartient. Quand on étudie les fans, on se rend compte qu’ils ont envie de contribuer et de créer cette culture, par le biais de parties de jeux de rôles, de fan fictions ou de vidéos sur Youtube par exemple. Le mouvement geek a explosé en France à partir des années 2005-2006 avec l’arrivée de l’Internet à haut débit. Il y a eu un tournant en France qui a suivi la mode geek aux Etats-Unis au même moment. D’ailleurs, de nombreux créateurs, vidéastes, cinéastes, artistes et créateurs de comics ont fait beaucoup de références à cette culture geek dans leurs ouvrages, ce qui a contribué à la populariser. Il y a une convergence, une mode geek qui s’est installée depuis une dizaine d’années. Et le Cosplay s’inscrit dedans dans le sens ou ça a déclenché une envie de rencontres réelles. D’où l’explosion des conventions et des expositions sur le thème du manga, des comics et de la culture geek.

Pourquoi ressentons-nous le besoin de se déguiser en nos personnages favoris, parfois à des coûts très élevés ?

Le cosplay n’est jamais que pour soi. Il y a évidemment une grande partie liée à la création et à l’échange sur les réseaux sociaux ou les forums spécialisés dans l’aspect technique et créatif des cosplays. Il y a une vraie poussée de la culture do it yourself depuis quelques années, que ce soit avec les blogs ou les tutos de cuisine, de couture, de make-up. Cette culture-là est aussi inscrite dans la culture geek depuis le début. On voit bien avec les imprimantes 3D que les cosplayeurs s’en servent pour imprimer des éléments de Cosplay par exemple.

Il faut noter que derrière la création de Cosplay, il y a l’idée de montrer ses compétences et de s’exprimer. Quand ils se cosplayent et se montrent parmi une communauté qui les acceptent sans crainte d’être jugé ou d’être moqué, il y a un contexte qui leur permet d’exprimer leur vraie personnalité. On retrouve cela dans toutes les sous-cultures classiques comme la culture gay des années 1980 qui s’exprimait au travers de la performance physique et théâtrale. On peut y voir une forme de fétichisme semblable au fétichisme classique de l’histoire des religions, qui consiste à prendre un objet et à s’approprier ses qualités.

La dimension transformative du cosplay est aussi une forme de critique. C’est un moyen de changer des éléments d’un costume que l’on n’aime pas et de le transformer, de lui apporter des références croisées pour mettre en avant ses références et ses passions. C’est à la fois l’expression d’une passion et donc d’une révération d’un objet qui n’est pas dans l’adoration mais plutôt dans le croisement et l’expression de soi. Le costume est un support et une toile sur lequel on va s’exprimer.  

Le succès du cosplay nous dit-il quelque chose sur la société actuelle ?

Derrière ça, il y a le fait d’exprimer son individualité et sa singularité dans un monde où l'on a tendance à l’uniformisation. Dans la culture geek, il y a une volonté de se retrouver au sein d’une communauté ayant la même passion et la même façon d’être. L’univers geek se démocratise au travers des séries comme Game Of Thrones ou des films de super-héros et est beaucoup mieux accepté, mais la passion extrême reste toujours un peu mal vue.

Pouvoir montrer qui l'on est permet de retrouver une certitude, son identité et ce qu’on aime. Il y a véritablement un changement dans la mesure où la culture a connu une explosion de reconnaissance. Le mot "geek" est à la base péjoratif, tout comme les mots nerd ou otaku, mais aujourd’hui on les revendique avec fierté. C’est un processus assez classique qu’on retrouve par exemple chez les Noirs américains dans les années 1960 qui revendiquaient le mot qui les insultait, à savoir nigger. Il faut savoir également que les majors, les grands groupes hollywoodiens et les groupes de créations culturelles pensent, à tort ou à raison, que les geeks représentent le public idéal, ce qui a un certain effet de pouvoir qui est symboliquement assez fort. Le succès des séries télévisées comme The Big Bang Theory montrent bien que la figure du geek est devenue une figure essentielle du grand public.

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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