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Freud avait raison : essayer d'évincer des souvenirs de son esprit les fait resurgir dans les rêves
©Wikimédia

Dream big

Longtemps, les théories freudiennes sur le rêve ont été méprisées par la science. Depuis la parution d'une étude menée par un professeur d'Harvard, la donne a changé. Retour sur la progressive reconnaissance de ces idées osées.

Sophie de Mijolla-Mellor

Sophie de Mijolla-Mellor

Sophie de Mijolla-Mellor est psychanalyste et professeur émérite à l'université Paris-Diderot. Elle est présidente de l'Association Internationale d'Interactions de la psychanalyse et dirige la revue Topique.

Elle a écrit La mort donnée, essai de psychanalyse sur le meurtre et la guerre (PUF, 2011).

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Atlantico : Un lieu commun fréquemment entendu prétend que la pensée freudienne - très souvent critiquée - est dépassée en psychanalyse. Pouvez-vous nous expliquer cette aversion habituelle ?

Sophie de Mijolla-Mellor : Sur le plan scientifique, "dépassé" veut dire que de nouvelles découvertes ont rendu banales voire caduques des notions  qui avaient pu apparaitre auparavant comme une avancée révolutionnaire. En ce qui concerne la psychanalyse, il faut d’abord rappeler que la méthode que Freud propose pour investiguer les faits psychiques et traiter les troubles psychopathologiques est loin d’avoir fait l’unanimité  au début et donc l’aversion en question a d’abord été une méfiance vis-à-vis d’une méthode explicative (qui pour cette raison se déclarait "scientifique") et qui rompait avec les procédés alors en vogue comme les traitements électriques, l’isolement des malades ou même la pratique de l’hypnose.

Par ailleurs, le fait de qualifier quelque chose de "dépassé" implique que ce qui a pu correspondre à la sensibilité d’une époque passée ne nous touche plus aujourd’hui parce que la réalité de la société évolue au même titre qu’un sujet, qui a avancé en âge, ne jouit plus de la même manière de ce qui lui plaisait autrefois. La mode en est passée même si l’on peut en garder un souvenir nostalgique. Or, la psychanalyse a eu en France et ailleurs un développement très important si l’on considère qu’elle a profondément modifié la manière de soigner, celle d’éduquer et plus profondément l’appréhension qu’un sujet a de lui-même et de sa place dans la société. Ce faisant plus d’une de ses notions sont devenues à certains égards évidentes, ce qui est toujours dangereux car on risque alors d’en faire une vérité dogmatique et non plus le résultat d’une recherche. Pourtant la psychanalyse est inséparable d’un mouvement d’investigation sur soi-même. Cela a été le travail initial de Freud sur ses propres rêves qui l’a conduit à en poser les bases et les premières cures consistent, en partant du symptôme, à faire retrouver au patient les circonstances de sa première manifestation et à les communiquer au psychanalyste.

La première critique à l’égard de la psychanalyse - et la plus fondamentale - c’est en fait du patient lui-même qu’elle vient, soit la résistance qu’il oppose à livrer des faits qu’il ne souhaite pas s’avouer à lui-même et qu’il pense avoir oubliés ou dont il dénie l’importance ou l’intérêt. Mais en même temps, il y a la souffrance psychique qui l’a conduit à demander une analyse, souvent après avoir essayé d’autres méthodes sans succès en particulier toutes celles qui relèvent de la suggestion et de l’autosuggestion. Malgré son aversion naturelle voire sa méfiance relative, le patient va donc accepter de jouer le jeu, c’est-à-dire d’ exprimer sans restrictions ce qui lui vient à l’esprit, c’est la dite "association libre". La possibilité pour l’analyste de lui proposer alors des rapprochements pertinents auxquels le patient n’avait pas pensé lui-même est fondamentale pour la suite : c’est l’interprétation analytique, laquelle repose sur une méthode mais aussi sur une compétence acquise par l’analyste avec sa propre analyse et celles qu’il a menées avec de précédents patients.

La question de la scientificité de la psychanalyse a été beaucoup débattue. Pour Karl Popper et d’autres épistémologues, les énoncés de la psychanalyse n’étant pas "falsifiables" et la théorie n’étant pas "réfutable", il ne peut s’agir d’une science. Le débat ne me semble pas très fructueux à cet égard car il ne prend pas en considération que Freud n’a cessé précisément de remettre en question ses propres hypothèses afin de faire avancer sa théorie. D’autres psychanalystes ont fait de même, la pensée freudienne constituant une sorte de socle à partir de laquelle ils ont proposé des approches nouvelles en particulier dans le domaine des psychoses mais pas seulement. Est-ce que ces avancées ont rendu caduques les découvertes de Freud ? Non, elles les ont développées et ont fait avancer la psychanalyse comme ensemble théorico-clinique.

En 2004 une étude menée (voir ici)  par Daniel Wegner, alors professeur à Harvard, a tenté de prouver que les théories du rêve de Sigmund Freud sont en fait avérées. Ses expériences montrent que le refoulement entraîne bien une surreprésentation du sujet refoulé dans ses rêves. Pourquoi cette théorie est-elle particulièrement intéressante et déterminante pour la psychiatrie moderne ?

Comme je l’ai dit, la psychanalyse n’est pas et n’a jamais été un corpus dogmatique mais une méthode d’investigation de la psyché individuelle et des faits sociaux voire culturels . À ce titre, elle est donc fondamentalement ouverte au dialogue avec d'autres disciplines. L'investigation du rêve est un excellent exemple de la manière dont un même phénomène peut être approché par des compétences différentes qui relèvent de la biologie, de la neurologie ou des sciences cognitives. Il serait naïf et contreproductif d’imaginer qu’il puisse y avoir une compétition entre ces différentes manières d’approcher un fait psychique et qu’on attendrait de l’une qu’elle confirme ou infirme ce que l’autre a pu établir.

Néanmoins, ces rencontres précieuses ne peuvent pas toujours avoir lieu, ce qui n’est pas toujours le cas. L'exemple de l’expérience menée par le professeur Daniel Wegner (montrant que le refoulement entraîne une surreprésentation du sujet refoulé dans ses rêves, à partir d'une d'un exercice d'écriture mené sur trois groupes de personnes sur une période donnée) est très parlant à cet égard car les données sont faussées dès le départ. En effet, diviser un groupe de sujets entre ceux qui obéissent à l’ordre de l’expérimentateur soit de penser à quelque chose soit au contraire d’éviter d’y penser ne nous dit rien vis-à-vis du refoulement. Tout d’abord parce que ce dernier est inconscient alors que dans l’expérience, c’est complétement conscient. Et ensuite parce que la force active du refoulement c’est sa cause soit la raison pour laquelle on évite de penser. Dans le cas de l’expérience citée, celui qui refoule n’est pas partie prenante du processus (par exemple il n’a pas honte de ce à quoi il évite de penser), il se contente d’obéir à l’ordre qui lui a été donné. Même chose pour celui qui évoque intensément parce qu’on lui a demandé de le faire pour le motif de l’expérience.

La "rencontre" entre l’expérience de Daniel Wegner et la psychanalyse est donc très superficielle, elle ne dit rien du fond c’est-à-dire du désir qui nous pousse à accueillir et investir une pensée ou au contraire à la repousser avec horreur. J’ajouterai de plus que le rapprochement proposé est pernicieux en ce sens qu’il pourrait laisser entendre qu’il suffit de vouloir pour pouvoir ou, pire, que l’on aurait le pouvoir d’interdire collectivement des contenus de pensée qu’on aurait jugé nocifs. On entrerait alors dans un univers orwellien assez inquiétant…

En quoi Freud a-t-il été déterminant dans la compréhension du lien qui unit le rêve à la réalité - particulièrement si l'on observe la question de la mémoire ?

Dès les tous débuts de la psychanalyse, Freud note que les observateurs attribuent aux manifestations de la vie onirique une supériorité évidente au niveau de la mémoire, c’est-à-dire que des faits ou des images oubliés reviennent régulièrement dans les rêves. Il ne s’agit donc pas d’une découverte récente, loin de là. Pour Freud, le matériau du rêve est fourni par les restes diurnes, soit par des souvenirs d’événements de la vie vigile, en général récents. Le "travail du rêve" transforme ces matériaux par des processus divers : la condensation (par exemple plusieurs personnes vont être représentées par une seule dans le rêve qui emprunte des traits caractéristiques de chacune) ou bien le déplacement qui fait d’un fait anodin l’élément important. Dans tous les cas, le rêve, comme le symptôme obéit au même désir paradoxal : montrer et cacher à la fois. Donc la mémoire est bien agissante dans le rêve mais ses productions sont rendues incompréhensibles, parfois absurdes  et il faut donc tout un travail d’interprétation pour le déchiffrer.  De plus, s’il y a effectivement remémoration dans le rêve, le patient va en revanche le plus souvent s’empresser d’oublier son rêve. Si le rêve est considéré comme la "voie royale" d’accès à l’inconscient, cette voie est pavée d’embûches et ce qu’on obtient, ce sont en fait des bribes de remémoration patiemment reconstruites et arrachées à la censure que le sujet impose à des désirs que non seulement il ne s’autorise pas mais même qu’il lui faut ignorer et dénier.

Freud a été effectivement déterminant dans la compréhension du lien qui unit le rêve à la réalité en ce qu’il a fait du rêve une production de la psyché du sujet en proie à des désirs contradictoires, tyrannisé par ses idéaux inaccessibles et honteux de sa petitesse. Le rêve vu par la psychanalyse n’est pas plus une production automatique d’images que l’on pourrait attribuer à des mécanismes biologiques qu’il n’est le résultat de ce que les mythologies imaginaient en termes de communication avec l’au-delà.

Propos recueillis par Victoire Barbin Perron

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