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Julien Dray : "N'oublions pas qu'au Portugal, le profond fossé entre le PS, l'équivalent de Podemos et le PC n'a pas empêché qu'un programme commun excellent soit finalement mis en œuvre par le gouvernement"
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Entretien politique

Loi El Khomri, divisions au sein du PS, François Hollande, Donald Trump, Front national... Petit tour d'horizon de l'actualité politique avec Julien Dray, conseiller régional d'Île-de-France et ancien député socialiste.

Julien Dray

Julien Dray

Julien Dray est ancien député PS de l'Essonne. Il est actuellement conseiller régional d'Île-de-France.

Il est l'auteur de L'épreuve (Cherche Midi, 2009), livre dans lequel il revient sur l'affaire judiciaire à laquelle il a été mêlé, et de La faute politique de Jean-Luc Mélenchon, (Cherche Midi, 2014).

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Atlantico : Martine Aubry a jugé vendredi que le recours au 49-3 pour la loi El Khomri était inacceptable dans la mesure où il aurait été, selon elle, possible de dégager une majorité de gauche autour de ce projet. Entre ses clins d'œil aux frondeurs et son refus de soutenir une vraie rupture, puisque ce sont les signatures de deux députés aubrystes qui ont manqué pour que soit déposée une motion de censure de gauche, que recherche-t-elle ? 

Julien Dray : Il faudrait lui poser la question à elle, ce n'est pas moi qui suis habilité à y répondre. Martine Aubry s'inquiète à juste titre d'une division irrémédiable entre deux gauches. Elle cherche à éviter un film dont on sait tous, dans l'histoire, qu'il n'y a aucun gagnant. Ni le courant "réaliste", ni le courant "romantique". Ni les pragmatiques, ni ceux qui restent pleins d'illusions.

Y avait-il, dans cette affaire du 49-3, une possibilité de sortie par le haut ? Je n'ai pas le même sentiment que Martine Aubry. Autant la première version du texte était effectivement déséquilibrée, autant le texte adopté aujourd'hui après le 49-3 comporte beaucoup d'avancées. J'ai le sentiment que, pour une partie de ceux qui ont été jusqu'au bout de leur logique, la question n'était plus le texte, mais le contexte.

Martine Aubry, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, les frondeurs... Y-a-t-il une majorité alternative possible au sein du PS ? Ces pôles de la gauche du PS sont-ils capables d'être de vrais alliés, pas juste une coalition volatile de mécontentements ? 

Non, je n'y crois pas. Il y a dans cette affaire des convictions respectables, mais il y a aussi beaucoup de postures en vue de la présidentielle de 2017, par exemple dans tout ce qui se retrouve autour d'Arnaud Montebourg. Ça ne fait pas une majorité alternative : ça fait une somme de personnalités et des contestations qui, pour une part, sont respectables et dignes d'être prises en considération, et pour une autre part qui relèvent plus de positionnements et de jeux qui finissent parfois par être dangereux pour la gauche.

La gauche est-elle encore capable de se rassembler pour 2017 ? Au-delà des divergences idéologiques entre un PS social-libéral et un PS "gauche traditionnelle", n'y a-t-il pas un côté quasi tragi-comique à constater autant de fracas et de violence entre des gens qui ont vocation à se retrouver dans moins d'un an ? 

Je vais prendre un exemple très simple auquel les observateurs ne portent aucun intérêt. Il y a eu au Portugal des élections législatives. Au sortir de ces élections, le fossé entre le Parti socialiste et ce qui était l'équivalent de Podemos et du Parti communiste était très important. Personne ne pensait qu'ils seraient capables de fabriquer un programme commun. Et pourtant, et pourtant, ils y sont arrivés, et ce que fait le gouvernement portugais pour son peuple est excellent. Rien n'est impossible, et nous ne devons, ceux qui sont attachés au rassemblement de la gauche comme condition de la victoire, céder à aucune sirène ou aucun énervement, ni tomber dans aucun piège.

Manuel Valls, pour sa part, a déclaré après la tentative de dépôt de la motion de censure de gauche : "Je prends cette tentative pour ce qu'elle est. Elle est grave, même si elle a échoué. Mais leurs signataires sont dans une impasse. (…) Je ne laisserai pas détruire la gauche de gouvernement". Soutenez-vous le Premier ministre dans cette démarche de "non apaisement" ? En quoi est-elle paradoxale de la volonté du chef de l'Etat de rassembler autour de lui ?

Dans ce moment particulier, il faut, et c'est même un devoir, savoir raison garder et donc dominer ce qui est certainement pour beaucoup d'entre nous le premier réflexe d'une certaine colère. Il est vrai que les parlementaires qui ont vécu le débat à l'Assemblée nationale et qui voulaient sincèrement améliorer le texte ont eu à juste titre le sentiment que bien des opposants parlaient sans même connaître le texte sur le fond. Ils ont raison d'être mécontents car le 49-3 ne plaît à personne, mais il devenait incontournable au vu des prises de parole dans l'hémicycle qui engendraient un débat stérile. Dans ces moments, le rôle de ceux qui ont le sens de l'intérêt général de la gauche et qui savent que toutes ces divisions la conduisent à l'échec est d'être unitaire, pour un, pour deux, pour dix. Ce n'est pas faire preuve de faiblesse que de dire cela, bien au contraire.

Les Etats-Unis parviennent au bout de leur processus des primaires, qui a pu voir l'émergence d'un candidat que personne n'avait vu venir en la personne de Donald Trump. Au-delà du personnage, comment analysez-vous son succès bâti sur la défense des classes moyennes ? De la même façon, qu'est-ce que la gauche française a à apprendre du duel surprenant entre Hillary Clinton et Bernie Sanders ?

Il y a certes une surprise derrière le succès inattendu de Donald Trump, qui est pour une part dû aussi au fait que ses adversaires dans ces primaires n'étaient selon moi pas à la hauteur. Mais il y en a une autre, tout aussi importante, avec le succès incontestable de Bernie Sanders, qui a réussi à mobiliser une grande partie de la jeunesse américaine. Désormais, tout le problème pour Hillary Clinton, et on en vient à la leçon pour la France, est d'être capable de concilier son propre potentiel (notamment les minorités ethniques) avec le potentiel de Bernie Sanders. Et donc de répondre à ce qui est semble-t-il important aujourd'hui aux Etats-Unis : une bataille intransigeante contre la montée des inégalités sociales et les difficultés à vivre chez les Américains moyens.

Si surprise à la Trump il devait y avoir en France, viendrait-elle plutôt de la droite ou de la gauche ?

Je répète qu'il y a une double surprise. Donald Trump a réussi à mobiliser, mais comme souvent dans ce genre de situations, c'est un milliardaire qui se fait le défenseur des classes moyennes appauvries. Et c'est toujours une imposture. Malheureusement, quand les gens sont en difficulté, si les représentants du progrès ne sont pas capables d'offrir une véritable alternative, alors la démagogie antiélitiste, voire parfois raciste, peut l'emporter.

Le débat politique des sociétés occidentales se structure largement autour du clivage inégalitaire d'une part, et du clivage identitaire d'autre part. Au regard du terrain parcouru depuis 2012 et de la déception exprimée par l'opinion, comment jugez-vous l'action de votre parti autour de ces deux questions ?  

L'erreur serait d'opposer l'une à l'autre et de chercher à prioriser, alors que l'une et l'autre sont intimement liées. Quand on n'est pas capable de résoudre la crise sociale, alors le refuge pour certains s'exprime à travers une défense identitaire. Mais en même temps, on ne peut pas mépriser ou ignorer ces angoisses identitaires. Il faut donc répondre aux deux par un projet global de progrès. Le défi posé au Parti socialiste, dans les mois qui viennent, sera de défendre l'idée que la gauche au pouvoir n'a ni failli ni trahi, qu'elle a affronté des difficultés auxquelles elle n'était pas totalement préparée, qu'elle a tenu bon et que la route du progrès est à nouveau possible dans la justice sociale. C'est comme cela que la France, retrouvant toute sa place au travers des valeurs républicaines, peut aussi donner le sentiment que chacun peut y vivre sans regarder son voisin comme un concurrent ou un adversaire.

Depuis son intervention à la fondation Jean-Jaurès, François Hollande semble être dans une nouvelle phase, clairement orientée vers une candidature à sa succession. Comment peut-il parvenir à surmonter son handicap actuel au sein de l'opinion ? François Hollande peut-il se contenter d'être le candidat de sa propre continuité ?

Non, on n'est jamais candidat à une élection présidentielle, spécifiquement pour un deuxième mandat, sans tirer des leçons en ayant un regard critique sur ce qu'il s'est passé. Surtout, on est candidat quand on a encore des choses à faire pour la France et quand on trace une perspective.

Il y a certainement beaucoup de choses qui ont été faites, mais elles se sont accumulées sans que chacun ait pu trouver un sens global à tout cela, sans une compréhension claire de là où l'on voulait aller au regard de la situation passée. Il faut expliquer la démarche. En ce sens, le discours à la Fondation Jean-Jaurès est important, car pour la première fois, il a donné un sens à sa démarche en expliquant que le compromis n'était pas la compromission et que dans une société démocratique, nous sommes obligés de trouver tous ensemble les éléments d'un compromis sans se rogner, sans s'humilier. C'est ça, le réformisme. Face à ceux qui se contentent de discours ultimatistes ou réduisent la politique à une sommation autour de certains mots d'ordre faciles, il faut avoir le débat sur ce qu'il est possible de faire sans se renier, sans abandonner son idéal mais sans faire non plus ce que d'autres ont fait : rendre les clés du pouvoir au bout d'un certain temps, en considérant que la gauche est incapable de gérer la société et qu'elle n'est bonne que dans l'opposition.

Considérez-vous comme acquise la présence du Front national au second tour de l'élection présidentielle ?

Rien n'est acquis, nous sommes dans une situation très confuse. Dans ces situations-là, le pire comme le meilleur sont possibles. Beaucoup de choses prendront sens dans les semaines et mois à venir. La gauche aura un débat avec elle-même pour refuser de retomber dans ce débat historique classiquement connu entre les socio-traîtres et les nouveaux radicaux. En même temps, en résorbant ce débat-là, elle doit donner le sentiment qu'elle a repris le drapeau de la marche en avant du progrès pour tous, du progrès partagé, et d'un projet pour une véritable Europe.

Comment jugez-vous le fait que cette "nouvelle donne" puisse être la seule option permettant à François Hollande de parvenir à une réélection ?

J'ai entendu ce schéma-là lors des dernières régionales. En général, il conduit aux pires défaites de la gauche. On ne joue pas avec le Front national, on ne l'instrumentalise pas, on ne s'en sert pas : on le combat sérieusement, pas par quelques formules lapidaires, mais en démontrant à ses électeurs que ce vote est une impasse, qui d'ailleurs se retournera souvent contre ceux qui ont cru en faire une issue.

Par ailleurs, le débat présidentiel de 2017 ne devrait-il pas accorder une place toute particulière à la question européenne, alors que la menace de Brexit fait beaucoup parler ces derniers mois ?

Je pense que la situation à la veille de la présidentielle ne sera pas forcément celle que nous connaissons aujourd'hui. D'abord parce que la France va refuser le TAFTA tel que les Américains voudraient le ficeler. Elle doit proposer une alternative, qui pose la question du fonctionnement de l'Europe. Si les Britanniques s'en vont, toute l'Europe sera en péril, voire au bord de l'éclatement. Il faudra donc, et ce sera un élément du débat présidentiel, un nouveau projet européen intégrateur pour un noyau dur constitué par un nouveau traité, permettant enfin d'avoir de vraies politiques communes partagées.

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