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L'Unef impliquée dans les magouilles de la MNEF, mais jamais inquiétée, et aujourd'hui toujours aussi puissante
©Reuters

Bonnes feuilles

Coupées du terrain, plombées par les luttes internes, beaucoup moins éloignées du patronat qu'elles ne veulent bien le dire, la CGT, la CFDT, la CFTC ou FO sont incapables de prévenir des dérives graves dans les ports, les imprimeries, le rail, les entreprises de nettoyage ou la police, sans oublier certains grands comités d'entreprise, transformés en fiefs et ponctionnés à outrance. Extrait de "Le livre noir des syndicats" d'Erwan Seznec et Rozenn Le Saint, aux éditions Robert Laffont. Extrait 1/2

Rozenn Le Saint

Rozenn Le Saint

Journaliste économique et social, Rozenn Le Saint collabore régulièrement pour MarianneLiaisons sociales et Santé & Travail.

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Erwan Seznec

Erwan Seznec

Après avoir travaillé à La Tribune et Marianne, Erwan Seznec a passé huit ans à Que Choisir. Journaliste indépendant, réputé pour ses enquêtes sans parti pris, il a collaboré à Histoire secrète du patronat (30 000 ex, La Découverte, 2014). Il est également l'auteur de Syndicats, grands discours et petites combines (Hachette Littératures, 2006).

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L’équipe de tous les dangers 

Au début des années 1980, une équipe monte en puissance au sein de la Mnef. Elle est composée de leaders de l’Unef de la mou‑ vance trotskiste, qui vont accaparer le pouvoir à la mutuelle. Les hommes clés sont Jean-­Michel Grosz, président de la Mnef de 1979 à 1985, puis Olivier Spithakis, directeur général de 1983 à 1998. Ils sont très proches de Jean-­Christophe Cambadélis, leader de l’Unef et futur premier secrétaire du PS, que la Mnef va rémunérer pour diverses missions dans les années 1990. On croise également Jean-Marie Le Guen, appointé par la Mnef comme médecin-­conseil. La Mnef fait travailler des entreprises prestataires contrôlées par des amis. C’est le cas en particulier de Policité, une agence qui s’occupe de la communication de diverses personnalités socialistes, ainsi que d’Iram, courtier en assurance monté par Marc Rozenblat, vice-­président de l’Unef. Tous ces noms vont apparaître dans la presse à l’occasion d’un procès à scandale qui aboutira à la mise en liquidation de la Mnef, en 2000. L’affaire aurait d’ailleurs pu éclater beaucoup plus tôt. Dès 1982, la Cour des comptes émet des réserves sérieuses sur la gestion de la Mnef et relève le montant anormalement élevé des salaires des dirigeants et des indemnités des administrateurs.

Vingt ans d’abus sans sanction 

Les abus s’étalent sur près de vingt ans, sous des gouvernements de gauche comme de droite. Ils n’ont pas lieu au grand jour mais sont à peine secrets. À l’exception des étudiants de première année dont les cotisations alimentent le système, tout le monde sait que la Mnef est le soutien de l’Unef  et, accessoirement, du Parti socialiste. La mutuelle recrute en priorité des syndicalistes étudiants, elle sponsorise les diverses manifestations de l’Unef, elle achète des publicités dans ses journaux, etc. Olivier Spithakis a publié un livre où il donne sa version de l’affaire en 2000, Tout sur la Mnef  . Un plaidoyer pro domo peu convaincant : « Il n’y a pas d’affaire, c’est un complot », etc., mais avec quelques passages instructifs. Alors qu’il a déjà fait de la prison, Olivier Spithakis se rappelle au bon souvenir des amis qui le lâchent : « Il serait illusoire de penser que toutes les actions entreprises par la Mnef n’ont pas toujours été menées avec la bénédiction, sinon sous l’impulsion des différents gouvernements […]. S’agissait'il de faire survivre le quotidien Le Matin de Paris [socialiste] jusqu’aux prochaines échéances électorales, nous mettions la main à la poche… »

Olivier Spithakis ne va quand même pas jusqu’à dire que lui et ses proches collaborateurs se sont enrichis sur le dos de la mutuelle avec la caution de l’État. En interne, en effet, la connivence est devenue de la délinquance : abus de biens sociaux, détournement de fonds, emplois fictifs. L’équipe dirigeante vient d’une mouvance d’extrême gauche qui a une théorie légitimant les « réappropriations prolétariennes », c’est-­à-­dire, en termes moins choisis, les vols et les malversations. La ligne rouge à ne pas franchir est celle de l’enrichissement personnel. Rien n’est interdit pour la cause, mais tout doit profiter à la cause. Or cette déontologie révolutionnaire va être totalement oubliée à la Mnef. Les dirigeants se votent des salaires extravagants et louent des yachts au nom de la mutuelle. Jean-­Michel Grosz la ponctionne pour entretenir son haras en Normandie. Olivier Spithakis émarge à 100 000 francs par mois, ce qui correspondrait à plus de 20 000 euros en 2015. Marc Rozenblat empoche une plus-value de 17 millions de francs au détriment de la Mnef dans une transaction immobilière manifestement contraire aux intérêts de la mutuelle. Entre le généreux mécénat des diverses causes de l’Unef ou du PS et les détournements purs et simples, la Mnef se voit privée chaque année de plus de 20 % de ses ressources. Intenable.

Le système vacille sur ses bases vermoulues à partir de 1996. Une salariée licenciée, Christiane Maintier, dénonce les dérives de la Mnef à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), à la Cour des comptes et surtout à la presse. Le Parisien sort l’affaire le premier, mais c’est la journaliste de Libération Armelle Thoraval qui en fait un feuilleton, publiant une série d’articles retentissants sur ce scandale à tiroirs. Dans un long papier du 4 janvier 1999, elle raconte par le menu comment la Mnef a été mise à contribution au milieu des années 1980 pour sauver Abexpress, une imprimerie au bord de la faillite tenue par des militants trostkistes de l’Orga‑ nisation communiste internationale (OCI). Armelle Thoraval émet d’ailleurs l’hypothèse que ce sauvetage, qui va coûter très cher à la Mnef, a été imposé par Jean-­Christophe Cambadélis. Dirigeant de l’Unef, ce dernier devait une sorte de dédommagement à l’OCI, qu’il avait quittée pour le PS, privant l’organisation trotskiste de centaines de militants et d’un réseau d’influence intéressant.

L’ambiance devient glauque. Olivier Spithakis embauche un détective privé pour savoir qui renseigne Armelle Thoraval. La justice, de son côté, ouvre une instruction en septembre 1998. Certains le vivent très mal. Thierry Laborde, directeur du développement d’Olivier Spithakis et délégué CFDT de la Mnef, se suicide après avoir été mis en examen pour abus de biens sociaux.

Les magistrats et les enquêteurs n’ont aucune difficulté à établir les malversations, tant elles sont nombreuses et grossières. Deux procès concluent l’affaire, en 2004 et 2006. Olivier Spithakis et Jean-­Michel Grosz sont condamnés à de très fortes amendes et à des peines de prison ferme. Jean-­Christophe Cambadélis s’en tire avec six mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende. Rien n’est finalement retenu contre Dominique Strauss-­Kahn, Julien Dray et Jean-­Marie Le Guen. En revanche, la Fédération CFDT de la protection sociale et la Fédération FO des employés et cadres écopent chacune de 15 000 euros d’amende avec sursis.

Elles avaient, l’une comme l’autre, profité des largesses de la Mnef.

Ses finances déjà fragiles siphonnées par les défenseurs auto‑proclamés des étudiants, la Mnef est mise en liquidation en 2000. Comme elle a quelque 600 000 adhérents qu’il est difficile de laisser en plan, une autre mutuelle est bâtie sur ses ruines : La Mutuelle des étudiants (LMDE).

Extrait de "Le livre noir des syndicats" d'Erwan Seznec et Rozenn Le Saint, publié aux éditions Robert Laffont, mai 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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