Martyre des chrétiens d'Orient : des prêtres orthodoxes racontent s'être sentis abandonnés par des forces censées les protéger<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Martyre des chrétiens d'Orient : des prêtres orthodoxes racontent s'être sentis abandonnés par des forces censées les protéger
©REUTERS/Azad Lashkari

Bonnes feuilles

Dans ce livre manifeste, Jean-Frédéric Poisson redessine les contours de ce que doit être notre politique en Orient. Il relate ses entretiens exclusifs avec les acteurs majeurs de la région et appelle au sursaut pour qu'enfin la France soit à la hauteur des enjeux. Le lecteur découvre la place essentielle que la France a perdue dans tous ces pays. Il réalise que c'est une part de notre avenir qui se joue là-bas. Extrait de "Notre sang vaut moins cher que leur pétrole", de Jean-Frédéric Poisson, aux éditions du Rocher 1/2

Jean-Frédéric Poisson

Jean-Frédéric Poisson

Jean-Frédéric Poisson est député des Yvelines et président du Parti Chrétien-Démocrate.

Voir la bio »

Pendant mon séjour au Liban en octobre 2014, j’avais recueilli ce témoignage direct de deux prêtres orthodoxes qui avaient dû quitter leur village. L’un d’entre eux est celui qui a vécu cette histoire. Ces deux prêtres avaient ensuite, comme de nombreux chrétiens syriens, trouvé refuge au Liban.

L’autre m’avait décrit l’horreur de l’arrivée des barbares dans leur village, et ce même scénario qui se répète indéfiniment. La violence qui s’installe soudainement. Le sentiment d’être abandonné par des forces censées les protéger. La "conversion", ou au moins le retournement, rapide et spectaculaire, des musulmans jusqu’alors pacifiques qui embrassent en quelques minutes la cause des nouveaux occupants. Le faux choix laissé aux chrétiens : la soumission, l’exil ou la mort. La profanation ou la destruction systématique de leurs églises et de leurs cimetières. La confiscation de leurs biens. La torture infligée aux chrétiens qui refusent de se soumettre et de partir. L’agonie de cet adolescent, Nyrary Odisho, torturé horriblement, ainsi que le montrent les photos publiées par ses propres amis sur une page Facebook qui lui est dédiée. Les fatwas prononcées par des autorités locales de Daech invitant à planter du fer dans les cadavres des chrétiens : et par conséquent les séances de découpage des cadavres auxquelles se livraient les "soldats" de l’État islamique pour obéir à ces injonctions. Avec ce scénario qui s’est répété dans tant de villages : on détruit l’église, on menace les chrétiens en leur demandant de partir, on en exécute quelques-uns pour l’exemple, et on engage les conversions forcées à l’islam. La destruction de l’église ou les menaces d’exécution proférées contre les prêtres (ou des membres de leur famille) sont le signe de ce que les barbares ne veulent plus de chrétiens dans cette partie du monde. 

Les Syriens partagent majoritairement cette idée selon laquelle ils vivent une guerre importée par les Occidentaux et certains de leurs alliés du Golfe. Ils ne parviennent pas à comprendre les raisons pour lesquelles les Occidentaux ont refusé depuis l’origine de combattre aux côtés de l’armée syrienne. Ils ne veulent pas voir changer leur vie, et ont le terrible sentiment que ce conflit change d’abord leur manière d’être les uns envers les autres.

Dans quelques endroits, l’arrivée des islamistes dans un village a pu se faire de manière pacifique, au moins dans un premier temps. Au cours d’une longue conversation à Beyrouth en 2013, Monseigneur Battah, vicaire du patriarche syriaque de Damas, me disait qu’à Yabroud (nord de Damas), des manifestations anti-chrétiennes et les premières profanations étaient apparues quelques semaines après l’entrée de la "rébellion" dans la ville. On peut comprendre que de telles entrées "pacifiques", sur fond de contestation du pouvoir central, puissent recueillir, pendant un temps, quelques suffrages. Parfois encore, l’arrivée des rebelles a pour effet de relever de leurs fonctions des responsables musulmans locaux corrompus, et d’installer à leur place, au nom de la morale et de la charia, d’autres personnes, acquises à la cause des nouveaux arrivants. Comme dit l’adage : "On n’a qu’une fois la possibilité de faire une première impression". Son crédit, au moins pendant les premiers temps de son implantation locale, vient largement de cet état de fait.

Daech a, d’une certaine manière, déjà gagné. Pas nécessairement sur le plan militaire. Et même, il est probable que l’État islamique perdra ce conflit à la fin du compte, pour peu que, comme me le disait en juillet dernier le patriarche syriaque orthodoxe de Damas, "l’Occident y mette les moyens". Pas seulement non plus en attirant l’Occident dans le piège mortel de la guerre, et en ne laissant pas le soin aux puissances régionales de traiter cette crise. Mais sur un autre plan. La reprise progressive de la ville de Ramadi par l’armée régulière, en Irak, à la fin de l’année 2015 est emblématique : 3 000 maisons ont été détruites, dans une ville qui est désormais quasiment rasée. Comment la vie y reprendra-t-elle ? "Avant la guerre, me confiait la sœur Marguerite, 85 ans et près de 65 ans de vie religieuse dans différentes villes de Syrie, nous vivions en paix. Comment vivrons-nous demain ?". 

Je pense aussi à Daniel, ce réfugié irakien de Mossoul que j’ai croisé à Erbil, en juillet 2014. À peine avait-il quitté sa maison, quelques heures avant l’arrivée de Daech en ville, que la famille musulmane voisine en prenait possession. Il imagine, évidemment, qu’un jour viendra où il pourra retourner chez lui, une fois défaites les troupes de l’État islamique. Mais comment ces deux familles pourront-elles vivre de nouveau l’une près de l’autre, au quotidien, alors même que, pendant des décennies, elles ont partagé leurs fêtes respectives, elles se sont invitées aux fêtes de famille, se sont rendues visite au moment des fêtes religieuses, et vécu ensemble ? Le premier ennemi de l’État islamique, c’est la concorde, la paix sociale, les relations humaines normales entre les familles, la confiance, la "convivence" en particulier entre les chrétiens et les musulmans. Il ne s’agit pas de mésestimer l’importance des enjeux stratégiques, ni tout le poids que représente ce simulacre d’État que Daech a commencé d’installer entre la Syrie et l’Irak. Il ne faut ni sous-estimer ses moyens et ses projets, ni ignorer que le cœur de cette stratégie est certainement dans le caractère durable de cette implantation. Pour autant, quand bien même le succès de l’État islamique ne durerait pas, ses têtes pensantes auront tout de même réussi à détruire, peut-être définitivement, ce qui fait la richesse de cette région depuis des siècles : la possibilité, même fragile, même parfois cruelle, d’une coexistence presque pacifique entre les musulmans et les chrétiens.

Extrait de "Notre sang vaut moins cher que leur pétrole", de Jean-Frédéric Poisson, publié aux éditions du Rocher, 23 juin 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !