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Pourquoi la loi Travail est vraiment inconstitutionnelle
©Wikimédia

Combattre pour l'inégalité ?

Définitivement adoptée grâce à un recours de plus au 49.3 ce jeudi 21 juillet, la loi Travail présente néanmoins plusieurs inconstitutionnalités criantes... et dangereuses pour nos entreprises.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La loi Travail vient d’être adoptée en lecture définitive à l’Assemblée Nationale. Des sénateurs républicains se sont précipités pour invoquer l’inconstitutionnalité de ses dispositions relatives aux franchises, que j’avais déjà évoquées en leur temps. Ce faisant, et comme d’habitude a-t-on envie d’ajouter, la droite passe à côté de l’exercice.

Une loi fondée sur une inégalité de traitement

La particularité de la loi Travail consiste en effet à se fonder sur l’inégalité de traitement entre les entreprises de moins de 10 salariés et les autres. Encore cette distinction est-elle très schématique. En effet, la loi Travail distingue les entreprises qui ont la capacité de signer un accord (et de déroger à la loi) et celles qui sont obligées de suivre un accord de branche faute d’avoir la capacité de négocier elle-même.

Si l’on se souvient que, dans les meilleures, les 3 ou 4 millions d’entreprises françaises signent moins de 70.000 accords ou avenants, on mesure le caractère très illusoire de la loi phare du quinquennat.

Dans le lot des entreprises qui ne signent jamais d’accord, on trouve pêle-mêle les entreprises qui n’ont pas la taille critique pour négocier (les moins de 10 salariés), et les entreprises qui pourraient négocier mais qui n’ont pas de délégués pour le faire…

Un exemple frappant d’inégalité de traitement

Prenons au hasard la question du forfait-jour, qui constitue le moyen le plus commode de contourner les 35 heures pour les cadres. La loi Travail prévoit la possibilité d’y recourir sous la formulation suivante:

L. 3121-63. – Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l’année sont mis en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Autrement dit, tous ceux qui ne peuvent négocier un accord parce que la loi le leur interdit devront se contenter d’un accord de branche.

La loi Travail renforce le diktat des branches

Un peu plus loin, le fameux article 13 de la loi, devenu après passage au Sénat l’article 24, pose un principe qui dévoile la logique implicite de cette fausse inversion des normes:

"Art. L. 2232-5-1. – La branche a pour missions (…):

"2° De définir, par la négociation, les thèmes sur lesquels les conventions et accords d’entreprise ne peuvent être moins favorables que les conventions et accords conclus au niveau de la branche, à l’exclusion des thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté de la convention ou de l’accord d’entreprise ;

"3° De réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d’application.

Autrement dit, la branche est là pour "réguler la concurrence" et empêcher ou autoriser les entreprises de la branche à déroger à la loi. Il fallait bien que, tôt ou tard, la vérité profonde de la pensée corporatiste sur laquelle la branche est fondée apparaisse : il y a le marché, et il y a les branches qui le corrigent.

La branche, ou le pouvoir des forts sur les faibles

J’entends ici certains bons apôtres se réjouir de cette "régulation du marché", une vraie bouée de sauvetage dans un monde de brutes. Tout le problème est que, contrairement au fantasme répandu, la régulation des branches ne consiste pas à protéger les plus faibles contre la concurrence des plus forts, mais consiste plutôt à autoriser les plus forts à imposer des normes destructrices pour étouffer les plus faibles.

Il suffit de lire ce que la loi Travail dit des branches pour le comprendre:

"Les organisations d’employeurs constituées conformément à l’article L. 2131-2 affiliées ou adhérentes aux organisations d’employeurs reconnues représentatives dans la branche sont habilitées à négocier, dans le périmètre de la branche, des accords collectifs dont le champ d’application est régional, départemental ou local, et à demander l’extension de ces accords."

Les accords de branche sont donc négociés par des organisations d’employeurs représentatives… et pas par les entreprises.

Qu’est-ce qu’une branche?

Incidemment, le silence de la loi Travail sur ce qu’est une branche pose un problème de fond. Les organisations d’employeurs obéissent en effet à une règle très simple: elles accordent une importance à leurs adhérents proportionnelle au montant de cotisations versées. Autrement dit, dans une organisation patronale, ce sont les grandes entreprises qui décident, et les petites obéissent d’autant plus qu’elles n’ont généralement pas les moyens de s’impliquer dans la vie quotidienne du mouvement.

C’est bien cela, une branche : un espace patronal où la loi du plus fort est une règle d’airain. C’est à cet espace-là que la loi "socialiste" du Travail vient de confier la douloureuse fonction de déroger ou non à la loi.

Une première inconstitutionnalité…

Autrement dit, la loi Travail comporte une première inconstitutionnalité : elle confie des missions d’ordre public à des organisations dont la définition est vaporeuse, voire inexistante. Personne ne sait ce qu’est une branche, et la loi s’emploie à tuer leur dimension affinitaire. Elle autorise en effet le ministre à fusionner des branches entre elles, histoire d’augmenter encore un peu plus la distance entre les petites entreprises et les négociateurs d’accords.

On voit mal en tout cas comment le Conseil Constitutionnel ne relèvera pas que le gouvernement est en plein défaut de compétence lorsqu’il ne précise quel doit être le fonctionnement normal d’une branche. On ne peut autoriser à déroger à la loi en se reportant à des organismes aussi opaques.

Une deuxième inconstitutionnalité…

En outre, rien n’explique que les grandes entreprises puissent déroger à la loi et interdire, par la mécanique des branches, aux petites entreprises de le faire. Rien n’explique que certaines entreprises aient la faculté de déroger, quand d’autres ne l’ont pas.

Pour réparer cette inconstitutionnalité, il suffisait de généraliser le mandatement à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Cette modalité aurait permis aux petites entreprises de pouvoir négocier autant que leurs grandes soeurs. Mais ce dispositif-là a complètement disparu de la loi.

La droite au-dessous de tout

On notera de façon malicieuse qu’aucun sénateur de droite n’a soulevé ces motifs simples et de bons sens. En dehors d’un lobbying très contestable en faveur des franchisés, on ne retrouve sous leur plume aucune préoccupation en faveur de nos petites entreprises, de nos start-ups, de nos petits commerçants.

Il faudra, en 2017, s’en souvenir.

Article originellement publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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