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Megaupload : sa fermeture montre combien le débat français autour d'Hadopi est dépassé
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Piraterie

La justice américaine a ordonné ce jeudi soir la fermeture du site Megaupload, l'une des plus importantes plateformes de partage de fichiers sur Internet. Réaction de Fleur Pellerin, responsable du pôle "Société et économie numériques" au sein de l'équipe de campagne de François Hollande.

Fleur Pellerin

Fleur Pellerin

Fleur Pellerin est en charge du pôle "Société et économie numériques" au sein de l'équipe de campagne de François Hollande pour l'élection présidentielle de 2012.

 

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Fleur Pellerin s'occupe du pôle "Société et économie numériques" au sein de l'équipe de campagne de François Hollande.
Elle répond toutefois à cette interview en son nom, et pas en tant que responsable du numérique de la campagne du candidat PS.

Atlantico : La justice américaine vient de fermer le site de stockage et de partage de données numériques Megaupload. Quelle est votre réaction ?

Fleur Pellerin : Tout d’abord, je précise que je vous réponds en mon nom, et pas au nom de François Hollande.

Ce qu’a fait la justice américaine confirme ce qu’a dit François Hollande dans son discours de Nantes ce jeudi. On peut s’en prendre aux acteurs illégaux et au piratage sans s’en prendre aux internautes. C’est le contraire que ce que fait la droite depuis cinq ans : la lutte contre le piratage peut être menée efficacement sans passer par des régimes d’exception comme Hadopi.

La lutte contre le piratage doit passer avant tout par une action contre les acteurs économiques qui font commerce de contenus illicites. Il faut veiller à ne pas mettre dans le même sac des acteurs de ce type là et Dailymotion, Deezer ou d’autres starts-up françaises qui jouent le jeu.

Il faut donc favoriser l’innovation et l’offre légale.

Nicolas Sarkozy a salué la fermeture de Megaupload en soulignant que "la lutte contre les sites de téléchargement direct ou de streaming illégaux, qui fondent leur modèle commercial sur le piratage des oeuvres, constitue une impérieuse nécessité pour la préservation de la diversité culturelle et le renouvellement de la création". Vous aussi, vous vous en félicitez ?

Je trouve bizarre qu’il s’en félicite ! Cette décision est contraire à ce qu'il fait depuis des années : il a pris le parti de s’attaquer aux individus et non à des sites de type Megaupload.

La justice américaine a utilisé les voies de droit commun, la coopération internationale en matière de justice et de police. Ce n’est pas du tout la voie qu’a choisie la France : notre pays n’a jamais aidé les auteurs à faire valoir leurs droits dans le cadre d’une procédure judiciaire de droit commun. Et malgré les récentes études sorties, dont la méthodologie n’est pas très claire, on n’a pas véritablement la preuve qu’Hadopi soit véritablement efficace pour endiguer les pratiques contre lesquelles elle était censée lutter.

On sait très bien qu’il y a eu un déport très fort du peer to peer vers le streaming. On ne peut pas juste se féliciter du fait que le peer to peer ait baissé sans tenir compte des pratiques vers lesquelles ont été orienté les internautes.

Vous considérez donc que c’est anachronique d’en être encore en France à Hadopi (dont l'action ne concerne pas Megaupload) alors que les Etats-Unis s’en prennent à cet acteur ?

Tout à fait. Il y a beaucoup d’acteurs – y compris au sein de la filière culturelle – qui considèrent qu’il est temps qu’on sorte du débat autour d’Hadopi qui commence à être un peu stérile, même si ça reste un point de cristallisation.

Ce qui importe c’est de faire de la pédagogie pour protéger le droit d’auteur, de mettre en place une véritable concertation sur le financement de la création et de la diversité culturelle. Il faut encourager les starts-up qui vont dans le sens du développement de l’offre légale. Il faut une vraie réflexion sur la fiscalité des fournisseurs d’accès Internet. Ce n’est pas uniquement en empilant les taxes comme l’a fait la droite ces cinq dernières années qu’on va régler les problèmes. Il y a une vraie réflexion d’ensemble à avoir sur la fiscalité numérique pour voir comment on peut répartir de manière équitable l’effort en matière de soutien à la création.

Vous évoquiez le discours de François Hollande à Nantes. Concrètement que propose-t-il ? Il a évoqué plusieurs pistes de lois, mais comment les financer ?

François Hollande n’a pas encore détaillé le financement, mais il a lancé quelques pistes. Comme je vous le disais, il faut réfléchir à la fiscalité numérique : les fournisseurs d’accès Internet sont actuellement surtaxés par rapport aux entreprises de service. Or, le numérique ne peut pas être une vache à lait pour régler d’autres problèmes dans d’autres secteurs.

Mais comment François Hollande compte-t-il financer ses mesures sur le numérique ?

Nous nous trouvons dans une situation budgétaire très critique compte tenu de l’état des finances publiques. Nous devons donc trouver des moyens de financement les plus économes possibles et qui ne grèvent pas les budgets publics. Mais des redéploiements restent possible, ne serait-ce que lorsque vous constater que le budget total d’Hadopi frôle les 20-25 millions d’euros, si l’on prend compte de tout l’argent dépensé. Il y a donc des choix politiques à faire.

Assistons-nous aujourd’hui à une sorte de « guerre » entre deux mondes qui entrent en collision : le monde de l’Internet et la puissance publique ?

Aux Etats-Unis comme en France, des lois de type Hadopi ont créé effectivement des clivages forts entre les mondes d’Internet et de la culture. Ce n’est pas la bonne voie. Les artistes, les producteurs et le public ne peuvent pas être opposés constamment de cette façon. Il existe des moyens d’arriver à des choses plus consensuelles…

Sans doute, mais quels moyens ? Quelles propositions concrètes formulez-vous ?

Je pense que cela passe vraiment par le développement de l’offre légale et de la pédagogie. Nous nous trouvons actuellement dans une période de transition où il est inévitable que ce genre de frictions existent. C’est normal : on passe d’un mode de consommation culturelle à un nouveau mode de consommation culturelle complètement différent.

Il faut donc de la pédagogie, des tarifs adaptés aux consommateurs (c’est-à-dire modulés au pouvoir d’achat des consommateurs, des jeunes notamment) et progressivement, grâce à une offre légale éditorialisée, attractive, adaptée aux pratiques, on pourra faire évoluer les pratiques vers des pratiques licites. C’est sûr que cela ne se fera pas du jour au lendemain. Mais les moyens existent.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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